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Billet de blog 2 avril 2022

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Avril 2022 : quatre ans après, une semaine avant...

Il y a 4 ans, je quittais la politique. À une semaine de la présidentielle, quelques souvenirs me reviennent. Sans mémoire, le risque est de se leurrer sur ce qui nous arrive. Sous couvert de ne pas être « angélique », la gauche s’est laissée contaminer par des concepts du champ de l’extrême droite. Elle a ouvert la voie à un discours d’une violence qui n’aurait jamais pu exister il y a dix ans.

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Il y a 4 ans, quasiment jour pour jour, j’annonçais quitter la vie politique partisane.

Pendant dix-sept ans, j’y avais intensément consacré ma vie. Ecologiste viscéralement attachée à la justice sociale. Verte convaincue qu’une coalition de gauche et écologiste, respectueuse et diverse, était la clé de l’accession au pouvoir et de la mise en œuvre d’un projet de transformation. Cela a en effet permis plusieurs victoires entre 2009 et 2011 et  celle, majeure de 2012. Elle m’a donné la chance de devenir ministre – j’écris « chance » car j’ai pu vérifier que la politique pouvait vraiment être utile et que l’action publique faire bouger les choses. Malgré la violence des attaques et le prix à payer je considère ce travail, et notamment celui autour de la loi ALUR, comme une fierté.

Mon départ du gouvernement, décision libre et difficile mais contrainte par la réponse politique que j’estimais absolument contraire au message envoyé par nos électeurs lors des municipales de 2014 m’a obligée à tirer le bilan de cette stratégie. Je l’ai fait dans un livre : « De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion ».

Il ne s’agit pas pour moi de donner des leçons, au contraire, mais à une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, dix ans après la victoire de 2012 pour laquelle, alors cheffe de parti, j’avais intensément œuvré de me souvenir. Mes fonctions de DG d’Oxfam France me conduisent à ne pas m’exprimer dans le champ partisan mais m’autorisent la mémoire : s’alarmer du risque de l’accession au pouvoir de Marine Le Pen, qui plus est quand elle a fait le choix d’une campagne axée sur les questions sociales, sans regarder lucidement ce qu’a pu être la responsabilité des acteurs de ces dernières années, n’est pas possible.

Je crois depuis longtemps que sous couvert de ne pas être « angélique », la gauche s’est laissée contaminer par des discours qui ne relevaient, pendant très longtemps, que du champ de l’extrême droite. Effet prévisible, cela a ouvert la voie à un discours d’une violence qui n’aurait jamais pu exister il y a dix ans.

Cette préoccupation n’est pas nouvelle, elle était déjà mienne en 2013, membre du gouvernement lorsque le ministre de l’intérieur d’alors avait dit un matin à la radio que les roms avaient « des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation ». 

Je note d’ailleurs que ce sujet qui faisait la une des journaux et semblait être l’alpha et l’oméga des enjeux dits « sécuritaires » a disparu depuis de l’agenda médiatique.  J’avais envoyé une lettre au président de la République que je n’ai rendue publique que parce qu’il s’est permis d’écrire dans un livre que je lui aurais envoyé une lettre d’excuses. Presque dix ans après je n’en retire toujours pas un mot.

L’issue funeste semble se rapprocher, le débat public a comme bu un poison, les cinq dernières années n’ont pas permis d’élaborer l’antidote au contraire, un homme multi-condamné pour incitation à la haine raciale a pu réunir suffisamment de signatures pour pour être candidat. La responsabilité de tous est lourde, il nous faut donc comprendre sans excuser et assumer mais refuser plus que jamais de baisser les bras.

Ne pas baisser les bras, c’est savoir aussi que, quoiqu’il arrive, la politique ne se fait pas seulement au moment du vote : les gilets jaunes étaient de fait un mouvement politique, les signataires de l’affaire du siècle ont agi politiquement : l’État a été condamné pour inaction climatique, le mouvement contre la loi sécurité globale a remporté des succès, les membres de la convention citoyenne pour le climat, malgré la déception du résultat, ont montré la force de la délibération et des échanges.

C’était mon choix il y a 4 ans : croire à la force du pouvoir citoyen et plus que jamais j’y crois et, comme je l’espère le plus d’entre nous, j’irai voter dimanche 10 avril. Pas seulement parce que c’est un devoir de citoyenne mais aussi parce que c’est un droit conquis de haute lutte et pour lequel des milliers de femmes se sont battues pendant si longtemps.

*****

La lettre de 2013 :

Villeneuve St Georges,

Le 29 septembre 2013,

Cher François,

J’écris bien sûr au président de la République mais surtout, puisque je n’utilise aucun canal officiel, à celui qui occupe la fonction plutôt qu’à la fonction elle-même.

Ce qui s’est passé la semaine dernière a une cause – et tu le sais puisque je t’ai très vite alerté : mardi matin, quand le ministre de l’intérieur s’est invité sur France Inter, il a prononcé deux phrases très lourdes de sens. Deux phrases qui légitiment la discrimination d’un groupe de personnes en raison de leur origine pour parler froidement comme un juriste.

J’ai trouvé effarant qu’une telle digue – intellectuelle et politique – soit franchie. Je le dis posément, près de de mes filles qui dessinent : oui, le pacte républicain implique la reconnaissance de l’égalité, qu’il n’y a pas de catégories de personnes dont la naissance ou la culture les condamneraient à la marginalité ou à l’exclusion.

Je t’ai donc alerté très vite, tu n’as pas répondu. Je suis donc venue te voir le lendemain après le conseil des ministres pour te dire que je trouvais ça grave et pourquoi je m’étais retenue de m’exprimer mais que les choses ne pouvaient pas en rester en l’état. Je n’avais pas l’intention de rajouter du désordre gouvernemental au trouble sincère que ses propos avaient provoqué. Tu avais su fermer le ban sur le regroupement familial. Cela avait suffi. Le lendemain matin j’étais à côté du Premier ministre lorsque j’ai appris qu’autour de toi – ou toi – on laissait filtrer que tu approuvais son expression.

Nous avons vécu cela – en moins grave – à l’été 2012. La question était théoriquement définitivement réglée par la circulaire du 26 aout et sa rédaction ferme la porte à toute possibilité de jouer avec les bas instincts du populisme stigmatiseur.

Malgré cela – et le Défenseur des droits a beau jeu de le rappeler – cela a été très difficile. C’est pourquoi je n’accepte pas un instant un procès en irresponsabilité. J’aurais pu depuis des mois expliquer que Manuel demandait aux préfets de ne pas respecter la circulaire, m’indigner de la dimensions personnelle, obsessionnelle et inefficace qu’avait pris son combat, trouver que c’était bien médiocre de se constituer une image d’homme fort en écrabouillant au bulldozer des cabanes dans lesquelles vivent des hommes et des femmes en haillons qui nourrissent leurs enfants en fouillant les poubelles des restaurants. Je n’ai rien dit, j’avais décidé d’attendre avril et d’enfin mettre en place les réponses dignes et pas si compliquées sur lesquelles nous avons travaillé avec l’appui du Premier ministre.

J’avais donc opté  pour la discrétion et la patience – et aussi pour serrer les dents. C’était sans doute une erreur, cela a été pris pour de la faiblesse et du renoncement. Je me disais – et j’expliquais aux associations – que nous nous tenions prêts pour après les élections quand les nouvelles équipes auraient les moyens d’agir sans crainte d’instrumentalisation.

L’instrumentalisation – nous voilà au cœur du sujet – croire un instant qu’en embrayant sur les thèmes du Front national, cela le ferait reculer est une illusion – Sarkozy en a fait la démonstration – et une faute parce que cela permet à ses idées de percoler plus profondément dans la société. Lorsque c’est d’un gouvernement de gauche que vient une parole qui accrédite une action basée sur la discrimination, on lance un processus dont personne ne peut imaginer l’issue, mais dont la seule crainte que celle-ci soit funeste disqualifie définitivement cette tentation.
La Cinquième République, plus encore depuis le quinquennat, tient le président dans une mâchoire d’acier : un pouvoir sans égal dans les démocraties mais aussi l’incarnation dernière, le rempart nécessaire – ou un avilissement collectif comme nous l’a fait vivre ton prédécesseur.
Si l’on accepte d’être ministre, on accepte la loyauté et je l’ai acceptée. Je crois n’y avoir jamais fait défaut. Mais il y a une forme de réciprocité : tu ne peux pas exiger de moi l’obéissance à une ligne qui s’imprimerait, sans jamais avoir été discutée et qui est en opposition avec le cœur de mes – nos ? – convictions.
Cette lettre a ce but, simple et franc, de le dire sans fadeur ni chantage. J’ai résolument fait le choix depuis jeudi de n’alimenter en rien une polémique que – je le rappelle – je n’ai pas créée. La droiture m’oblige à la constance de mes positions, au fil des années. Je ne retire pas un mot à ce que j’ai dit.
Très sincèrement,
Cécile

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