Par Meriem Ben Lamine Enseignante chercheur à l’Université de Tunis
« La politique législative c’est la civilisation et la culture juridique d’un peuple en mouvement, dans sa dimension dynamique. Il n’y a pas de contradiction avec l’originalité de la civilisation, il y a mutations et changements » .
L’article 4 de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée le 2 novembre 2001 érige celle-ci au rang de « patrimoine commun de l’humanité » et fait de sa défense un impératif éthique inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Généralement, on parle de diversité relativement au pluralisme ou groupes aux identités culturelles plurielles et variées. Dans le cadre de cette étude, on va aborder la diversité culturelle entre pays d’une même communauté, Comme c’est le cas des relations entre la Tunisie et le Maroc. Ces pays appartiennent à une même aire culturelle, la communauté arabo musulmane, pourtant cette communauté de civilisation n’entraine pas une identité de solutions ou de principes . La preuve en est que leur législation interne ainsi qu’internationale de la famille différent. Cette étude est d’autant plus intéressante en matière de droit de la famille car comme l’a si bien écrit Monsieur Deprez « la famille a été et demeure le refuge des valeurs traditionnelles (….). Le statut personnel est intimement lié aux mœurs, aux mentalités ; à la culture et à la civilisation de chaque peuple ou nation, voire de communauté plus vaste tel que l’islam. Il plonge ses racines dans les profondeurs de l’âme populaire » La diversité culturelle au sein même de la communauté arabo musulman provient du degré d’étatisation du droit qui n’est pas le même. L’influence du droit musulman diffère d’un Etat à un autre. En effet alors que le droit musulman est une source formelle du droit au Maroc tel que cela est énoncé dans l’article 400 du nouveau code de la famille marocaine : « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent code, il y a lieu de se référer aux prescription du rite malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune que prône l’islam ». En Tunisie, le droit musulman est certes une source matérielle du code du statut personnel pour avoir influencé son contenu mais il n’en est pas une source formelle . En effet, le législateur ne fait pas référence au droit musulman pour combler les lacunes de la loi comme c’est le cas au Maroc. L’article 535 du code des obligations et du contrat dispos que « lorsqu’un cas ne peut être décidé par une disposition claire de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas semblables ou des matières analogues, si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles générale de droit ». On pourrait également se demander si la disposition de l’article 1er de la Constitution tunisienne selon laquelle l’islam est la religion de l’Etat Tunisien énonce une confusion entre l’instance du religieux et celle du droit ? Ceci est rejeté par la doctrine, notamment par Madame Méziou et Monsieur Mezghani qui maintiennent que « La religion de l’Etat n’est pas nécessairement sa législation. Pour que la confusion persiste il faut que l’énoncé de la règle de droit positif soit explicite et que l’article 1er de la constitution affirme la primauté du religieux sur le juridique et donc la subordination du second au premier » . Or ceci n’est pas le cas Madame Meziou et Monsieur Mezghani en ont conclut que « la formulation de l’article 1er ne peut avoir d’autre signification que celle d’attribuer à l’Etat, en tant que personne morale de droit public, une religion officielle » . De plus, le législateur a fait le choix depuis le 13 aout 1956, date de la promulgation du code de statut personnel, de rompre avec certaines institutions du droit musulman classique encore consacrées dans la plupart des pays arabes telles que la polygamique et la répudiation et il a consacré une institution non reconnue par le droit musulman qui est l’adoption. Dans la voie de la modernisation de la législation de la famille, le statut personnel tunisien a connu plusieurs réformes dont les plus récentes celles du 14 mai 2007 qui a rendu l’âge légal du mariage pour les deux sexes à 18 ans mais aussi celle du 1er novembre 2010 portant création de la fonction de conciliateur familial . Le code de la famille marocain a aussi connu une réforme en 2004 , le législateur a tout en gardant les institutions du droit musulman leur a dressé des limites afin que leur utilisation se fait, le plus possible, dans le respect des principes universels. Du côté de la jurisprudence tunisienne, la mission du juge consistait soit à se placer dans le sillage de la politique législative réformatrice pour parfaire l’œuvre d’innovation, soit, au contraire à la freiner par un retour aux sources sacrées. Deux tendances ont été constatées. Une première période, qui s’étend de l’indépendance jusqu’à la fin des années quatre-vingt, correspond une conception confessionnelle du droit tunisien de la famille. Les juges, de façon quasiment constante, font appel au référentiel islamique pour interpréter les dispositions relatives au statut personnel. A cette première période, succède une seconde période marquée par une turbulence dans l’interprétation des dispositions concernant le statut personnel ou d’une très nette hésitation des juges tunisiens entre interprétation confessionnelle et interprétation laïque. L’étude de la jurisprudence récente démontre que désormais les juges font de plus en plus appel aux droits fondamentaux dont l’égalité entre Hommes et femmes pour asseoir leur décision. C’est le cas pour ce qui concerne le mariage de la musulmane avec un non musulman mais aussi pour les questions de succession. Au centre de cette étude se pose la question de savoir comment se fait l’accueil de la diversité culturelle au sein de la communauté arabo musulmane à travers les différentes approches des Droit international privé de la famille tunisienne et marocaine. L’ordre juridique du juge saisi devrait prendre en considération la diversité culturelle lors de l’accueil des droits étrangers ? A mon sens, La réponse devrait être positive mais tout en protégeant quand cela est nécessaire les principes fondamentaux de l’ordre juridique concerné. En effet, « à la porte qui conduit à l’étranger, il y a un verrou qui en cas de nécessité le ferme » . L’ordre public international est un instrument de défense de l’originalité d’une civilisation mais aussi un moyen de défense de la politique législative d’un peuple en transition. « Les pays de l’islam ne constituent pas une unité et aucune uniformité ne peut aujourd’hui découler d’une histoire initialement commune mais qui a fini par se fractionner » a écrit Monsieur Ali Mezghani. La Tunisie ayant fait le choix de moderniser son droit de la famille, elle refuse donc le retour en arrière par l’acceptation sur son territoire des institutions du droit musulman classique. Ainsi, elle fait bloc face aux lois et décisions provenant des pays arabes et notamment le Maroc et qui sont contraire aux principes fondamentaux du système juridique tunisien. « Si la réforme se réalise par la loi et que le présent l’emporte sur le passé alors ce sont les principes nouveaux qui doivent être préférés » . Liberté, égalité et non discrimination religieuse forment, désormais, le contenu de l’ordre public tunisien. De même, le Maroc rejettera pour sa contrariété à l’ordre public une loi tunisienne qui ne reconnaît pas la polygamie ou la répudiation ou une décision qui voudrait faire reconnaître sur le territoire marocain une adoption par exemple. Toute fois, les cas d’application de la loi tunisienne sur le territoire marocain seront rares en raison de la formulation de l’article 2 du NCFM qui fixe le champ d’application de la loi marocain en droit de la famille. Cet article dispose que « les dispositions du présent code s’appliquent à tous les marocains même ceux portant une autre nationalité, aux réfugiés, y compris les apatrides conformément à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, à toutes relations entre deux personnes lorsque l’une d’elle est marocaine, à toute relation entre deux personnes de nationalité marocaine lorsque l’une d’elle est musulmane. Les marocains de confession juive sont soumis aux règles de statut personnel hébraïque marocain » mais aussi en raison du fait que le juge marocain ignore la nationalité lorsqu’il s’agit d’un musulman, il appliquera alors directement la loi marocaine au tunisien musulman par principe. Il serait alors plus intéressant, à mon sens, d’étudier la diversité culturelle du point de vue du juge tunisien. La jurisprudence étant riche et abondante en la matière. Ainsi, on verra dans une première partie que le juge tunisien évince les normes marocaines au nom des principes laïcs (I) et dans une deuxième partie on va étudier l’étendue de cette éviction. Faudra t-il toujours ignorer le droit à la différence au nom des droits fondamentaux ? (II) I) évictions de normes marocaines au nom des principes laïcs Le législateur marocain a fourni dans le code de la famille des efforts considérables pour répondre aux principes universels. Ces efforts louables ont été confirmés par une doctrine récente. Monsieur Zaher a écrit que : « certes les valeurs fondamentales du droit musulman constituent un référentiel important de l’ordre public international marocain. Mes ces valeurs ne peuvent être que celles exprimées par le droit positif marocain à travers son code de la famille en matière de statut personnel. Ainsi la possibilité de mettre fin au lien conjugal ouverte aux deux parties, le refus de l’autorité du mari sur sa femme sont désormais des principes fondamentaux de l’ordre juridique marocain que le juge doit faire respecter de sorte que toutes les lois étrangères désignées par la règle de conflit doivent être écartées au nom de l’ordre public international marocain dés lors qu’elles consacrent des conceptions trop éloignées du modèle juridique marocain. » . Ces lois étrangères visaient par l’auteur ne peuvent être des lois tunisiennes car à la laïcisation du droit de la famille en Tunisie correspond une évolution certaine mais lente au Maroc. Le défaut de communauté juridique demeure entre la Tunisie et le Maroc. La diversité culturelle dans le Droit international privé de la famille tunisien et marocain sera envisagée sur le terrain de l’ordre public. L’éviction des normes marocaines se fait au nom des principes laïcs. Pour démontrer cela, on prendra l’exemple de la répudiation et de la polygamie. Dans les deux cas, on dénote l’hostilité d’un pays musulman à l’égard de la reconnaissance d’institutions encore en vigueur dans l’ensemble des pays arabes. 1) Un refus automatique de la répudiation Ce refus s’exprime par l’éviction de la loi marocaine admettant la répudiation (a) mais aussi dans le refus d’exequatur des répudiations prononcées au Maroc (b) a) Eviction de la loi marocaine admettant la répudiation L’ordre public avait été opposé à une loi marocaine, loi nationale du mari autorisant celui-ci à répudier sa femme. Dans sa décision du 19 avril 1977, le tribunal de première instance de Tunis a évincé la loi marocaine aux motifs que « la loi marocaine qui doit être appliquée et en conflit fondamental avec le droit tunisien puisqu’elle permet le divorce sans recours aux tribunaux et refuse à la partie lésée par le divorce abusif, une indemnité compensatrice. Il faut donc écarter le droit marocain pour sa contrariété aux principes fondamentaux et surtout à la politique législative qui imposent le recours aux tribunaux pour obtenir le divorce et accordent à la victime la possibilité de réclamer des dommages et intérêts » . Dans une autre décision en date du 16 juin 1987 le droit marocain a été évincé en ce qu’il ne permet qu’exceptionnellement à la femme de demander le divorce. La Cour a considéré que « même si le droit de l’épouse de demander la dissolution du lien matrimonial est contraire aux législations de certains pays musulmans, le tribunal ne peut néanmoins priver de ce droit une citoyenne tunisienne ayant accompli les formalités de son mariage en Tunisie où se trouve le siège principal du domicile conjugal sous prétexte que la loi nationale de l’époux marocain normalement applicable ne permet à la femme de demander le divorce que dans des cas limités qui ne se vérifient pas en l’espèce. Le droit marocain est contraire à l’ordre public tunisien qui permet à l’épouse le droit de demander le divorce par sa volonté unilatérale selon l’alinéa 3 de l’article 31 du Code du statut personnel ». Dans ces deux décisions la loi marocaine a été évincé car elle n’admet pas le principe du droit au divorce soit en restreignant ce droit soit en l’interdisant or ce droit constitue un choix fondamentale de l’ordre juridique tunisien Cette rupture avec des anciennes institutions que le législateur tunisien tend à instaurer se vérifie aussi lorsqu’il s’agit de reconnaître des effets en Tunisie à des répudiations prononcées à l’étranger. b) Refus de l’exequatur des répudiations prononcées au Maroc Le refus d’accorder l’exequatur aux décisions étrangères de répudiation se base, en général, sur deux arguments essentiels. La contrariété de la répudiation à l’ordre public procédural et notamment aux droits de la défense mais aussi et surtout la contrariété de la répudiation à l’ordre public au fond dont le principe d’égalité entre l’homme et la femme. La judiciarisation du rôle du juge tenu, depuis 2004, de vérifier le respect des conditions légales et le renforcement du système de convocation des époux font que la régularité de la répudiation ne se pose plus sur le terrain des droits de la défense . Depuis la promulgation du NCMF en 2004, le divorce par la volonté unilatérale a été également reconnu à la femme. Doctrine et jurisprudence considèrent qu’il s’agit désormais d’une conception égalitaire des droits des époux . Cette égalité est toute fois relative à mon sens puisque le droit reconnu à la femme dépend de la volonté du mari. En effet, la répudiation unilatérale reste l’apanage exclusif du mari sauf si celui-ci « a consenti le droit d’option à l’épouse » La question de la reconnaissance en Tunisie des répudiations intervenues au Maroc se posera de ce fait, quant à la conformité de cette institution au principe d’égalité des époux . Le principe d’égalité des époux, objectif du millénaire de l’UNESCO, est une partie intégrante de l’ordre public international tunisien, la répudiation étant une dissolution du lien matrimonial qui dépend de la volonté exclusive du mari , elle porte atteinte à un principe de base du droit tunisien de la famille. Dans une décision en date du 1er décembre 2003 le tribunal de première instance de Tunis a refusé d’accorder l’exequatur à une répudiation khôl. Il s’agissait en l’espèce d’une répudiation khôl prononcée au Maroc entre un tunisien et une marocaine. L’époux demande la reconnaissance de l’acte. Le tribunal a considéré que « la répudiation unilatérale constitue un mode religieux et traditionnel de dissolution du lien matrimonial fondé sur la seule volonté de l’époux sans égard à l’intérêt de la famille, ce qui justifie que le législateur tunisien ait interdit le recours à ce mode de dissolution du mariage depuis la promulgation du code du statut personnel en instaurant un droit légitime pour chacun des deux époux de recourir au divorce judiciaire », le tribunal ajoute que « le principe d’égalité entre l’homme et la femme dans les droits et dans les devoirs est des plus important choix fondamentaux sur lesquels se base l’ordre juridique tunisien, ainsi qu’il ressort de l’article 6 de la Constitution, des articles 1,2 et 16-1-c de la convention des nations unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des articles 1,2,7 et 16 paragraphe 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Reconnaître la répudiation signifierait son inscription dans les registres de l’état civil de l’intéressé malgré la violation flagrante qu’elle porte à l’ordre public au sens du droit international privé tunisien. La demande d’exequatur d’une répudiation khôl présentée par l’époux doit donc être rejetée » . Dans ce jugement le tribunal a fait référence à une panoplie de textes internes et internationaux pour justifier le refus d’exequatur. Il a d’abord fait référence à l’article 6 de la Constitution au lieu et place de l’article 1er auquel le juge a fait référence dans d’autres décisions pour fonder un ordre public à coloration religieuse . L’article 6 consacre le principe d’égalité ainsi il énonce que « Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ». Ensuite, il s’est référé aux conventions internationales dument ratifiées par la Tunisie telles que la déclaration universelle des droits de l’homme, la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. L’ordre public tire désormais son contenu de ces instruments. Le tribunal aurait pu reconnaître la répudiation khôl ou répudiation par consentement mutuel puisque celle-ci est faite à la demande de la femme bien qu’elle doit abandonner une partie de ses droits en la demandant. Cette idée serait d’autant plus justifiable vu qu’avant 2004 la femme n’avait pas trop de possibilité pour demander le divorce. Par la répudiation khôl celle-ci demande à être libre des liens qui la lient avec son ex époux . Ce refus in abstracto de reconnaitre effet à cette répudiation dénote l’absolutisme du principe d’égalité dans l’ordre juridique tunisien . En refusant de reconnaitre effet à cette répudiation le mari tunisien serait obligé de soulever une action en divorce devant les tribunaux pour pouvoir retrouver sa liberté autrement il sera puni pour bigamie s’il tente de se remarier. La polygamie étant également bannie de l’ordre juridique tunisien. 2) Un refus de la polygamie L’interdiction de la polygamie se vérifie dans l’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien (a) mais est ce qu’une reconnaissance des effets d’un mariage polygamique serait possible ? (b) a)L’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien : Le législateur a établit une interdiction de célébration d’un mariage polygamique en Tunisie. L’article 18 du code de statut personnel incrimine la polygamie en ces termes « La polygamie est interdite. Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent sera passible d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 240000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été contracté conformément à la loi. Encourt les mêmes peines quiconque ayant contracté mariage hors des formes prévues par la loi n°57-3 du 1 er aout 1957 réglementant l’Etat civil conclut une nouvelle union et continue la vie commune avec son ancien conjoint. Encourt les mêmes peines, le conjoint qui sciemment contracte mariage avec une personne tombant sous le coup des dispositions de deux alinéas précédents » Le mariage des étrangers en Tunisie est réglementé par l’article 38 de la loi sur l’état civil du 1er aout 1957. Cet article dispose que « L’acte de mariage des étrangers en Tunisie sera rédigé conformément aux lois tunisiennes sur le vu d’un certificat de leur consul attestant qu’ils peuvent contacter mariage. Le mariage contracté en Tunisie entre deux étrangers de même nationalité pourra être célébré par les agents diplomatiques et consulaires de leur nation en Tunisie. Dans ce cas l’agent diplomatique ou le consul avisera l’officier de l’état civil du lieu du mariage ». Toute fois, il faut noter que, d’une part, le principe de la territorialité de la loi pénale ne permettra pas la célébration d’un mariage polygamique conformément à la loi nationale de deux étrangers devant leurs autorités diplomatiques et consulaires. Ces dernières ne bénéficient pas de la fiction de l’extraterritorialité. D’autre part, si les deux futurs époux décident de conclure leur mariage selon la loi locale et si l’un d’eux est ressortissant d’un pays autorisant la polygamie, ils doivent, en plus, de la présentation d’un certificat de capacité matrimoniale, exigé par l’article 38, présenter également un certificat de célibat conformément aux dispositions de l’article 46 du code de droit international privé. Selon cet article « lorsque l’un des époux est ressortissant d’un pays qui autorise la polygamie, l’officier d’état civil ou les notaires ne peuvent conclure le mariage qu’au vu d’un certificat officiel attestant que le dit époux est libre de tout autre lien conjugal » . En effet, le certificat de capacité matrimoniale n’atteste que de la capacité au mariage de la personne qui le présente selon sa loi nationale donc l’époux peut être déjà marié d’où la pertinence dans ce cas de l’exigence d’un certificat de célibat. Comme l’écrit Madame Meziou « avec le certificat de célibat, il ne s’agit plus d’attester que tel individu remplit une condition exigée par sa propre loi, celle-ci admettant la polygamie, il s’agit d’attester, en fait, que l’intéressé remplit une condition posée par la loi tunisienne, loi du lieu de célébration du mariage » . La jurisprudence est également allée dans ce sens en considérant, dans un arrêt en date du 2 mai 2001, que « Le certificat de célibat est l’une des conditions essentielles de validité du mariage » . Maintenant la question qui se pose qu’en est-il des mariages polygamiques célébrés au Maroc? b) La reconnaissance des effets d’un mariage polygamique célébré au Maroc, serait elle possible ? Le Maroc reconnaît toujours la polygamie même après la promulgation du NCFM en 2004 sauf que désormais le principe est la monogamie et l’exception est la polygamie. L’article 40 du NCFM dispose que « La polygamie est interdite lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses. Elle est également interdite lorsqu’il existe une condition de l’épouse en vertu de laquelle l’époux s’engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse ». Cette disposition fait de l’interdiction de la polygamie un principe, toute fois celle-ci demeure autorisée sous certaines conditions précisées avec attention par le législateur marocain . En raison de l’absence, à ma connaissance, de décisions où la reconnaissance en Tunisie de mariage polygamiques célébrés au Maroc a été évoqué, on peut poser la question suivante : serait il, opportun de reconnaître en Tunisie les effets d’une seconde union régulièrement célébrée au Maroc, vu l’évolution de la législation marocaine en la matière ? Les relations familiales entre tunisiens et les ressortissants des autres pays arabes sont favorisées et donc les risques de mariages polygamiques s’accentuent. La victime est dans la plupart des cas une femme tunisienne. En effet, celle-ci peut se trouver malgré elle dans une relation polygamique en épousant à l’étranger un ressortissant d’un pays musulman en ne sachant pas que celui-ci est déjà dans les liens d’un précédent mariage. Cette possibilité serait aussi possible même après la promulgation du NCFM. L’article 43 permet au tribunal de statuer sur la demande du mari d’épouser une deuxième épouse en l’absence de la première « lorsque le ministère public conclut à l’impossibilité de trouver un domicile ou un lieu de résidence où la convocation peut lui être remise ». La position de la doctrine en la matière est claire. Celle-ci refuse de reconnaître effet à la polygamie. Elle estime que « reconnaître des effets fussent ils limités à ceux qui ne heurteraient pas notre ordre public comme la reconnaissance de droits pécuniaires d’ordre alimentaires ou successoraux à la seconde épouse n’est pas courir le risque de banaliser l’institution dans un ordre juridique qui n’a pas lui-même parachevé son évolution où persistent encore des bastions du patriarcat en matière d’obligation alimentaire et de succession plus précisément ? » . L’avis de la jurisprudence est certainement le même, celle ci se montre particulièrement vigilante à l’égard des décisions provenant des pays musulmans et cela s’est vérifié dans plus d’une décision. La polygamie même célébrée à l’étranger est une institution contraire à nos choix fondamentaux et donc à l’ordre public internationale tunisien. Dans une décision en date du 24 novembre 2001, le tribunal de première instance de Sousse a considéré comme frauduleux le second mariage d’un Egyptien avec une tunisienne alors qu’ils résident tous les deux en Tunisie. Ce voyage en Egypte a fin de célébrer un second mariage prohibé par l’ordre juridique tunisien mais qui permettrait d’invoquer en Tunisie l’effet atténué de l’ordre public a été qualifié de fraude à l’intensité de l’ordre public . « L’égalité des peuples se réduit, selon Monsieur Abou, au droit de chacun à sauvegarder sa spécificité culturelle ou comme on aime à le dire aujourd’hui, son droit à la différence » . Il est donc légitime de se poser la question relative à l’étendu de l’accueil de l’étranger et donc du degré de tolérance à l’égard de la diversité culturelle. II) L’étendu de l’accueil de la diversité culturelle : droits fondamentaux ou respect du droit à la différence ? Le juge face à une décision prononcée à l’étranger devra choisir entre le respect des droits fondamentaux ou le respect du droit à la différence. Choix difficile certes mais le juge pourrait s’épargner cette difficulté en basant sa décision sur le cas par cas c'est-à-dire en ne prenant en considération que l’intérêt des parties. Le juge tunisien a certes mis en œuvre ces dernières années des techniques pour contrebalancer le refus quasi automatique des institutions du droit musulman : la répudiation et la polygamie mais reste aussi attaché aux principes universels croyant au fait que la dignité de la femme, partie intégrante des droits de l’homme, mérite plus d’effort de la part des Etats en mettant leur législation en conformité avec les principes universels. Ainsi, nos juges ont, certes, eu recours à l’effet atténué de l’ordre public (a) mais aussi ils ont dans certains cas forcé la compétence du juge tunisien pour éviter à la femme tunisienne une situation boiteuse dans son état civil (b). Il faut noter que les cas qu’on va étudier ne concernent pas les relations tuniso marocaines mais ils pourraient constituer, toute fois, une porte ouverte pour une application éventuelle dans ces relations. Les législations arabo musulmane en droit de la famille à l’exception de la Tunisie ne différent pas énormément. La répudiation et la polygamie existent encore dans la plupart de ces pays. 1- Le recours à l’effet atténué de l’ordre public « Comprendre trop largement l’intervention de l’ordre public ne ferait que frapper les femmes d’un déni de justice supplémentaire alors que ces institutions de par leur existence même en font déjà des victimes » a écrit Monsieur Jean Deprez. L’effet atténué de l’ordre public est réglementé dans l’article 37 du code de droit international privé. Cet article dispose que « sont reconnus les effets des situations régulièrement crées à l’étranger conformément à la loi désignée par la règle de conflit de loi tunisienne s’il n’apparaît que ces mêmes effets sont incompatibles avec l’ordre public international tunisien ». Il s’agit donc de reconnaître les effets compatibles à l’ordre public international tunisien d’institutions considérées en elles même contraire à nos principes fondamentaux. . Cas de la polygamie : C’est en effet le droit de la seconde épouse à succéder à son époux qui a été reconnu dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Tunis le 13 décembre 2002. Il s’agissait d’un mariage célébré en Tunisie en 1993 entre une tunisienne et un libyen au vu d’un certificat de célibat présenté par celui. En 1999, l’époux décède en Suisse. L’épouse tunisienne en sa qualité de veuve reçoit un acte de décès des autorités tunisiennes or une femme de nationalité libyenne se prétendant l’épouse du défunt en vertu d’un acte de mariage dressé en Libye en 1952 demande l’annulation de l’acte de décès. La Cour d’appel qualifie le mariage libyen de second mariage et le mariage tunisien de premier mariage puis affirme que la régularité du mariage célébré en Tunisie n’exclut pas la reconnaissance de la qualité de veuve légitime à l’épouse libyenne. La Cour énonce que « tirer la qualité et l’intérêt pour agir d’une situation contraire à l’ordre public est conforme à l’article 37 qui autorise que de telles situations crées à l’étranger puissent en Tunisie y produire des effets successoraux. Ainsi, le seconde mariage célébré à l’étranger (en Libye) entre l’intimée et le défunt peut malgré sa contrariété à l’ordre public produire des effets en Tunisie et donner à la libyenne la qualité de veuve légitime au même titre que la tunisienne et donc la qualité et l’intérêt à agir » . Cette décision a eu un accueil favorable de la part de la doctrine. Madame Ben Jemia approuve la décision de la Cour d’appel de reconnaitre à la seconde épouse une part dans la succession de son mari et elle est aussi pour la reconnaissance à la seconde épouse d’une pension alimentaire. Toute fois, elle considère que « dans une acceptation concrète de l’ordre public, ces effets devraient être aménagés en fonction des répercussions susceptibles de découler de la reconnaissance des effets de l’union dans l’espèce considérée. Ils doivent donc être fondés uniquement sur l’idée de protection de la seconde épouse démunie de ressources. Aucun autre effet d’ordre personnel, comme l’obligation de cohabitation dangereuse pour l’ordre social parce que de nature à banaliser l’union polygamique ne sera reconnu à l’exception des effets de la putativité (comme l’établissement de la filiation). En revanche, le respect du principe d’égalité impose que l’époux polygame ne puisse se prévaloir d’aucun droit à l’égard de ses épouses, plus précisément il devra être considéré en Tunisie comme n’étant marié qu’avec la première épouse » . . Cas de la répudiation : La jurisprudence tunisienne a toujours opté pour un refus automatique de la répudiation. Ce refus a connu un infléchissement dans une décision en date du 5 mai 2005 . Le tribunal cantonal de Tunis grâce à une appréciation in concreto du litige a reconnu en Tunisie des effets à un khôl égyptien. Il s’agissait en l’espèce d’une demande de pension alimentaire faite par une tunisienne contre son mari de nationalité égyptienne domicilié en Egypte présentée le 27 novembre 2004. L’époux a refusé puisque en raison de leur divorce, la demanderesse n’a plus droit à la pension. Pour justifier sa prétention il a présenté une attestation de divorce par khôl établie en Egypte par un officier public. L’épouse a contesté la régularité de cet acte le considérant contraire aux règles du code du statut personnel selon lequel le divorce ne peut se faire que devant une autorité judiciaire. Le tribunal a décidé que « Attendu que bien que le principe en droit tunisien soit que le divorce ne peut être prononcé qu’à la suite d’une décision judiciaire garantissant l’égalité entre les époux, le juge ne peut ignorer les situations régulièrement crées à l’étranger. Attendu que le divorce des parties par un acte notarial émanant d’une autorité officielle en Egypte a produit ses effets depuis plus de quatre années et il n’a aucun lien étroit avec la Tunisie vu que le mariage a été célébré en Egypte où les parties sont domiciliées et divorcées également. Attendu qu’il s’agit d’un divorce par consensuel par lequel l’épouse a abandonné ses droits financiers à son mari. Cette dissolution n’est donc pas fondée sur la volonté unilatérale du mari. Attendu que ne pas reconnaître d’effet à cet acte constitutif d’un état nouveau conduit à ce que les parties soient considérées divorcées en Egypte et mariées en Tunisie. Ceci va à l’encontre du principe de l’unicité de l’état de la personne et de la stabilité de la famille. Dans ces circonstances le juge ne peut que reconnaître cet acte ». Les arguments qui ont poussé le juge à atténuer l’ordre public et donc à reconnaître l’effet de dissolution de mariage produit par le khôl prononcé en Egypte sont plusieurs. D’abord, le juge a constaté qu’il s’agit d’un divorce consensuel et non unilatéral basé sur la seule volonté du mari et donc il n’est pas contraire au principe du divorce en Tunisie reconnu dans les mêmes conditions à la femMeriem Ben Lamine Enseignante chercheur à l’Université de Tunis « La politique législative c’est la civilisation et la culture juridique d’un peuple en mouvement, dans sa dimension dynamique. Il n’y a pas de contradiction avec l’originalité de la civilisation, il y a mutations et changements » . L’article 4 de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée le 2 novembre 2001 érige celle-ci au rang de « patrimoine commun de l’humanité » et fait de sa défense un impératif éthique inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Généralement, on parle de diversité relativement au pluralisme ou groupes aux identités culturelles plurielles et variées. Dans le cadre de cette étude, on va aborder la diversité culturelle entre pays d’une même communauté, Comme c’est le cas des relations entre la Tunisie et le Maroc. Ces pays appartiennent à une même aire culturelle, la communauté arabo musulmane, pourtant cette communauté de civilisation n’entraine pas une identité de solutions ou de principes . La preuve en est que leur législation interne ainsi qu’internationale de la famille différent. Cette étude est d’autant plus intéressante en matière de droit de la famille car comme l’a si bien écrit Monsieur Deprez « la famille a été et demeure le refuge des valeurs traditionnelles (….). Le statut personnel est intimement lié aux mœurs, aux mentalités ; à la culture et à la civilisation de chaque peuple ou nation, voire de communauté plus vaste tel que l’islam. Il plonge ses racines dans les profondeurs de l’âme populaire » La diversité culturelle au sein même de la communauté arabo musulman provient du degré d’étatisation du droit qui n’est pas le même. L’influence du droit musulman diffère d’un Etat à un autre. En effet alors que le droit musulman est une source formelle du droit au Maroc tel que cela est énoncé dans l’article 400 du nouveau code de la famille marocaine : « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent code, il y a lieu de se référer aux prescription du rite malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune que prône l’islam ». En Tunisie, le droit musulman est certes une source matérielle du code du statut personnel pour avoir influencé son contenu mais il n’en est pas une source formelle . En effet, le législateur ne fait pas référence au droit musulman pour combler les lacunes de la loi comme c’est le cas au Maroc. L’article 535 du code des obligations et du contrat dispos que « lorsqu’un cas ne peut être décidé par une disposition claire de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas semblables ou des matières analogues, si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles générale de droit ». On pourrait également se demander si la disposition de l’article 1er de la Constitution tunisienne selon laquelle l’islam est la religion de l’Etat Tunisien énonce une confusion entre l’instance du religieux et celle du droit ? Ceci est rejeté par la doctrine, notamment par Madame Méziou et Monsieur Mezghani qui maintiennent que « La religion de l’Etat n’est pas nécessairement sa législation. Pour que la confusion persiste il faut que l’énoncé de la règle de droit positif soit explicite et que l’article 1er de la constitution affirme la primauté du religieux sur le juridique et donc la subordination du second au premier » . Or ceci n’est pas le cas Madame Meziou et Monsieur Mezghani en ont conclut que « la formulation de l’article 1er ne peut avoir d’autre signification que celle d’attribuer à l’Etat, en tant que personne morale de droit public, une religion officielle » . De plus, le législateur a fait le choix depuis le 13 aout 1956, date de la promulgation du code de statut personnel, de rompre avec certaines institutions du droit musulman classique encore consacrées dans la plupart des pays arabes telles que la polygamique et la répudiation et il a consacré une institution non reconnue par le droit musulman qui est l’adoption. Dans la voie de la modernisation de la législation de la famille, le statut personnel tunisien a connu plusieurs réformes dont les plus récentes celles du 14 mai 2007 qui a rendu l’âge légal du mariage pour les deux sexes à 18 ans mais aussi celle du 1er novembre 2010 portant création de la fonction de conciliateur familial . Le code de la famille marocain a aussi connu une réforme en 2004 , le législateur a tout en gardant les institutions du droit musulman leur a dressé des limites afin que leur utilisation se fait, le plus possible, dans le respect des principes universels. Du côté de la jurisprudence tunisienne, la mission du juge consistait soit à se placer dans le sillage de la politique législative réformatrice pour parfaire l’œuvre d’innovation, soit, au contraire à la freiner par un retour aux sources sacrées. Deux tendances ont été constatées. Une première période, qui s’étend de l’indépendance jusqu’à la fin des années quatre-vingt, correspond une conception confessionnelle du droit tunisien de la famille. Les juges, de façon quasiment constante, font appel au référentiel islamique pour interpréter les dispositions relatives au statut personnel. A cette première période, succède une seconde période marquée par une turbulence dans l’interprétation des dispositions concernant le statut personnel ou d’une très nette hésitation des juges tunisiens entre interprétation confessionnelle et interprétation laïque. L’étude de la jurisprudence récente démontre que désormais les juges font de plus en plus appel aux droits fondamentaux dont l’égalité entre Hommes et femmes pour asseoir leur décision. C’est le cas pour ce qui concerne le mariage de la musulmane avec un non musulman mais aussi pour les questions de succession. Au centre de cette étude se pose la question de savoir comment se fait l’accueil de la diversité culturelle au sein de la communauté arabo musulmane à travers les différentes approches des Droit international privé de la famille tunisienne et marocaine. L’ordre juridique du juge saisi devrait prendre en considération la diversité culturelle lors de l’accueil des droits étrangers ? A mon sens, La réponse devrait être positive mais tout en protégeant quand cela est nécessaire les principes fondamentaux de l’ordre juridique concerné. En effet, « à la porte qui conduit à l’étranger, il y a un verrou qui en cas de nécessité le ferme » . L’ordre public international est un instrument de défense de l’originalité d’une civilisation mais aussi un moyen de défense de la politique législative d’un peuple en transition. « Les pays de l’islam ne constituent pas une unité et aucune uniformité ne peut aujourd’hui découler d’une histoire initialement commune mais qui a fini par se fractionner » a écrit Monsieur Ali Mezghani. La Tunisie ayant fait le choix de moderniser son droit de la famille, elle refuse donc le retour en arrière par l’acceptation sur son territoire des institutions du droit musulman classique. Ainsi, elle fait bloc face aux lois et décisions provenant des pays arabes et notamment le Maroc et qui sont contraire aux principes fondamentaux du système juridique tunisien. « Si la réforme se réalise par la loi et que le présent l’emporte sur le passé alors ce sont les principes nouveaux qui doivent être préférés » . Liberté, égalité et non discrimination religieuse forment, désormais, le contenu de l’ordre public tunisien. De même, le Maroc rejettera pour sa contrariété à l’ordre public une loi tunisienne qui ne reconnaît pas la polygamie ou la répudiation ou une décision qui voudrait faire reconnaître sur le territoire marocain une adoption par exemple. Toute fois, les cas d’application de la loi tunisienne sur le territoire marocain seront rares en raison de la formulation de l’article 2 du NCFM qui fixe le champ d’application de la loi marocain en droit de la famille. Cet article dispose que « les dispositions du présent code s’appliquent à tous les marocains même ceux portant une autre nationalité, aux réfugiés, y compris les apatrides conformément à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, à toutes relations entre deux personnes lorsque l’une d’elle est marocaine, à toute relation entre deux personnes de nationalité marocaine lorsque l’une d’elle est musulmane. Les marocains de confession juive sont soumis aux règles de statut personnel hébraïque marocain » mais aussi en raison du fait que le juge marocain ignore la nationalité lorsqu’il s’agit d’un musulman, il appliquera alors directement la loi marocaine au tunisien musulman par principe. Il serait alors plus intéressant, à mon sens, d’étudier la diversité culturelle du point de vue du juge tunisien. La jurisprudence étant riche et abondante en la matière. Ainsi, on verra dans une première partie que le juge tunisien évince les normes marocaines au nom des principes laïcs (I) et dans une deuxième partie on va étudier l’étendue de cette éviction. Faudra t-il toujours ignorer le droit à la différence au nom des droits fondamentaux ? (II) I) évictions de normes marocaines au nom des principes laïcs Le législateur marocain a fourni dans le code de la famille des efforts considérables pour répondre aux principes universels. Ces efforts louables ont été confirmés par une doctrine récente. Monsieur Zaher a écrit que : « certes les valeurs fondamentales du droit musulman constituent un référentiel important de l’ordre public international marocain. Mes ces valeurs ne peuvent être que celles exprimées par le droit positif marocain à travers son code de la famille en matière de statut personnel. Ainsi la possibilité de mettre fin au lien conjugal ouverte aux deux parties, le refus de l’autorité du mari sur sa femme sont désormais des principes fondamentaux de l’ordre juridique marocain que le juge doit faire respecter de sorte que toutes les lois étrangères désignées par la règle de conflit doivent être écartées au nom de l’ordre public international marocain dés lors qu’elles consacrent des conceptions trop éloignées du modèle juridique marocain. » . Ces lois étrangères visaient par l’auteur ne peuvent être des lois tunisiennes car à la laïcisation du droit de la famille en Tunisie correspond une évolution certaine mais lente au Maroc. Le défaut de communauté juridique demeure entre la Tunisie et le Maroc. La diversité culturelle dans le Droit international privé de la famille tunisien et marocain sera envisagée sur le terrain de l’ordre public. L’éviction des normes marocaines se fait au nom des principes laïcs. Pour démontrer cela, on prendra l’exemple de la répudiation et de la polygamie. Dans les deux cas, on dénote l’hostilité d’un pays musulman à l’égard de la reconnaissance d’institutions encore en vigueur dans l’ensemble des pays arabes. 1) Un refus automatique de la répudiation Ce refus s’exprime par l’éviction de la loi marocaine admettant la répudiation (a) mais aussi dans le refus d’exequatur des répudiations prononcées au Maroc (b) a) Eviction de la loi marocaine admettant la répudiation L’ordre public avait été opposé à une loi marocaine, loi nationale du mari autorisant celui-ci à répudier sa femme. Dans sa décision du 19 avril 1977, le tribunal de première instance de Tunis a évincé la loi marocaine aux motifs que « la loi marocaine qui doit être appliquée et en conflit fondamental avec le droit tunisien puisqu’elle permet le divorce sans recours aux tribunaux et refuse à la partie lésée par le divorce abusif, une indemnité compensatrice. Il faut donc écarter le droit marocain pour sa contrariété aux principes fondamentaux et surtout à la politique législative qui imposent le recours aux tribunaux pour obtenir le divorce et accordent à la victime la possibilité de réclamer des dommages et intérêts » . Dans une autre décision en date du 16 juin 1987 le droit marocain a été évincé en ce qu’il ne permet qu’exceptionnellement à la femme de demander le divorce. La Cour a considéré que « même si le droit de l’épouse de demander la dissolution du lien matrimonial est contraire aux législations de certains pays musulmans, le tribunal ne peut néanmoins priver de ce droit une citoyenne tunisienne ayant accompli les formalités de son mariage en Tunisie où se trouve le siège principal du domicile conjugal sous prétexte que la loi nationale de l’époux marocain normalement applicable ne permet à la femme de demander le divorce que dans des cas limités qui ne se vérifient pas en l’espèce. Le droit marocain est contraire à l’ordre public tunisien qui permet à l’épouse le droit de demander le divorce par sa volonté unilatérale selon l’alinéa 3 de l’article 31 du Code du statut personnel ». Dans ces deux décisions la loi marocaine a été évincé car elle n’admet pas le principe du droit au divorce soit en restreignant ce droit soit en l’interdisant or ce droit constitue un choix fondamentale de l’ordre juridique tunisien Cette rupture avec des anciennes institutions que le législateur tunisien tend à instaurer se vérifie aussi lorsqu’il s’agit de reconnaître des effets en Tunisie à des répudiations prononcées à l’étranger. b) Refus de l’exequatur des répudiations prononcées au Maroc Le refus d’accorder l’exequatur aux décisions étrangères de répudiation se base, en général, sur deux arguments essentiels. La contrariété de la répudiation à l’ordre public procédural et notamment aux droits de la défense mais aussi et surtout la contrariété de la répudiation à l’ordre public au fond dont le principe d’égalité entre l’homme et la femme. La judiciarisation du rôle du juge tenu, depuis 2004, de vérifier le respect des conditions légales et le renforcement du système de convocation des époux font que la régularité de la répudiation ne se pose plus sur le terrain des droits de la défense . Depuis la promulgation du NCMF en 2004, le divorce par la volonté unilatérale a été également reconnu à la femme. Doctrine et jurisprudence considèrent qu’il s’agit désormais d’une conception égalitaire des droits des époux . Cette égalité est toute fois relative à mon sens puisque le droit reconnu à la femme dépend de la volonté du mari. En effet, la répudiation unilatérale reste l’apanage exclusif du mari sauf si celui-ci « a consenti le droit d’option à l’épouse » La question de la reconnaissance en Tunisie des répudiations intervenues au Maroc se posera de ce fait, quant à la conformité de cette institution au principe d’égalité des époux . Le principe d’égalité des époux, objectif du millénaire de l’UNESCO, est une partie intégrante de l’ordre public international tunisien, la répudiation étant une dissolution du lien matrimonial qui dépend de la volonté exclusive du mari , elle porte atteinte à un principe de base du droit tunisien de la famille. Dans une décision en date du 1er décembre 2003 le tribunal de première instance de Tunis a refusé d’accorder l’exequatur à une répudiation khôl. Il s’agissait en l’espèce d’une répudiation khôl prononcée au Maroc entre un tunisien et une marocaine. L’époux demande la reconnaissance de l’acte. Le tribunal a considéré que « la répudiation unilatérale constitue un mode religieux et traditionnel de dissolution du lien matrimonial fondé sur la seule volonté de l’époux sans égard à l’intérêt de la famille, ce qui justifie que le législateur tunisien ait interdit le recours à ce mode de dissolution du mariage depuis la promulgation du code du statut personnel en instaurant un droit légitime pour chacun des deux époux de recourir au divorce judiciaire », le tribunal ajoute que « le principe d’égalité entre l’homme et la femme dans les droits et dans les devoirs est des plus important choix fondamentaux sur lesquels se base l’ordre juridique tunisien, ainsi qu’il ressort de l’article 6 de la Constitution, des articles 1,2 et 16-1-c de la convention des nations unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des articles 1,2,7 et 16 paragraphe 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Reconnaître la répudiation signifierait son inscription dans les registres de l’état civil de l’intéressé malgré la violation flagrante qu’elle porte à l’ordre public au sens du droit international privé tunisien. La demande d’exequatur d’une répudiation khôl présentée par l’époux doit donc être rejetée » . Dans ce jugement le tribunal a fait référence à une panoplie de textes internes et internationaux pour justifier le refus d’exequatur. Il a d’abord fait référence à l’article 6 de la Constitution au lieu et place de l’article 1er auquel le juge a fait référence dans d’autres décisions pour fonder un ordre public à coloration religieuse . L’article 6 consacre le principe d’égalité ainsi il énonce que « Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ». Ensuite, il s’est référé aux conventions internationales dument ratifiées par la Tunisie telles que la déclaration universelle des droits de l’homme, la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. L’ordre public tire désormais son contenu de ces instruments. Le tribunal aurait pu reconnaître la répudiation khôl ou répudiation par consentement mutuel puisque celle-ci est faite à la demande de la femme bien qu’elle doit abandonner une partie de ses droits en la demandant. Cette idée serait d’autant plus justifiable vu qu’avant 2004 la femme n’avait pas trop de possibilité pour demander le divorce. Par la répudiation khôl celle-ci demande à être libre des liens qui la lient avec son ex époux . Ce refus in abstracto de reconnaitre effet à cette répudiation dénote l’absolutisme du principe d’égalité dans l’ordre juridique tunisien . En refusant de reconnaitre effet à cette répudiation le mari tunisien serait obligé de soulever une action en divorce devant les tribunaux pour pouvoir retrouver sa liberté autrement il sera puni pour bigamie s’il tente de se remarier. La polygamie étant également bannie de l’ordre juridique tunisien. 2) Un refus de la polygamie L’interdiction de la polygamie se vérifie dans l’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien (a) mais est ce qu’une reconnaissance des effets d’un mariage polygamique serait possible ? (b) a)L’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien : Le législateur a établit une interdiction de célébration d’un mariage polygamique en Tunisie. L’article 18 du code de statut personnel incrimine la polygamie en ces termes « La polygamie est interdite. Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent sera passible d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 240000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été contracté conformément à la loi. Encourt les mêmes peines quiconque ayant contracté mariage hors des formes prévues par la loi n°57-3 du 1 er aout 1957 réglementant l’Etat civil conclut une nouvelle union et continue la vie commune avec son ancien conjoint. Encourt les mêmes peines, le conjoint qui sciemment contracte mariage avec une personne tombant sous le coup des dispositions de deux alinéas précédents » Le mariage des étrangers en Tunisie est réglementé par l’article 38 de la loi sur l’état civil du 1er aout 1957. Cet article dispose que « L’acte de mariage des étrangers en Tunisie sera rédigé conformément aux lois tunisiennes sur le vu d’un certificat de leur consul attestant qu’ils peuvent contacter mariage. Le mariage contracté en Tunisie entre deux étrangers de même nationalité pourra être célébré par les agents diplomatiques et consulaires de leur nation en Tunisie. Dans ce cas l’agent diplomatique ou le consul avisera l’officier de l’état civil du lieu du mariage ». Toute fois, il faut noter que, d’une part, le principe de la territorialité de la loi pénale ne permettra pas la célébration d’un mariage polygamique conformément à la loi nationale de deux étrangers devant leurs autorités diplomatiques et consulaires. Ces dernières ne bénéficient pas de la fiction de l’extraterritorialité. D’autre part, si les deux futurs époux décident de conclure leur mariage selon la loi locale et si l’un d’eux est ressortissant d’un pays autorisant la polygamie, ils doivent, en plus, de la présentation d’un certificat de capacité matrimoniale, exigé par l’article 38, présenter également un certificat de célibat conformément aux dispositions de l’article 46 du code de droit international privé. Selon cet article « lorsque l’un des époux est ressortissant d’un pays qui autorise la polygamie, l’officier d’état civil ou les notaires ne peuvent conclure le mariage qu’au vu d’un certificat officiel attestant que le dit époux est libre de tout autre lien conjugal » . En effet, le certificat de capacité matrimoniale n’atteste que de la capacité au mariage de la personne qui le présente selon sa loi nationale donc l’époux peut être déjà marié d’où la pertinence dans ce cas de l’exigence d’un certificat de célibat. Comme l’écrit Madame Meziou « avec le certificat de célibat, il ne s’agit plus d’attester que tel individu remplit une condition exigée par sa propre loi, celle-ci admettant la polygamie, il s’agit d’attester, en fait, que l’intéressé remplit une condition posée par la loi tunisienne, loi du lieu de célébration du mariage » . La jurisprudence est également allée dans ce sens en considérant, dans un arrêt en date du 2 mai 2001, que « Le certificat de célibat est l’une des conditions essentielles de validité du mariage » . Maintenant la question qui se pose qu’en est-il des mariages polygamiques célébrés au Maroc? b) La reconnaissance des effets d’un mariage polygamique célébré au Maroc, serait elle possible ? Le Maroc reconnaît toujours la polygamie même après la promulgation du NCFM en 2004 sauf que désormais le principe est la monogamie et l’exception est la polygamie. L’article 40 du NCFM dispose que « La polygamie est interdite lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses. Elle est également interdite lorsqu’il existe une condition de l’épouse en vertu de laquelle l’époux s’engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse ». Cette disposition fait de l’interdiction de la polygamie un principe, toute fois celle-ci demeure autorisée sous certaines conditions précisées avec attention par le législateur marocain . En raison de l’absence, à ma connaissance, de décisions où la reconnaissance en Tunisie de mariage polygamiques célébrés au Maroc a été évoqué, on peut poser la question suivante : serait il, opportun de reconnaître en Tunisie les effets d’une seconde union régulièrement célébrée au Maroc, vu l’évolution de la législation marocaine en la matière ? Les relations familiales entre tunisiens et les ressortissants des autres pays arabes sont favorisées et donc les risques de mariages polygamiques s’accentuent. La victime est dans la plupart des cas une femme tunisienne. En effet, celle-ci peut se trouver malgré elle dans une relation polygamique en épousant à l’étranger un ressortissant d’un pays musulman en ne sachant pas que celui-ci est déjà dans les liens d’un précédent mariage. Cette possibilité serait aussi possible même après la promulgation du NCFM. L’article 43 permet au tribunal de statuer sur la demande du mari d’épouser une deuxième épouse en l’absence de la première « lorsque le ministère public conclut à l’impossibilité de trouver un domicile ou un lieu de résidence où la convocation peut lui être remise ». La position de la doctrine en la matière est claire. Celle-ci refuse de reconnaître effet à la polygamie. Elle estime que « reconnaître des effets fussent ils limités à ceux qui ne heurteraient pas notre ordre public comme la reconnaissance de droits pécuniaires d’ordre alimentaires ou successoraux à la seconde épouse n’est pas courir le risque de banaliser l’institution dans un ordre juridique qui n’a pas lui-même parachevé son évolution où persistent encore des bastions du patriarcat en matière d’obligation alimentaire et de succession plus précisément ? » . L’avis de la jurisprudence est certainement le même, celle ci se montre particulièrement vigilante à l’égard des décisions provenant des pays musulmans et cela s’est vérifié dans plus d’une décision. La polygamie même célébrée à l’étranger est une institution contraire à nos choix fondamentaux et donc à l’ordre public internationale tunisien. Dans une décision en date du 24 novembre 2001, le tribunal de première instance de Sousse a considéré comme frauduleux le second mariage d’un Egyptien avec une tunisienne alors qu’ils résident tous les deux en Tunisie. Ce voyage en Egypte a fin de célébrer un second mariage prohibé par l’ordre juridique tunisien mais qui permettrait d’invoquer en Tunisie l’effet atténué de l’ordre public a été qualifié de fraude à l’intensité de l’ordre public . « L’égalité des peuples se réduit, selon Monsieur Abou, au droit de chacun à sauvegarder sa spécificité culturelle ou comme on aime à le dire aujourd’hui, son droit à la différence » . Il est donc légitime de se poser la question relative à l’étendu de l’accueil de l’étranger et donc du degré de tolérance à l’égard de la diversité culturelle. II) L’étendu de l’accueil de la diversité culturelle : droits fondamentaux ou respect du droit à la différence ? Le juge face à une décision prononcée à l’étranger devra choisir entre le respect des droits fondamentaux ou le respect du droit à la différence. Choix difficile certes mais le juge pourrait s’épargner cette difficulté en basant sa décision sur le cas par cas c'est-à-dire en ne prenant en considération que l’intérêt des parties. Le juge tunisien a certes mis en œuvre ces dernières années des techniques pour contrebalancer le refus quasi automatique des institutions du droit musulman : la répudiation et la polygamie mais reste aussi attaché aux principes universels croyant au fait que la dignité de la femme, partie intégrante des droits de l’homme, mérite plus d’effort de la part des Etats en mettant leur législation en conformité avec les principes universels. Ainsi, nos juges ont, certes, eu recours à l’effet atténué de l’ordre public (a) mais aussi ils ont dans certains cas forcé la compétence du juge tunisien pour éviter à la femme tunisienne une situation boiteuse dans son état civil (b). Il faut noter que les cas qu’on va étudier ne concernent pas les relations tuniso marocaines mais ils pourraient constituer, toute fois, une porte ouverte pour une application éventuelle dans ces relations. Les législations arabo musulmane en droit de la famille à l’exception de la Tunisie ne différent pas énormément. La répudiation et la polygamie existent encore dans la plupart de ces pays. 1- Le recours à l’effet atténué de l’ordre public « Comprendre trop largement l’intervention de l’ordre public ne ferait que frapper les femmes d’un déni de justice supplémentaire alors que ces institutions de par leur existence même en font déjà des victimes » a écrit Monsieur Jean Deprez. L’effet atténué de l’ordre public est réglementé dans l’article 37 du code de droit international privé. Cet article dispose que « sont reconnus les effets des situations régulièrement crées à l’étranger conformément à la loi désignée par la règle de conflit de loi tunisienne s’il n’apparaît que ces mêmes effets sont incompatibles avec l’ordre public international tunisien ». Il s’agit donc de reconnaître les effets compatibles à l’ordre public international tunisien d’institutions considérées en elles même contraire à nos principes fondamentaux. . Cas de la polygamie : C’est en effet le droit de la seconde épouse à succéder à son époux qui a été reconnu dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Tunis le 13 décembre 2002. Il s’agissait d’un mariage célébré en Tunisie en 1993 entre une tunisienne et un libyen au vu d’un certificat de célibat présenté par celui. En 1999, l’époux décède en Suisse. L’épouse tunisienne en sa qualité de veuve reçoit un acte de décès des autorités tunisiennes or une femme de nationalité libyenne se prétendant l’épouse du défunt en vertu d’un acte de mariage dressé en Libye en 1952 demande l’annulation de l’acte de décès. La Cour d’appel qualifie le mariage libyen de second mariage et le mariage tunisien de premier mariage puis affirme que la régularité du mariage célébré en Tunisie n’exclut pas la reconnaissance de la qualité de veuve légitime à l’épouse libyenne. La Cour énonce que « tirer la qualité et l’intérêt pour agir d’une situation contraire à l’ordre public est conforme à l’article 37 qui autorise que de telles situations crées à l’étranger puissent en Tunisie y produire des effets successoraux. Ainsi, le seconde mariage célébré à l’étranger (en Libye) entre l’intimée et le défunt peut malgré sa contrariété à l’ordre public produire des effets en Tunisie et donner à la libyenne la qualité de veuve légitime au même titre que la tunisienne et donc la qualité et l’intérêt à agir » . Cette décision a eu un accueil favorable de la part de la doctrine. Madame Ben Jemia approuve la décision de la Cour d’appel de reconnaitre à la seconde épouse une part dans la succession de son mari et elle est aussi pour la reconnaissance à la seconde épouse d’une pension alimentaire. Toute fois, elle considère que « dans une acceptation concrète de l’ordre public, ces effets devraient être aménagés en fonction des répercussions susceptibles de découler de la reconnaissance des effets de l’union dans l’espèce considérée. Ils doivent donc être fondés uniquement sur l’idée de protection de la seconde épouse démunie de ressources. Aucun autre effet d’ordre personnel, comme l’obligation de cohabitation dangereuse pour l’ordre social parce que de nature à banaliser l’union polygamique ne sera reconnu à l’exception des effets de la putativité (comme l’établissement de la filiation). En revanche, le respect du principe d’égalité impose que l’époux polygame ne puisse se prévaloir d’aucun droit à l’égard de ses épouses, plus précisément il devra être considéré en Tunisie comme n’étant marié qu’avec la première épouse » . . Cas de la répudiation : La jurisprudence tunisienne a toujours opté pour un refus automatique de la répudiation. Ce refus a connu un infléchissement dans une décision en date du 5 mai 2005 . Le tribunal cantonal de Tunis grâce à une appréciation in concreto du litige a reconnu en Tunisie des effets à un khôl égyptien. Il s’agissait en l’espèce d’une demande de pension alimentaire faite par une tunisienne contre son mari de nationalité égyptienne domicilié en Egypte présentée le 27 novembre 2004. L’époux a refusé puisque en raison de leur divorce, la demanderesse n’a plus droit à la pension. Pour justifier sa prétention il a présenté une attestation de divorce par khôl établie en Egypte par un officier public. L’épouse a contesté la régularité de cet acte le considérant contraire aux règles du code du statut personnel selon lequel le divorce ne peut se faire que devant une autorité judiciaire. Le tribunal a décidé que « Attendu que bien que le principe en droit tunisien soit que le divorce ne peut être prononcé qu’à la suite d’une décision judiciaire garantissant l’égalité entre les époux, le juge ne peut ignorer les situations régulièrement crées à l’étranger. Attendu que le divorce des parties par un acte notarial émanant d’une autorité officielle en Egypte a produit ses effets depuis plus de quatre années et il n’a aucun lien étroit avec la Tunisie vu que le mariage a été célébré en Egypte où les parties sont domiciliées et divorcées également. Attendu qu’il s’agit d’un divorce par consensuel par lequel l’épouse a abandonné ses droits financiers à son mari. Cette dissolution n’est donc pas fondée sur la volonté unilatérale du mari. Attendu que ne pas reconnaître d’effet à cet acte constitutif d’un état nouveau conduit à ce que les parties soient considérées divorcées en Egypte et mariées en Tunisie. Ceci va à l’encontre du principe de l’unicité de l’état de la personne et de la stabilité de la famille. Dans ces circonstances le juge ne peut que reconnaître cet acte ». Les arguments qui ont poussé le juge à atténuer l’ordre public et donc à reconnaître l’effet de dissolution de mariage produit par le khôl prononcé en Egypte sont plusieurs. D’abord, le juge a constaté qu’il s’agit d’un divorce consensuel et non unilatéral basé sur la seule volonté du mari et donc il n’est pas contraire au principe du divorce en Tunisie reconnu dans les mêmes conditions à la femMeriem Ben Lamine Enseignante chercheur à l’Université de Tunis « La politique législative c’est la civilisation et la culture juridique d’un peuple en mouvement, dans sa dimension dynamique. Il n’y a pas de contradiction avec l’originalité de la civilisation, il y a mutations et changements » . L’article 4 de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée le 2 novembre 2001 érige celle-ci au rang de « patrimoine commun de l’humanité » et fait de sa défense un impératif éthique inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Généralement, on parle de diversité relativement au pluralisme ou groupes aux identités culturelles plurielles et variées. Dans le cadre de cette étude, on va aborder la diversité culturelle entre pays d’une même communauté, Comme c’est le cas des relations entre la Tunisie et le Maroc. Ces pays appartiennent à une même aire culturelle, la communauté arabo musulmane, pourtant cette communauté de civilisation n’entraine pas une identité de solutions ou de principes . La preuve en est que leur législation interne ainsi qu’internationale de la famille différent. Cette étude est d’autant plus intéressante en matière de droit de la famille car comme l’a si bien écrit Monsieur Deprez « la famille a été et demeure le refuge des valeurs traditionnelles (….). Le statut personnel est intimement lié aux mœurs, aux mentalités ; à la culture et à la civilisation de chaque peuple ou nation, voire de communauté plus vaste tel que l’islam. Il plonge ses racines dans les profondeurs de l’âme populaire » La diversité culturelle au sein même de la communauté arabo musulman provient du degré d’étatisation du droit qui n’est pas le même. L’influence du droit musulman diffère d’un Etat à un autre. En effet alors que le droit musulman est une source formelle du droit au Maroc tel que cela est énoncé dans l’article 400 du nouveau code de la famille marocaine : « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent code, il y a lieu de se référer aux prescription du rite malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune que prône l’islam ». En Tunisie, le droit musulman est certes une source matérielle du code du statut personnel pour avoir influencé son contenu mais il n’en est pas une source formelle . En effet, le législateur ne fait pas référence au droit musulman pour combler les lacunes de la loi comme c’est le cas au Maroc. L’article 535 du code des obligations et du contrat dispos que « lorsqu’un cas ne peut être décidé par une disposition claire de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas semblables ou des matières analogues, si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles générale de droit ». On pourrait également se demander si la disposition de l’article 1er de la Constitution tunisienne selon laquelle l’islam est la religion de l’Etat Tunisien énonce une confusion entre l’instance du religieux et celle du droit ? Ceci est rejeté par la doctrine, notamment par Madame Méziou et Monsieur Mezghani qui maintiennent que « La religion de l’Etat n’est pas nécessairement sa législation. Pour que la confusion persiste il faut que l’énoncé de la règle de droit positif soit explicite et que l’article 1er de la constitution affirme la primauté du religieux sur le juridique et donc la subordination du second au premier » . Or ceci n’est pas le cas Madame Meziou et Monsieur Mezghani en ont conclut que « la formulation de l’article 1er ne peut avoir d’autre signification que celle d’attribuer à l’Etat, en tant que personne morale de droit public, une religion officielle » . De plus, le législateur a fait le choix depuis le 13 aout 1956, date de la promulgation du code de statut personnel, de rompre avec certaines institutions du droit musulman classique encore consacrées dans la plupart des pays arabes telles que la polygamique et la répudiation et il a consacré une institution non reconnue par le droit musulman qui est l’adoption. Dans la voie de la modernisation de la législation de la famille, le statut personnel tunisien a connu plusieurs réformes dont les plus récentes celles du 14 mai 2007 qui a rendu l’âge légal du mariage pour les deux sexes à 18 ans mais aussi celle du 1er novembre 2010 portant création de la fonction de conciliateur familial . Le code de la famille marocain a aussi connu une réforme en 2004 , le législateur a tout en gardant les institutions du droit musulman leur a dressé des limites afin que leur utilisation se fait, le plus possible, dans le respect des principes universels. Du côté de la jurisprudence tunisienne, la mission du juge consistait soit à se placer dans le sillage de la politique législative réformatrice pour parfaire l’œuvre d’innovation, soit, au contraire à la freiner par un retour aux sources sacrées. Deux tendances ont été constatées. Une première période, qui s’étend de l’indépendance jusqu’à la fin des années quatre-vingt, correspond une conception confessionnelle du droit tunisien de la famille. Les juges, de façon quasiment constante, font appel au référentiel islamique pour interpréter les dispositions relatives au statut personnel. A cette première période, succède une seconde période marquée par une turbulence dans l’interprétation des dispositions concernant le statut personnel ou d’une très nette hésitation des juges tunisiens entre interprétation confessionnelle et interprétation laïque. L’étude de la jurisprudence récente démontre que désormais les juges font de plus en plus appel aux droits fondamentaux dont l’égalité entre Hommes et femmes pour asseoir leur décision. C’est le cas pour ce qui concerne le mariage de la musulmane avec un non musulman mais aussi pour les questions de succession. Au centre de cette étude se pose la question de savoir comment se fait l’accueil de la diversité culturelle au sein de la communauté arabo musulmane à travers les différentes approches des Droit international privé de la famille tunisienne et marocaine. L’ordre juridique du juge saisi devrait prendre en considération la diversité culturelle lors de l’accueil des droits étrangers ? A mon sens, La réponse devrait être positive mais tout en protégeant quand cela est nécessaire les principes fondamentaux de l’ordre juridique concerné. En effet, « à la porte qui conduit à l’étranger, il y a un verrou qui en cas de nécessité le ferme » . L’ordre public international est un instrument de défense de l’originalité d’une civilisation mais aussi un moyen de défense de la politique législative d’un peuple en transition. « Les pays de l’islam ne constituent pas une unité et aucune uniformité ne peut aujourd’hui découler d’une histoire initialement commune mais qui a fini par se fractionner » a écrit Monsieur Ali Mezghani. La Tunisie ayant fait le choix de moderniser son droit de la famille, elle refuse donc le retour en arrière par l’acceptation sur son territoire des institutions du droit musulman classique. Ainsi, elle fait bloc face aux lois et décisions provenant des pays arabes et notamment le Maroc et qui sont contraire aux principes fondamentaux du système juridique tunisien. « Si la réforme se réalise par la loi et que le présent l’emporte sur le passé alors ce sont les principes nouveaux qui doivent être préférés » . Liberté, égalité et non discrimination religieuse forment, désormais, le contenu de l’ordre public tunisien. De même, le Maroc rejettera pour sa contrariété à l’ordre public une loi tunisienne qui ne reconnaît pas la polygamie ou la répudiation ou une décision qui voudrait faire reconnaître sur le territoire marocain une adoption par exemple. Toute fois, les cas d’application de la loi tunisienne sur le territoire marocain seront rares en raison de la formulation de l’article 2 du NCFM qui fixe le champ d’application de la loi marocain en droit de la famille. Cet article dispose que « les dispositions du présent code s’appliquent à tous les marocains même ceux portant une autre nationalité, aux réfugiés, y compris les apatrides conformément à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, à toutes relations entre deux personnes lorsque l’une d’elle est marocaine, à toute relation entre deux personnes de nationalité marocaine lorsque l’une d’elle est musulmane. Les marocains de confession juive sont soumis aux règles de statut personnel hébraïque marocain » mais aussi en raison du fait que le juge marocain ignore la nationalité lorsqu’il s’agit d’un musulman, il appliquera alors directement la loi marocaine au tunisien musulman par principe. Il serait alors plus intéressant, à mon sens, d’étudier la diversité culturelle du point de vue du juge tunisien. La jurisprudence étant riche et abondante en la matière. Ainsi, on verra dans une première partie que le juge tunisien évince les normes marocaines au nom des principes laïcs (I) et dans une deuxième partie on va étudier l’étendue de cette éviction. Faudra t-il toujours ignorer le droit à la différence au nom des droits fondamentaux ? (II) I) évictions de normes marocaines au nom des principes laïcs Le législateur marocain a fourni dans le code de la famille des efforts considérables pour répondre aux principes universels. Ces efforts louables ont été confirmés par une doctrine récente. Monsieur Zaher a écrit que : « certes les valeurs fondamentales du droit musulman constituent un référentiel important de l’ordre public international marocain. Mes ces valeurs ne peuvent être que celles exprimées par le droit positif marocain à travers son code de la famille en matière de statut personnel. Ainsi la possibilité de mettre fin au lien conjugal ouverte aux deux parties, le refus de l’autorité du mari sur sa femme sont désormais des principes fondamentaux de l’ordre juridique marocain que le juge doit faire respecter de sorte que toutes les lois étrangères désignées par la règle de conflit doivent être écartées au nom de l’ordre public international marocain dés lors qu’elles consacrent des conceptions trop éloignées du modèle juridique marocain. » . Ces lois étrangères visaient par l’auteur ne peuvent être des lois tunisiennes car à la laïcisation du droit de la famille en Tunisie correspond une évolution certaine mais lente au Maroc. Le défaut de communauté juridique demeure entre la Tunisie et le Maroc. La diversité culturelle dans le Droit international privé de la famille tunisien et marocain sera envisagée sur le terrain de l’ordre public. L’éviction des normes marocaines se fait au nom des principes laïcs. Pour démontrer cela, on prendra l’exemple de la répudiation et de la polygamie. Dans les deux cas, on dénote l’hostilité d’un pays musulman à l’égard de la reconnaissance d’institutions encore en vigueur dans l’ensemble des pays arabes. 1) Un refus automatique de la répudiation Ce refus s’exprime par l’éviction de la loi marocaine admettant la répudiation (a) mais aussi dans le refus d’exequatur des répudiations prononcées au Maroc (b) a) Eviction de la loi marocaine admettant la répudiation L’ordre public avait été opposé à une loi marocaine, loi nationale du mari autorisant celui-ci à répudier sa femme. Dans sa décision du 19 avril 1977, le tribunal de première instance de Tunis a évincé la loi marocaine aux motifs que « la loi marocaine qui doit être appliquée et en conflit fondamental avec le droit tunisien puisqu’elle permet le divorce sans recours aux tribunaux et refuse à la partie lésée par le divorce abusif, une indemnité compensatrice. Il faut donc écarter le droit marocain pour sa contrariété aux principes fondamentaux et surtout à la politique législative qui imposent le recours aux tribunaux pour obtenir le divorce et accordent à la victime la possibilité de réclamer des dommages et intérêts » . Dans une autre décision en date du 16 juin 1987 le droit marocain a été évincé en ce qu’il ne permet qu’exceptionnellement à la femme de demander le divorce. La Cour a considéré que « même si le droit de l’épouse de demander la dissolution du lien matrimonial est contraire aux législations de certains pays musulmans, le tribunal ne peut néanmoins priver de ce droit une citoyenne tunisienne ayant accompli les formalités de son mariage en Tunisie où se trouve le siège principal du domicile conjugal sous prétexte que la loi nationale de l’époux marocain normalement applicable ne permet à la femme de demander le divorce que dans des cas limités qui ne se vérifient pas en l’espèce. Le droit marocain est contraire à l’ordre public tunisien qui permet à l’épouse le droit de demander le divorce par sa volonté unilatérale selon l’alinéa 3 de l’article 31 du Code du statut personnel ». Dans ces deux décisions la loi marocaine a été évincé car elle n’admet pas le principe du droit au divorce soit en restreignant ce droit soit en l’interdisant or ce droit constitue un choix fondamentale de l’ordre juridique tunisien Cette rupture avec des anciennes institutions que le législateur tunisien tend à instaurer se vérifie aussi lorsqu’il s’agit de reconnaître des effets en Tunisie à des répudiations prononcées à l’étranger. b) Refus de l’exequatur des répudiations prononcées au Maroc Le refus d’accorder l’exequatur aux décisions étrangères de répudiation se base, en général, sur deux arguments essentiels. La contrariété de la répudiation à l’ordre public procédural et notamment aux droits de la défense mais aussi et surtout la contrariété de la répudiation à l’ordre public au fond dont le principe d’égalité entre l’homme et la femme. La judiciarisation du rôle du juge tenu, depuis 2004, de vérifier le respect des conditions légales et le renforcement du système de convocation des époux font que la régularité de la répudiation ne se pose plus sur le terrain des droits de la défense . Depuis la promulgation du NCMF en 2004, le divorce par la volonté unilatérale a été également reconnu à la femme. Doctrine et jurisprudence considèrent qu’il s’agit désormais d’une conception égalitaire des droits des époux . Cette égalité est toute fois relative à mon sens puisque le droit reconnu à la femme dépend de la volonté du mari. En effet, la répudiation unilatérale reste l’apanage exclusif du mari sauf si celui-ci « a consenti le droit d’option à l’épouse » La question de la reconnaissance en Tunisie des répudiations intervenues au Maroc se posera de ce fait, quant à la conformité de cette institution au principe d’égalité des époux . Le principe d’égalité des époux, objectif du millénaire de l’UNESCO, est une partie intégrante de l’ordre public international tunisien, la répudiation étant une dissolution du lien matrimonial qui dépend de la volonté exclusive du mari , elle porte atteinte à un principe de base du droit tunisien de la famille. Dans une décision en date du 1er décembre 2003 le tribunal de première instance de Tunis a refusé d’accorder l’exequatur à une répudiation khôl. Il s’agissait en l’espèce d’une répudiation khôl prononcée au Maroc entre un tunisien et une marocaine. L’époux demande la reconnaissance de l’acte. Le tribunal a considéré que « la répudiation unilatérale constitue un mode religieux et traditionnel de dissolution du lien matrimonial fondé sur la seule volonté de l’époux sans égard à l’intérêt de la famille, ce qui justifie que le législateur tunisien ait interdit le recours à ce mode de dissolution du mariage depuis la promulgation du code du statut personnel en instaurant un droit légitime pour chacun des deux époux de recourir au divorce judiciaire », le tribunal ajoute que « le principe d’égalité entre l’homme et la femme dans les droits et dans les devoirs est des plus important choix fondamentaux sur lesquels se base l’ordre juridique tunisien, ainsi qu’il ressort de l’article 6 de la Constitution, des articles 1,2 et 16-1-c de la convention des nations unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des articles 1,2,7 et 16 paragraphe 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Reconnaître la répudiation signifierait son inscription dans les registres de l’état civil de l’intéressé malgré la violation flagrante qu’elle porte à l’ordre public au sens du droit international privé tunisien. La demande d’exequatur d’une répudiation khôl présentée par l’époux doit donc être rejetée » . Dans ce jugement le tribunal a fait référence à une panoplie de textes internes et internationaux pour justifier le refus d’exequatur. Il a d’abord fait référence à l’article 6 de la Constitution au lieu et place de l’article 1er auquel le juge a fait référence dans d’autres décisions pour fonder un ordre public à coloration religieuse . L’article 6 consacre le principe d’égalité ainsi il énonce que « Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ». Ensuite, il s’est référé aux conventions internationales dument ratifiées par la Tunisie telles que la déclaration universelle des droits de l’homme, la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. L’ordre public tire désormais son contenu de ces instruments. Le tribunal aurait pu reconnaître la répudiation khôl ou répudiation par consentement mutuel puisque celle-ci est faite à la demande de la femme bien qu’elle doit abandonner une partie de ses droits en la demandant. Cette idée serait d’autant plus justifiable vu qu’avant 2004 la femme n’avait pas trop de possibilité pour demander le divorce. Par la répudiation khôl celle-ci demande à être libre des liens qui la lient avec son ex époux . Ce refus in abstracto de reconnaitre effet à cette répudiation dénote l’absolutisme du principe d’égalité dans l’ordre juridique tunisien . En refusant de reconnaitre effet à cette répudiation le mari tunisien serait obligé de soulever une action en divorce devant les tribunaux pour pouvoir retrouver sa liberté autrement il sera puni pour bigamie s’il tente de se remarier. La polygamie étant également bannie de l’ordre juridique tunisien. 2) Un refus de la polygamie L’interdiction de la polygamie se vérifie dans l’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien (a) mais est ce qu’une reconnaissance des effets d’un mariage polygamique serait possible ? (b) a)L’interdiction de célébration d’un mariage polygamique sur le territoire tunisien : Le législateur a établit une interdiction de célébration d’un mariage polygamique en Tunisie. L’article 18 du code de statut personnel incrimine la polygamie en ces termes « La polygamie est interdite. Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent sera passible d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 240000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été contracté conformément à la loi. Encourt les mêmes peines quiconque ayant contracté mariage hors des formes prévues par la loi n°57-3 du 1 er aout 1957 réglementant l’Etat civil conclut une nouvelle union et continue la vie commune avec son ancien conjoint. Encourt les mêmes peines, le conjoint qui sciemment contracte mariage avec une personne tombant sous le coup des dispositions de deux alinéas précédents » Le mariage des étrangers en Tunisie est réglementé par l’article 38 de la loi sur l’état civil du 1er aout 1957. Cet article dispose que « L’acte de mariage des étrangers en Tunisie sera rédigé conformément aux lois tunisiennes sur le vu d’un certificat de leur consul attestant qu’ils peuvent contacter mariage. Le mariage contracté en Tunisie entre deux étrangers de même nationalité pourra être célébré par les agents diplomatiques et consulaires de leur nation en Tunisie. Dans ce cas l’agent diplomatique ou le consul avisera l’officier de l’état civil du lieu du mariage ». Toute fois, il faut noter que, d’une part, le principe de la territorialité de la loi pénale ne permettra pas la célébration d’un mariage polygamique conformément à la loi nationale de deux étrangers devant leurs autorités diplomatiques et consulaires. Ces dernières ne bénéficient pas de la fiction de l’extraterritorialité. D’autre part, si les deux futurs époux décident de conclure leur mariage selon la loi locale et si l’un d’eux est ressortissant d’un pays autorisant la polygamie, ils doivent, en plus, de la présentation d’un certificat de capacité matrimoniale, exigé par l’article 38, présenter également un certificat de célibat conformément aux dispositions de l’article 46 du code de droit international privé. Selon cet article « lorsque l’un des époux est ressortissant d’un pays qui autorise la polygamie, l’officier d’état civil ou les notaires ne peuvent conclure le mariage qu’au vu d’un certificat officiel attestant que le dit époux est libre de tout autre lien conjugal » . En effet, le certificat de capacité matrimoniale n’atteste que de la capacité au mariage de la personne qui le présente selon sa loi nationale donc l’époux peut être déjà marié d’où la pertinence dans ce cas de l’exigence d’un certificat de célibat. Comme l’écrit Madame Meziou « avec le certificat de célibat, il ne s’agit plus d’attester que tel individu remplit une condition exigée par sa propre loi, celle-ci admettant la polygamie, il s’agit d’attester, en fait, que l’intéressé remplit une condition posée par la loi tunisienne, loi du lieu de célébration du mariage » . La jurisprudence est également allée dans ce sens en considérant, dans un arrêt en date du 2 mai 2001, que « Le certificat de célibat est l’une des conditions essentielles de validité du mariage » . Maintenant la question qui se pose qu’en est-il des mariages polygamiques célébrés au Maroc? b) La reconnaissance des effets d’un mariage polygamique célébré au Maroc, serait elle possible ? Le Maroc reconnaît toujours la polygamie même après la promulgation du NCFM en 2004 sauf que désormais le principe est la monogamie et l’exception est la polygamie. L’article 40 du NCFM dispose que « La polygamie est interdite lorsqu’une injustice est à craindre envers les épouses. Elle est également interdite lorsqu’il existe une condition de l’épouse en vertu de laquelle l’époux s’engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse ». Cette disposition fait de l’interdiction de la polygamie un principe, toute fois celle-ci demeure autorisée sous certaines conditions précisées avec attention par le législateur marocain . En raison de l’absence, à ma connaissance, de décisions où la reconnaissance en Tunisie de mariage polygamiques célébrés au Maroc a été évoqué, on peut poser la question suivante : serait il, opportun de reconnaître en Tunisie les effets d’une seconde union régulièrement célébrée au Maroc, vu l’évolution de la législation marocaine en la matière ? Les relations familiales entre tunisiens et les ressortissants des autres pays arabes sont favorisées et donc les risques de mariages polygamiques s’accentuent. La victime est dans la plupart des cas une femme tunisienne. En effet, celle-ci peut se trouver malgré elle dans une relation polygamique en épousant à l’étranger un ressortissant d’un pays musulman en ne sachant pas que celui-ci est déjà dans les liens d’un précédent mariage. Cette possibilité serait aussi possible même après la promulgation du NCFM. L’article 43 permet au tribunal de statuer sur la demande du mari d’épouser une deuxième épouse en l’absence de la première « lorsque le ministère public conclut à l’impossibilité de trouver un domicile ou un lieu de résidence où la convocation peut lui être remise ». La position de la doctrine en la matière est claire. Celle-ci refuse de reconnaître effet à la polygamie. Elle estime que « reconnaître des effets fussent ils limités à ceux qui ne heurteraient pas notre ordre public comme la reconnaissance de droits pécuniaires d’ordre alimentaires ou successoraux à la seconde épouse n’est pas courir le risque de banaliser l’institution dans un ordre juridique qui n’a pas lui-même parachevé son évolution où persistent encore des bastions du patriarcat en matière d’obligation alimentaire et de succession plus précisément ? » . L’avis de la jurisprudence est certainement le même, celle ci se montre particulièrement vigilante à l’égard des décisions provenant des pays musulmans et cela s’est vérifié dans plus d’une décision. La polygamie même célébrée à l’étranger est une institution contraire à nos choix fondamentaux et donc à l’ordre public internationale tunisien. Dans une décision en date du 24 novembre 2001, le tribunal de première instance de Sousse a considéré comme frauduleux le second mariage d’un Egyptien avec une tunisienne alors qu’ils résident tous les deux en Tunisie. Ce voyage en Egypte a fin de célébrer un second mariage prohibé par l’ordre juridique tunisien mais qui permettrait d’invoquer en Tunisie l’effet atténué de l’ordre public a été qualifié de fraude à l’intensité de l’ordre public . « L’égalité des peuples se réduit, selon Monsieur Abou, au droit de chacun à sauvegarder sa spécificité culturelle ou comme on aime à le dire aujourd’hui, son droit à la différence » . Il est donc légitime de se poser la question relative à l’étendu de l’accueil de l’étranger et donc du degré de tolérance à l’égard de la diversité culturelle. II) L’étendu de l’accueil de la diversité culturelle : droits fondamentaux ou respect du droit à la différence ? Le juge face à une décision prononcée à l’étranger devra choisir entre le respect des droits fondamentaux ou le respect du droit à la différence. Choix difficile certes mais le juge pourrait s’épargner cette difficulté en basant sa décision sur le cas par cas c'est-à-dire en ne prenant en considération que l’intérêt des parties. Le juge tunisien a certes mis en œuvre ces dernières années des techniques pour contrebalancer le refus quasi automatique des institutions du droit musulman : la répudiation et la polygamie mais reste aussi attaché aux principes universels croyant au fait que la dignité de la femme, partie intégrante des droits de l’homme, mérite plus d’effort de la part des Etats en mettant leur législation en conformité avec les principes universels. Ainsi, nos juges ont, certes, eu recours à l’effet atténué de l’ordre public (a) mais aussi ils ont dans certains cas forcé la compétence du juge tunisien pour éviter à la femme tunisienne une situation boiteuse dans son état civil (b). Il faut noter que les cas qu’on va étudier ne concernent pas les relations tuniso marocaines mais ils pourraient constituer, toute fois, une porte ouverte pour une application éventuelle dans ces relations. Les législations arabo musulmane en droit de la famille à l’exception de la Tunisie ne différent pas énormément. La répudiation et la polygamie existent encore dans la plupart de ces pays. 1- Le recours à l’effet atténué de l’ordre public « Comprendre trop largement l’intervention de l’ordre public ne ferait que frapper les femmes d’un déni de justice supplémentaire alors que ces institutions de par leur existence même en font déjà des victimes » a écrit Monsieur Jean Deprez. L’effet atténué de l’ordre public est réglementé dans l’article 37 du code de droit international privé. Cet article dispose que « sont reconnus les effets des situations régulièrement crées à l’étranger conformément à la loi désignée par la règle de conflit de loi tunisienne s’il n’apparaît que ces mêmes effets sont incompatibles avec l’ordre public international tunisien ». Il s’agit donc de reconnaître les effets compatibles à l’ordre public international tunisien d’institutions considérées en elles même contraire à nos principes fondamentaux. . Cas de la polygamie : C’est en effet le droit de la seconde épouse à succéder à son époux qui a été reconnu dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Tunis le 13 décembre 2002. Il s’agissait d’un mariage célébré en Tunisie en 1993 entre une tunisienne et un libyen au vu d’un certificat de célibat présenté par celui. En 1999, l’époux décède en Suisse. L’épouse tunisienne en sa qualité de veuve reçoit un acte de décès des autorités tunisiennes or une femme de nationalité libyenne se prétendant l’épouse du défunt en vertu d’un acte de mariage dressé en Libye en 1952 demande l’annulation de l’acte de décès. La Cour d’appel qualifie le mariage libyen de second mariage et le mariage tunisien de premier mariage puis affirme que la régularité du mariage célébré en Tunisie n’exclut pas la reconnaissance de la qualité de veuve légitime à l’épouse libyenne. La Cour énonce que « tirer la qualité et l’intérêt pour agir d’une situation contraire à l’ordre public est conforme à l’article 37 qui autorise que de telles situations crées à l’étranger puissent en Tunisie y produire des effets successoraux. Ainsi, le seconde mariage célébré à l’étranger (en Libye) entre l’intimée et le défunt peut malgré sa contrariété à l’ordre public produire des effets en Tunisie et donner à la libyenne la qualité de veuve légitime au même titre que la tunisienne et donc la qualité et l’intérêt à agir » . Cette décision a eu un accueil favorable de la part de la doctrine. Madame Ben Jemia approuve la décision de la Cour d’appel de reconnaitre à la seconde épouse une part dans la succession de son mari et elle est aussi pour la reconnaissance à la seconde épouse d’une pension alimentaire. Toute fois, elle considère que « dans une acceptation concrète de l’ordre public, ces effets devraient être aménagés en fonction des répercussions susceptibles de découler de la reconnaissance des effets de l’union dans l’espèce considérée. Ils doivent donc être fondés uniquement sur l’idée de protection de la seconde épouse démunie de ressources. Aucun autre effet d’ordre personnel, comme l’obligation de cohabitation dangereuse pour l’ordre social parce que de nature à banaliser l’union polygamique ne sera reconnu à l’exception des effets de la putativité (comme l’établissement de la filiation). En revanche, le respect du principe d’égalité impose que l’époux polygame ne puisse se prévaloir d’aucun droit à l’égard de ses épouses, plus précisément il devra être considéré en Tunisie comme n’étant marié qu’avec la première épouse » . . Cas de la répudiation : La jurisprudence tunisienne a toujours opté pour un refus automatique de la répudiation. Ce refus a connu un infléchissement dans une décision en date du 5 mai 2005 . Le tribunal cantonal de Tunis grâce à une appréciation in concreto du litige a reconnu en Tunisie des effets à un khôl égyptien. Il s’agissait en l’espèce d’une demande de pension alimentaire faite par une tunisienne contre son mari de nationalité égyptienne domicilié en Egypte présentée le 27 novembre 2004. L’époux a refusé puisque en raison de leur divorce, la demanderesse n’a plus droit à la pension. Pour justifier sa prétention il a présenté une attestation de divorce par khôl établie en Egypte par un officier public. L’épouse a contesté la régularité de cet acte le considérant contraire aux règles du code du statut personnel selon lequel le divorce ne peut se faire que devant une autorité judiciaire. Le tribunal a décidé que « Attendu que bien que le principe en droit tunisien soit que le divorce ne peut être prononcé qu’à la suite d’une décision judiciaire garantissant l’égalité entre les époux, le juge ne peut ignorer les situations régulièrement crées à l’étranger. Attendu que le divorce des parties par un acte notarial émanant d’une autorité officielle en Egypte a produit ses effets depuis plus de quatre années et il n’a aucun lien étroit avec la Tunisie vu que le mariage a été célébré en Egypte où les parties sont domiciliées et divorcées également. Attendu qu’il s’agit d’un divorce par consensuel par lequel l’épouse a abandonné ses droits financiers à son mari. Cette dissolution n’est donc pas fondée sur la volonté unilatérale du mari. Attendu que ne pas reconnaître d’effet à cet acte constitutif d’un état nouveau conduit à ce que les parties soient considérées divorcées en Egypte et mariées en Tunisie. Ceci va à l’encontre du principe de l’unicité de l’état de la personne et de la stabilité de la famille. Dans ces circonstances le juge ne peut que reconnaître cet acte ». Les arguments qui ont poussé le juge à atténuer l’ordre public et donc à reconnaître l’effet de dissolution de mariage produit par le khôl prononcé en Egypte sont plusieurs. D’abord, le juge a constaté qu’il s’agit d’un divorce consensuel et non unilatéral basé sur la seule volonté du mari et donc il n’est pas contraire au principe du divorce en Tunisie reconnu dans les mêmes conditions à la fem