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Billet de blog 13 janvier 2015

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La fierté d’être Français nous est étrangère

L’effroyable exécution a bouleversé bien des consciences. L’immense rassemblement a ému. Mais l’émotion n’est pas tout. C’est parce qu’il a été dit : « Rien ne sera plus comme avant » comme on l’avait déjà entendu maintes fois, que nous avons cru bon de ne pas tant y croire. De ne pas nous contenter de l’unanime et nécessaire hommage. Au nom d’une liberté dont nous ne voudrions pas qu’elle justifie son sabordage. Parce que nous voyons bien que tout n’est pas aussi définitif, malgré tout. Malgré l’avant qui ne reviendra plus (un texte d'Alain Hobé).

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L’effroyable exécution a bouleversé bien des consciences. L’immense rassemblement a ému. Mais l’émotion n’est pas tout. C’est parce qu’il a été dit : « Rien ne sera plus comme avant » comme on l’avait déjà entendu maintes fois, que nous avons cru bon de ne pas tant y croire. De ne pas nous contenter de l’unanime et nécessaire hommage. Au nom d’une liberté dont nous ne voudrions pas qu’elle justifie son sabordage. Parce que nous voyons bien que tout n’est pas aussi définitif, malgré tout. Malgré l’avant qui ne reviendra plus (un texte d'Alain Hobé).

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« Quelle fierté d’être Français ! » Ce sont les mots du Premier ministre au lendemain de l’immense rassemblement de janvier. Nous ne nous reconnaissons pas dans cet amour pour ce que nous sommes.

Nous ne sommes pas plus fiers aujourd’hui d’être Français que nous ne l’étions plus tôt. C’est peut-être un outrage en ces temps où la fierté d’être comme on est paraît l’emporter. À moins que ce ne soit simplement l’affirmation de mauvais coucheurs récidivistes. Toujours est-il que la fierté d’être Français, pas plus que celle d’être au monde ou de n’importe quel lieu qui lui appartient, ne nous est venue à l’esprit. Jamais. Nulle part. Disons-le ainsi : la fierté d’être Français nous est étrangère.

Pareille fierté emprunte trop à la rhétorique publicitaire pour ne pas être problématique. L’amour pour ce que nous sommes, par la complaisance qui en est la moelle et telle qu’elle se traduit à chaque coin de mur et à tout bout d’onde, a l’avantage pour ceux qui lui font une large place de couper court à la pensée de ce que, justement, nous pouvons être. Et ce que nous pouvons être, et pouvons faire au nom de ce que nous sommes, n’est pas toujours aimable. Il n’est pas et n’a pas été nécessairement honorable. Il ne faudrait pas aller chercher bien loin pour que soit ternie l’image que le rendu de certains événements fait valoir de ce que nous sommes. Chacun peut sans doute s’enorgueillir de certains pans de l’histoire et du présent de ce pays. Pas de tous, loin de là. L’amour que nous aurions de nous ne préjuge en rien d’un avenir heureux, même en des moments de rassemblement : l’Union sacrée du 4 août 1914, lancée par Poincaré, aura vu naître, de l’autre côté du Rhin, sa réplique parfaite sous le nom de Burgfrieden, avec les conséquences qu’on sait. Cet amour, s’il sait être décisif, n’est guère moins porteur de désolations que ne l’est la haine qui croit lui répondre.

Il faudrait en tout état de cause supposer qu’un nous déjà soit constitué. Or ce serait une gageure qu’il le soit, en dehors de la consensualité communicante, en des temps où les soucis d’appartenance et les questions d’origine ne cessent de nourrir les débats. C’en serait une au vu de l’éclatement communautaire et du recours toujours plus affirmé aux identités particulières. Et rien n’y prédispose lorsqu’a cours une politique qui n’a de cesse que l’individu soit renvoyé à sa performance et sa pleine responsabilité. Une politique qui fait du chômeur un entrepreneur de son chômage, et de tout enfant l’individu vite immergé dans la compétitivité de son être scolaire.

Et quand bien même ce pourrait être le cas, il n’est pas certain qu’il faille espérer que ce nous se constitue. D’autant moins sous la forme fusionnelle où le conduit la fierté d’en être, lorsqu’il coïncide à sa déclaration, porté par la passion qui le saisit dans l’immédiateté de sa reconnaissance. C’est-à-dire lorsqu’il fait l’impasse sur ses vicissitudes et ses contradictions. Usurpant la place d’un nous dynamique qui prend acte, paradoxalement, de l’impossibilité de lui convenir, de s’y apparenter, de se l’appropier : cet autre nous dont ne pas se satisfaire, et qui ferait dire à chacun, comme Jean-Luc Nancy[1], que « nous ne sommes pas à hauteur de nous » et que « nous n’avons pas à nous identifier en tant que “nous” ».

Le nous dont il a été parfois question ces derniers jours dans bien des déclarations, cristallisé dans la soudaine simultanéité d’un ennemi à abattre, à neutraliser est-il dit pudiquement, ne présage rien de bon. Rien de serein ni de sûr, en tout cas. Pour tout dire, il semble avoir tout de la fable à laquelle il peut être doux de croire et dans laquelle il est, de temps en temps, salutaire de trouver un refuge. Un court refuge, et à la condition qu’il soit inconfortable — autant dire ouvert à des questionnements qui n’ont rien à voir avec le souci d’identité dont il est, hélas, avec lui, si souvent question.

 Alain Hobé.


[1] Jean-Luc Nancy, Être singulier pluriel, Galilée, Paris, 1996, p. 93-94.

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