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Billet de blog 10 mars 2015

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Là sont les intellectuels

« Où sont les intellectuels ? Où sont les grandes consciences de ce pays, les hommes, les femmes de culture, qui doivent monter, eux aussi, au créneau ? Où est la gauche ? » (Manuel Valls, Le Monde, 7 mars 2015).

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« Où sont les intellectuels ? Où sont les grandes consciences de ce pays, les hommes, les femmes de culture, qui doivent monter, eux aussi, au créneau ? Où est la gauche ? » (Manuel Valls, Le Monde, 7 mars 2015).

M. le Premier ministre en appelle à la conscience des intellectuels comme s’ils l’avaient perdue. C’est adroit, sans doute, afin de déconsidérer ceux qu’il interpelle (les intellectuels) devant ceux qu’il prend à témoins (les autres, c’est-à-dire l’opinion). C’est habile évidemment pour mettre en regard de la société, dont ils ne seraient pas, les intellectuels incriminés.

C’est habile également pour faire un partage entre les fréquentables soutiens d’une politique désormais connue, et les réfractaires irresponsables sur lesquels, par avance, est reportée la faute d’un succès de l’extrême droite. C’est habile enfin pour diviser lesdits intellectuels et susciter on ne sait quels débats internes dont les conclusions se perdront en arguties indécidables.

M. le Premier ministre ne sait peut-être pas que lesdits intellectuels sont déjà divisés. Qu’ils sont tout sauf une corporation unie, tout sauf une communauté nécessairement solidaire et au fantasme de laquelle le message envoyé ne parviendra pas sans mal… de la même façon qu’il ne connaîtra pas de réponse univoque. Qui sait même si les intellectuels désignés par lui le sont tous autant qu’il semble l’imaginer en les apostrophant. Qui sait si cette appellation ne désigne pas justement ce défaut d’une reconnaissance par eux-mêmes de ceux que M. le Premier ministre appelle à la rescousse — ces hommes et ces femmes « de culture » (comme si les autres n’en étaient pas) qui n’auront pas attendu qu’il les sollicite pour se soucier du monde.

M. le Premier ministre n’a sans doute pas connaissance de ce que bon nombre desdits intellectuels auxquels il s’adresse ne sont pas que cela. Qu’ils ne sont pas que des penseurs arc-boutés sur leur livres. Qu’il leur est donné aussi, comme à leurs amis artistes et écrivains, de côtoyer des amis dans le besoin, quand ils ne sont pas eux-mêmes en difficulté. Qu’ils connaissent, pour certains d’entre eux, des fins de mois chichiteuses et qu’ils ne se font pas à la souffrance, ici, au coin de la rue, sous des bretelles d’autoroute, dans les débris fumants d’un campement démantelé, ou ailleurs, sur des littoraux méditerranéens dans lesquels on se noie en silence. M. le Premier ministre ne sait pas, sans doute, que ces intellectuels voient avec stupeur quels reniements ont été ceux du président élu de 2012, quelle politique il mène, quelle inconsistance sociale est celle qui œuvre à l’impasse dans laquelle les populations sont poussées.

M. le Premier ministre en appelle à une éthique des intellectuels comme s’ils l’avaient oubliée, ou bien n’en avaient pas. Il ignore sans doute, M. le Premier ministre, que bien des intellectuels que nous connaissons, comme d’autres que nous ne connaissons pas, ne se sont pas réfugiés dans l’individualisme et la désaffection. À moins qu’il ne feigne de l’ignorer, et que son adresse soit l’émanation de quelque petit analyste dont les politiques aiment tant aujourd’hui s’entourer. Car il y a tout lieu d’envisager aussi, dans cette apostrophe, une énième procédure de communication : tout un chacun sait désormais, par la voix de journalistes bien informés, que M. le Premier ministre en est un champion, qu’il est bien conseillé, et qu’il ne laisse rien au hasard.

C’est pourquoi M. le Premier ministre doit ne pas ignorer que les intellectuels en question, depuis belle lurette, ont lu dans son jeu et qu’ils se font un devoir de ne plus, à la fois, cautionner et reconduire une politique qu’ils réprouvent au prétexte de la peur. La souveraineté de leur vote, si vote il y a, est de celles que ne conditionnent nullement les arguments entendus. Tout prompts que ces arguments soient à exercer sur les intellectuels visés la pression qu’ils escomptent.

Alors que M. le Premier ministre le sache : oui, il peut ne pas compter sur le soutien de ceux-là. Dans le fil de son appel, espérer d’eux, de leurs amis, de leurs proches et de ceux qui les accompagnent, autre chose que le signe de leur présence entêtée tient de la présomption, de l’artifice, ou du malentendu.

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