France Info, mardi 17 juin à 6H36 :
Le riverain : – Regardez la misère… Je regarde. Regardez : c’est misère, non ?
Le reporter : – Ion Vardu hausse les sourcils. Il montre les restes du campement installé autour d’une maison désaffectée. Un amas de détritus, de matelas, de vêtements, des restes de nourriture et de jouets d’enfants, entre des petites cabanes bricolées avec des portes et des planches clouées entre elles. Jon Vardu est arrivé de Roumanie avec sa famille il y a deux ans, il a installé son atelier de mécanique automobile sur le terrain d’à côté, et il y a environ un mois, il a vu arriver les Roms.
Le riverain : – Des hommes de femmes des enfants beaucoup personnes, oui. Ça fait deux cents personnes.
Le reporter : – Il ne connaissait ni le jeune homme ni ses agresseurs.
Le riverain : – Je ne sais pas pourquoi taper lui. Je n’ai pas connaître les personnes qui tapaient.
Le reporter : – Mais il évoque des cambriolages récents et acquiesce quand on l’interroge sur une possible vengeance de la part de certaines personnes venues du quartier des Poètes de l’autre côté de la nationale 1.
Le riverain : – Ici, normalement, ici, la zone, Pierrefitte, Sarcelles, tout le monde est… Ça, c’est comme ça, nickel, avant des personnes qui arrivaient ici. Comment arrivé ça ici, c’est problème grave.
Le reporter : – Le maire de Pierrefitte, Michel Fourcade, évoque lui la rancœur des habitants envers les Roms :
Le maire : – Les habitants du quartier m’avaient fait remonter qu’ils étaient excédés de voir des cambriolages et de voir des véhicules dégradés.
Le reporter : – Le jeune homme roué de coups vendredi était connu de la police pour des vols.
Ce texte est la transcription d’une correspondance de France Info, diffusée le mardi 17 juin à 6H36, suite à l’agression d’un Rom de 17 ans dans une commune de Seine-Saint-Denis, retrouvé, entre la vie et la mort, dans un chariot de supermarché.
Dans cette correspondance, on apprend qu’un travailleur débonnaire, roumain sans être Rom, a vu arriver non pas des Roms mais, est-il indiqué, les Roms : ceux de nulle part venus installer leur campement, repartis très vite, laissant derrière eux leurs détritus au mépris de l’environnement, au mépris de la tranquillité des lieux, après qu’ils ont fui comme on signe son crime. On apprend aussi que le maire est à l’écoute des habitants, définis par leur fonction, face aux Roms, définis par leur appartenance ethnique et qui ne sont apparemment pas comptés parmi ces habitants : des Roms qui d’évidence n’habitent pas, ni là ni ailleurs, vu qu’ils fuient. On apprend enfin quel récidiviste est le jeune homme, connu de la police, dont les méfaits s’associent si naturellement aux méfaits perpétrés dans le quartier.
Les Roms sont arrivés, il y a eu des vols, le Rom était un voleur… Que conclure de ce syllogisme, sinon ce qu’un certain bon sens porte immanquablement à penser. Car dans ce texte construit en entonnoir, la dernière phrase est comme un étranglement par lequel une évidence s’impose, une évidence dont la formulation est confiée à l’intimité du lecteur/auditeur du texte. Une formulation qu’on est comme amené malgré soi à produire.
Car ce qui dérange par-dessus tout dans ce texte, c’est que la conduite de cette correspondance suit le cheminement de pensée des justiciers du quartier, elle fait que le lecteur/auditeur est mis à hauteur des lyncheurs en patrouille. Chacun se voit, comme eux, représentant d’une majorité silencieuse et non moins compréhensif quant au théâtre de la haine ordinaire ainsi qu’aux horreurs qu’elle occasionne, et dont il n’est rien dit : la barbarie des poètes de l’autre côté de la nationale 1.
Alain Hobé.