Cécile Asanuma-Brice
Chercheure associée à l'université Lille-CLERSE-UMR CNRS 8019, chercheure associée au centre de recherche de la Maison Franco - Japonaise UMIFRE CNRS (Tôkyô)
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Billet de blog 25 juil. 2016

Cécile Asanuma-Brice
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Le temps est venu

Le temps est venu de sortir du choc pour aborder les raisons du marasme actuel et tenter de sortir de l’ellipse de violence que nos pays alimentent. Ces raisons mûrissent dans nos sociétés de production - consommation depuis maintenant plus d’un siècle et en même temps la vérolent lentement.

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Le fonctionnement de nos sociétés, par les inégalités économiques et sociales toujours croissantes qu’il produit, enfante de monstres à compter parmi ceux qui n’ont pas pu participer au festin de la consommation, ceux qui ont été mis de côté pour des raisons ethniques et finalement sociales car faut-il le rappeler, les chances varient indéniablement en fonction des origines de classes et des origines raciales, ceux qui ont été élevés dans le ressentiment, la peur, l’inégalité et l’injustice. Ceux chez qui l’on n’a su faire croître que l’unique et ultime colère. Ceux que l’on a reclus dans nos cités, nos aires d’accueil, ou autres foyers insalubres et insécures.

Mais la production de ces inégalités n’est pas vaine. Elle sert ceux qui la produisent et c’est la raison pour laquelle elle perdure. En générant la peur, on crée la soumission. Celle d’un peuple qui s’en remet à son Etat pour le protéger. Celle de citoyens qui confient à l’armée de leur pays leur défense au sein de leur quartier. La politique de la terreur fait enfler le désir facile et rassurant d’un nationalisme xénophobe nécessaire à la vie de l’Etat-Nation. Un Etat qui sous prétextes démocratiques n’a eu de cesse de développer son empire. Les rescapés de ce colonialisme sanglant furent condamnés à subir les différentes formes de mise au ban dans des cités d’accueil définies comme sociales. Cités de transit ? Terminus vers un nulle part. Cette politique tout en permettant de préserver une image d’un semblant démocratique met à l’abri de possibles vautours les richesses d’un petit nombre et d’une classe moyenne qui se réduit au profit de la foule des plus vulnérables toujours croissante. Ces derniers, pour la plupart, n’ambitionnent néanmoins rien d’autre que de rester accrochés aux wagons du train de la consommation élancé à toute vitesse sur des rails qui, au frottement des roues, crissent : « Argent, Pouvoir Paraître ; Argent, Pouvoir, Paraître ; Argent, Pouvoir Paraître… »

Argent

L’économie capitaliste est intrinsèquement instable et agitée. Voici un siècle que nos économies de marchés n’ont de cesse de décliner, consommant la force ouvrière pour une plus grande stabilité de la classe possédante, au rythme des diverses industries qui se sont passées le relais de la filature, aux mines de charbon, au pétrole, puis au nucléaire, ce dernier étant associé aux ventes d’armes. Les ventes d’armes sont la seule économie (d’auto destruction à terme) restée porteuse aujourd’hui, seule motivation du maintien d’une industrie nucléaire qui elle, est un fiasco économique total si l’on en croît le bilan financier dramatique d’Areva ou d’EDF. En outre, le nucléaire permet d’assurer une production suffisante de plutonium et d’uranium nécessaire à la production des armes que nos pays pacifistes exportent, pour « la paix dans le Monde », soutien mercantile aux pays frontaliers des zones dans lesquelles nous attisons les conflits. 

Pouvoir

Détenir le marché du nucléaire, c’est détenir le pouvoir de vie ou de mort sur l’ensemble de la planète. Un pouvoir décisif, extrême, sans appel. L’utilisation qui en est faite est néanmoins plus mesurée, puisqu’il s’agit de maintenir sous perfusion artificielle nos économies en déroute via la vente d’armes. Ainsi, la France est l’un des seuls pays avec les Etats-Unis et Israël a avoir refusé de signer la résolution des Nations Unies prônant  l’interdiction de l’utilisation des armes à uranium appauvri d’octobre 2014. Si les Etats-Unis et la Russie restent, par ailleurs, en tête des exportateurs mondiaux d’armes, l’Allemagne, la France et l’Angleterre ne sont pas en reste, occupant respectivement les 3e, 5e et 6e positions mondiales[1]. Les cinq premiers pays importateurs d’armes sont l’Arabie Saoudite, l’Inde, les Emirats Arabes Unis, la Chine et l’Egypte. Le montant annuel des commandes d’armement pour la France en 2015 atteignant 15 milliards d’euros, soit doublant sa mise en une année, fait de la défense la seule industrie prospère de l’Hexagone[2]. Ainsi, notre économie mortifère ne se contente plus de susciter des différences sociales, mais a désormais besoin, pour se nourrir, de guerres, que l’on attise suffisamment loin pour qu’elles ne nous atteignent que modérément. L’afflux des migrants en provenance des pays déstabilisés par ce surcroît d’offensives n’avait pas été envisagé, première erreur. A ceux-ci sont à rajouter les prochains migrants des désordres climatiques qui les suivront. Quelques attentats comme nous en avons déjà subi dans les années 80-90 avaient certainement été projetés, mais dans la société du risque, le péril économiquement motivé est accepté, combien même celui-ci se concrétiserait par la perte de vies humaines. Le programme d’industrialisation des guerres a toutefois omis la possibilité de redressement de tête des pays visés pour leur infériorité militaire et leur instabilité déjà présente, et n’a pas considéré la possibilité de leur mariage avec les exclus économiques et sociaux générés par et dans nos propres sociétés.

Paraître

 La médiatisation, outil premier de la société du spectacle, permet à la fois la manipulation de l’opinion générale en exacerbant le sentiment de terreur provenant d’actes isolés (les derniers évènements, bien que des plus déplorables, restent sporadiques) et la valorisation des actes terroristes dans des sociétés où la célébrité est devenue un but en soi. Cette double assertion renforce la justification d’un Etat d’urgence qui se traduit par les abus en tous genres que l’on a pu observer ces derniers mois, allant de perquisitions injustifiées aux violences policières démesurées expérimentées durant les dernières manifestations contre la loi du travail.

Répondre via de nouveaux bombardements au Proche Orient ne fera qu’attiser la volonté de revanche des populations qui en seront victimes, comprenant immanquablement des personnes qui n’auraient pas du être touchées par ces conflits. La radicalisation sécuritaire du gouvernement français fertilise le terreau de la radicalisation djihadiste. Elle fournit de nouveaux soldats aux Daesh en tous genres, dont les rangs se gonflent d’individus qui n’ont plus pour but que le déversement de leur colère quelqu’en soient les moyens. 

Le temps est venu, localement, de cesser l’utilisation intempestive de la force militaire qui gère autoritairement les conséquences de la catastrophe sans jamais ne toucher aux causes.

Le temps est venu de nous pencher sur la refonte de notre économie afin que la survie de notre système cesse de dépendre du marché des armes, soit de la mort des autres et de la mort des notres.

Le temps est venu, au plan de la politique extérieure, de cesser les contradictions politiques de soutien aux monarchies du Golfe, celles-là même qui financent les groupuscules djihadistes, tout en menant une politique sécuritaire contre ces mêmes groupes armés.

Le temps est venu de considérer les situations locales dans leur complexité afin que cessent les déstabilisations en cours. Le Brexit que l’Angleterre motive principalement par la volonté d’une plus grande maîtrise de ses frontières face à l’afflux des vagues d’immigrés, la tentative de coup d’Etat en Turquie, ou l’élection rendue possible de personnages animés par la seule xénophobie à la tête de la première puissance économique mondiale, sont autant de nouveaux signaux qui, à défaut d’être pris au sérieux, dégénèreront inévitablement en un conflit mondial que personne ne sera plus en mesure de maîtriser.

Le 20 juillet

 Cécile Asanuma-Brice

(sociologue)


[1] Stockhom Inetrnational Peace Research Institute p.10-11

[2] Article Libération, 14 juin 2015 « Ventes d’armes : le grand boom des exportations françaises » Pierre Alonso et BIG.

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