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Billet de blog 22 septembre 2014

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RÈGLE DE TROIS OU RÈGLE DE SIX ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En juin 2011, notre ancien ministre de l'Éducation Luc Chatel (qui persiste à se croire un destin politique national) n'avait pas su résoudre cet exercice de niveau CM2 au micro de Jean-Jacques Bourdin sur la station de radio RMC :

10 objets identiques coûtent 22 € ; combien coûtent 15 de ces objets ?

La plupart des commentateurs ont invoqué la trop célèbre "règle de trois" ; le quotidien Le Monde (1) proposa cette solution :

"Reprenons, monsieur Chatel. Dix objets coûtent 22 euros. Combien coûtent quinze de ces objets ?

Soit x le prix de quinze objets, ce qui donne :

x = (15 × 22)/10 = 33"

   Cette minable "solution" médiatique, absolument dogmatique, qui ne justifie pas les opérations faites, met en évidence la raison de nombreux échecs en maths, dont ceux des journalistes ... : soit la perte ou la négligence du sens des opérations courantes. Soit dit en passant, celles-ci sont au nombre de trois, et non de quatre, comme on le croit trop souvent :

Addition : réunion de deux ensembles d'objets de même nature, ou augmentation d'une quantité ;

Multiplication : addition répétée : a + a + a + ... (n termes) = na ;

Puissance : multiplication répétée : a*a*a*a ... (n facteurs) = an a puissance n, ou a exposant n.

Soustraction et division se ramènent en fait simplement à l'addition et à la multiplication via les équations a + x = b et c*y = d, dont les solutions sont x = b - a et y = d/c (pour c non nul).

Alors, comment résoudre cet exercice élémentaire ?

   La solution intelligente consiste à remarquer que l'on a 5 objets supplémentaires, et que ces 5 objets coûtent évidemment la moitié du prix de 10 objets. Savoir que 2 multiplié par 5, ça fait 10, n'est pas encore, je l'espère, au delà des capacités du Français moyen (même si cela dépassait celles du ministre Chatel).

10 objets = 22 €

5 objets = 11 €

Donc, par addition

15 objets = 33 €

   La réponse de l'ex-ministre Luc Chatel, dont Inter Net nous dit curieusement que "Il passe sa scolarité chez les jésuites" (ce qui rappelle la réponse d'un cancre à la question "Que fais-tu en classe ? - J'attends qu'on sorte"), la réponse de Luc Chatel, donc, 16,50 €, était non seulement fausse, mais absurde puisque pour ce ministre 15 objets coûtaient moins cher que 10 !! Le ministre avait certes entrevu confusément que le nombre 11 intervenait dans l'exercice, mais il fit une opération qui n'avait aucun sens, (15/10)x11, au lieu de celle qui en avait un, 3x11. Il chercha à appliquer bêtement une formule apprise par cœur des années auparavant, sans se soucier de s'en remémorer la logique sous-jacente.

Dans ce genre d'exercices, il conviendrait de parler d'une règle de six plutôt que d'une règle de trois, car six nombres sont impliqués dans cette histoire :

10 et 22

5 et 11

15 et le nombre cherché, d'abord x, puis 33

Ces six nombres peuvent se présenter dans un tableau de proportionnalité :

Nombre                 Prix

10                           22

 5                            11

10 + 5, 15               x, 11 + 22, 33

   Ce n’est bien sûr pas la seule méthode possible. On peut très bien ne pas passer par le nombre 5, et appliquer la méthode générale, ici détestable méthode de bourrin ..., en passant par le prix d’un seul objet :

10 objets coûtent 22 €

1 objet coûte donc 2,2 € (dix fois moins)

15 objets coûtent quinze fois plus, soit 15x2,2 = 33 €

Ce qui revient à faire intervenir le coefficient de proportionnalité, soit 2,2, des objets vers les prix ; mais dans un exercice aussi simple, on peut et on devrait faire l’économie de cette notion dont la dénomination est de plus archaïque et lourde (je propose multiplicateur).

Cette deuxième méthode, générale, nécessite de plus le recours à une calculette, si l'on n'est pas très bon en calcul mental, pour obtenir 15x(2,2). Mais dans tous les cas, il y a bien six nombres impliqués, donc bien mieux vaudrait parler de "règle de six" ; notion hélas pas encore acceptée par les pédagogistes rédacteurs des programmes, ou alors de "règle des trois lignes" (et deux colonnes).

La mésaventure du député Luc Chatel, car il a hélas été réélu ..., illustre l’intérêt énorme qu’il y aurait à comprendre ce que l’on fait en maths, bien que la doctrine officielle reste centrée, non sur l'explication et la compréhension, mais sur la pratique et les apprentissages, s'acharnant à maintenir une terminologie désuète ; un collègue PEGC du Val d'Oise, à l'Isle-Adam, me dit un jour : « Il ne faut pas expliquer, car certains risqueraient de ne pas comprendre ; et les autres, ils s’en sortiront toujours. » Contre cet obscurantisme politico-social, je retiens la surprise et le plaisir d’un élève de 4e, en ce même collège, me disant, ravi : « Je ne savais pas qu’il y avait des choses à comprendre en maths. »

Ma voisine creusoise Marinette P., qui a plus de 80 ans et un niveau d'instruction primaire, a su résoudre exactement, et du premier coup, l'exercice raté par Chatel.

1. Sur un blog rédactionnel du quotidien français Le Monde, Big Browser, on pouvait lire en été 2012 :

« Mais il n’y a aucune preuve qui montre que quelqu’un capable de résoudre (x2 + y2)2 = (x2 – y2)2 + (2xy)2 aura des opinions politiques ou des analyses sociales plus développées. »

L'original américain était : "But there’s no evidence that being able to prove (x² + y²)² = (x² - y²)² + (2xy)² leads to more credible political opinions or social analysis."

Le retour à cet original est très fructueux :

1) le pléonasme "preuve qui montre" ne s'y trouve pas ;

2) une identité remarquable n'est pas une équation, donc elle ne se résout pas, elle se démontre("prove"), comme l'écrit Andrew Hacker ;

3) enfin, le New York Times dispose d'une typo lui permettant de faire la différence entre le 2 de x² et celui de 2x, ce qui n'était pas encore le cas du quotidien français dit "de référence", Le Monde.

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