Introduction
Éléments structurants du projet de transport du Grand Paris Express, les gares sont appelées à devenir la vitrine de la métropole comme espace de reconstruction de la ville sur la ville, répondant aux défis formulés par l'article premier de la loi du Grand Paris n° 2010-597 du 3 juin 2010, mais également par le Schéma Directeur de la Région Ile de France (SDRIF).
La production de normes législatives concernant la construction métropolitaine, initiée par la loi sur le Grand Paris, a polarisé très vite le débat politique et juridique autour de la seule problématique de mobilité. Parallèlement, les enjeux spécifiques d'aménagement urbain de la région capitale, pourtant indissociables de la réalisation des objectifs précités ont fait l'objet de peu de dispositifs législatifs spécifiques, relevant le plus souvent de politiques sectorielles, contractuelles ou de documents de planification dans un contexte d'évolutions institutionnelles permanentes.
Concrètement, des périmètres d'intervention et de renouvellement urbains ont été définis autour des 68 gares du futur réseau du Grand Paris Express, justiciables de "contrats de développement territorial". D'autres procédures particulières ont par ailleurs impacté ces espaces, notamment celle initiée conjointement par la métropole du Grand Paris et la Société du Grand Paris dans le cadre des appels à projets « inventons la métropole du Grand Paris » qui touchent un nombre important de quartiers de gare.
Ces différents outils, parfois dérogatoires au droit commun, tout comme l'enchevêtrement des intervenants interroge sur la capacité des pouvoirs publics à produire une dynamique cohérente pour ces territoires qui recèlent des potentialités fortes pour répondre aux questions de la visée métropolitaine. La multiplicité des acteurs aux intentions différentes voire contradictoires comme la place de plus en plus forte des intérêts privés dans ces procédures peuvent laisser craindre un abandon progressif ou partiel du pilotage stratégique et programmatique globale de la production urbaine sur le territoire métropolitain et particulièrement autour des gares du Grand Paris Express.
Il convient ainsi de comprendre comment la définition et le choix des procédures d’aménagement engageant une répartition spécifique des responsabilités entre les différents acteurs conduisent à cibler différemment les bénéficiaires de ces politiques et actions (ou comment le « par qui ?» conditionne le « pour qui ?»).
I/ De l’ambition politique au projet législatif du Grand Paris : une volonté de reprise en main par l’État de l’aménagement en Île-de-France et la création d’outils dédiés
Le projet du « Grand Paris », initié par le Président Nicolas Sarkozy dans son discours du 26 juin 2007 lors de l’inauguration du nouveau terminal de Roissy, lui avait permis de relancer l’idée d’un imaginaire collectif sur l’avenir de ce territoire particulier et spécifique. Un souffle indéniable a été donné à cette projection par la consultation internationale d’architecture.
Cette stratégie novatrice a suscité un intérêt fort de la part de l’ensemble des acteurs de la ville tout comme des habitants, comme en témoigne le succès du débat public organisé par la commission nationale du débat public. Ce faisant, le Président de la République de l’époque a engagé une reprise en main symbolique et opérationnelle par l’État du devenir de la région capitale.
Une démarche qui s’inscrivait en totale opposition avec les différentes initiatives locales légitimes telles l’élaboration du Schéma directeur de la Région Île-de-France en 2008 par la Région elle-même ou encore la création du syndicat mixte Paris Métropole en juin 2009.
Le projet du Grand Paris, dans l’imaginaire collectif et dans le vécu des acteurs, ne peut donc se résumer au projet de transport tel qu’il s’est incarné dans le projet de loi du Grand Paris du 3 juin 2010.
Il s’agit d’abord d’un projet d’aménagement, témoignant d’une vision pour l’avenir de la région capitale, cristallisant des enjeux de pouvoir institutionnel au service d’une vision libérale.
En tout état de cause, par l’affirmation du caractère étatique de ce projet métropolitain, le pouvoir en place a installé un climat favorable à l’idée que l’évolution urbaine et institutionnelle de l’espace métropolitain francilien serait fixée par une impulsion de l’État, entérinée par le Parlement et imposée par en haut aux collectivités territoriales.
C’est à ce titre que la loi du 3 juin 2010 a créé une forme de gouvernance à la main de l’État.
Ainsi, alors que ce projet aurait dû dans son exécution revenir à la Région et donc au Syndicat des Transports d’Île-de-France (STIF - devenu aujourd’hui Île-de-France Mobilités) qui disposait de la compétence « transport » depuis 2004, la loi a préféré créer une nouvelle structure dénommée « Société du Grand Paris » (SGP), établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC).
L'article 8 en organise la gouvernance : l’État y est majoritaire, contrairement au STIF où l’État n’est plus représenté.
L’article 7 de la loi de 2010 donne également à la Société du Grand Paris des compétences en termes d’aménagement comparables aux établissements publics d’aménagement (EPA).
Une vision initiale particulièrement verticale puisqu’à défaut d’accord avec les collectivités, et dans un périmètre de 400 mètres autour des gares, ce qui équivaut pour un réseau comportant 68 gares à une surface de 34 kilomètres carrés (soit l'équivalent du tiers de la superficie de Paris intra-muros), la Société du Grand Paris pouvait agir en dépit et même contre l’avis des collectivités au travers de projets dits « connexes ».
Il s’agit donc bien d’un outil législatif extrêmement autoritaire et attentatoire aux libertés communales et intercommunales.
Les contrats de développement territorial ont, pour leur part, été prévus à l’article 21 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Ceux-ci constituent le socle du partenariat entre les collectivités locales et l’État dans une logique de territorialisation des objectifs du Grand Paris.
Particulièrement, les contrats de développement territorial (CDT) fixent des objectifs « en matière d'urbanisme, de logement, de transports, de déplacements et de lutte contre l'étalement urbain, d'équipement commercial, de développement économique, sportif et culturel, y compris en matière d'économie sociale et solidaire, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et des paysages et des ressources naturelles ». Ils doivent concourir à la réalisation de l'objectif de construction de 70.000 logements socialement et géographiquement adaptés sur l'ensemble de la Région Île-de-France.
Notons que ces contrats peuvent venir en totale contradiction avec les documents locaux d’urbanisme, qu’il s’agisse des plans locaux d’urbanisme (PLU), des schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou du schéma directeur régional (SDRIF).
Leur qualification en "projets d’intérêt général" contraint alors à la modification des documents d’urbanisme préexistants de rang inférieur, confirmant ainsi l’idée d’une potentielle reprise en main par l’État de l’aménagement sur ces territoires par les outils programmés dans la loi.
II / Un décalage entre les intentions initiales de la loi et le processus en cours
1/ les CDT et la difficile émergence de la Métropole du Grand Paris
Les dispositifs introduits, tout comme les ambitions initiales ont laissé place à l’appropriation par les territoires des nouveaux dispositifs et de la recherche de compromis permettant d’engager concrètement une production métropolitaine adossée au nouveau réseau de transport.
Face à la menace de laisser la Société du Grand Paris et l’État agir sans l’accord des territoires concernés, les collectivités ont joué le jeu des contrats de développement territorial.
Quatorze contrats de développement territorial ont été signés jusqu’en 2014. La production de ces contrats a amené les collectivités territoriales à produire un travail de prospective urbaine à l’horizon de 2030.
Pourtant, et à l’image des travaux issus de la consultation internationale, dont les architectes eux-mêmes avaient déploré la sous-utilisation, ces contrats souffrent aujourd’hui, non seulement d’un manque de financements publics s’inscrivant dans un contexte de contraction budgétaire global, mais également d’une absence de pilotage stratégique pour ces territoires.
Faute de s’inscrire dans un contexte cohérent et stable, les contrats de développement territorial n’ont aujourd’hui aucun rôle opérationnel direct.
L’arrivée de la Métropole du Grand Paris au 1er janvier 2016, des établissements publics territoriaux et l’achèvement de la carte intercommunale ont par ailleurs rebattu les cartes et déstabilisé les dynamiques engagées. Encore aujourd’hui, l’ensemble des acteurs sont dans l’attente de la prise en charge complète par la Métropole du Grand Paris des compétences qui lui sont dévolues par la loi et notamment de la définition de l’intérêt métropolitain.
L’absence d’un Schéma de Cohérence Territorial (SCOT) métropolitain, pourtant initié dès 2017, marque également l’absence d’une vue globale et structurante puisque celui-ci devrait donner le cadre pour l’élaboration des nouveaux plans locaux d’urbanisme intercommunaux imposés par la loi dans une relation de compatibilité.
Tout cela conduit aujourd’hui nombre d’acteurs à déplorer la « faiblesse structurelle de la gouvernance métropolitaine ». [1]
2/ Les appels à projets innovants IMGP
C’est dans ce cadre et dans le but de renforcer sa légitimité que la Métropole du Grand Paris a lancé dès sa création en 2016, en lien avec la Société du Grand Paris et l’État, les appels à projet urbain innovant (APUI) « inventons la métropole du grand Paris » (IMGP1), une première session qui sera suivie d’une seconde.
Selon la Métropole du Grand Paris, « il ne s’agit pas de multiplier les objets architecturaux exceptionnels, mais bien à travers des projets, de créer des quartiers entiers incarnant modernité et dynamisme » dans une logique de « carte banche » puisque s’appuyant sur un cahier des charges très ouvert.
Faisant ce choix, la Métropole du Grand Paris s’est inscrite dans la démarche engagée par la ville de Paris, intitulée « réinventer Paris ». Pour autant, si le procédé est le même, il faut souligner des différences importantes. Premièrement, un changement d’échelle lié à la taille des projets et des parcelles, mais également par les caractéristiques des groupements candidats qui marquent le retour des « gros » opérateurs[2].
L’issue de ce concours IMGP dans sa première tranche a permis de retenir 51 projets, dont 19 à proximité des gares du Grand Paris Express, concernant ainsi près d’un tiers des futures gares du Grand Paris Express et représentant au final près de la moitié de la surface des quartiers de gare, soit 1,2 million de mètres carrés.
La qualité des propositions rendues et retenues témoigne d’une volonté réelle de répondre aux défis environnementaux, par l’intégration de modèles circulaires ou par l’apparition d’une véritable agriculture urbaine. Elles ont également articulé finement les fonctions urbaines de logement (construction de 9000 logements prévus), d’économie, d’équipements à destination du public (lieux culturels ou de loisirs, crèches, écoles, maisons de santé,) ou de loisirs (auberges de jeunesse, restaurants, hôtels, centres commerciaux).
Parmi ces projets, certains ont par ailleurs eu vocation à créer de fortes polarités territoriales par la création d’équipements à rayonnement métropolitain.
Parmi les atouts de cette procédure, il faut considérer la possibilité de construire de nouveaux regroupements professionnels autour de projets urbains pour répondre aux APUI permettant de sortir des chaînes traditionnelles d’aménagement avec des opérateurs aux rôles parfois définis, voire prédéfinis, conduisant à une standardisation de la production urbaine.
Une telle démarche a permis d’apporter plus de souplesse et une approche diversifiée de la production urbaine, y compris, en travaillant la notion de temporalité dans l’occupation de l’espace par des projets largement évolutifs et une valorisation des occupations provisoires.
Pourtant, ces nouvelles pratiques de l’aménagement interrogent : le rôle de la puissance publique représentant la légitimité démocratique, est-il simplement d’accompagner les communes volontaires dans la mise à disposition des terrains et de choisir entre différents projets aux logiques propres ou à l’inverse doit-on considérer que la nature même de la puissance publique oblige à la création d’un cadre structurant d’aménagement, incarné par un cahier des charges appuyé sur une vision programmatique elle-même fondée sur le diagnostic des besoins d’intérêt général à satisfaire ? La puissance publique doit-elle garder l’initiative de la programmation urbaine ou peut-elle se satisfaire d’un simple rôle de coordination ?
Si arbitrage il doit y avoir, ce n’est donc pas a priori entre différents projets singuliers et situés, mais bien entre logiques d'intérêts dans l’aménagement urbain, des intérêts parfois antagoniques, relevant d'une réponse et d'arbitrages par des instances démocratiques plutôt que par un jury (même si la commune a le dernier mot).
3/ les conséquences en termes de programmation urbaine
L’étude de l’Atelier d’Urbanisme de Paris (APUR) [3] a souligné en prenant appui sur les 16 quartiers de gare de la ligne 15 sud, l’insuffisance de prévision d’espaces verts dans ces programmations, une absence qui pourrait résulter de la volonté de valoriser au maximum le foncier disponible dans les projets présentés.
L’étude note ainsi que « l’étude des 80 projets n’apporte pas toujours de réponse satisfaisante à la question de la qualité des espaces publics qui sont créés dans les quartiers de gares du Grand Paris Express ». Ce diagnostic a été confirmé dans l’étude de l’APUR [4] sur les 35 quartiers de gares mises en service d’ici 2025 qui déplore « le peu de création d’espaces verts publics dans les projets ».
À l’heure où la crise du COVID a révélé l’importance de travailler les espaces communs, cette absence semble particulièrement problématique.
Concernant particulièrement les APUI, l’étude de l’APUR de novembre 2019 a également souligné que sur les 14 APUI concernant les 35 quartiers de gare mises en service d’ici 2025, 4 projets n’engagent aucune création de logements sociaux alors qu’à l’inverse l’ensemble des projets prévoit la création d’espaces commerciaux[5].
Dès lors, on peut établir l’hypothèse que d’autres intérêts que ceux de la qualité des espaces publics et des espaces naturels ou que ceux liés à la réponse aux besoins sociaux ont prévalu dans la définition de ces projets.
Cela est d’autant plus vrai que ce floutage de la chaîne d’aménagement se conjugue aujourd’hui avec une confusion toujours plus marquée entre intérêt public et intérêt privé comme en témoigne les logiques de pantouflage et de retro pantouflage, y compris au sein des opérateurs d’aménagement.
Cette forte place laissée à l’initiative privée trouve un élément de réponse dans les modalités mêmes de financement de ces projets.
En effet, faute de financement public à mobiliser, l’objectif assumé est bien de permettre le financement privé sur ces territoires (de l’ordre de 7 milliards pour le premier appel à projets, dont 4, 2 milliards sont mobilisés sur les quartiers de gare) dont le foncier - le plus souvent des friches industrielles, serait cédé par la collectivité ou une entité publique pour en faciliter la réalisation.
Il n’est pas question ici de remettre en question le financement privé dans les opérations d’aménagement, il est incontournable. Il n’est pas question non plus de remettre en question la place de la promotion privée. La question est bien celle de savoir s’il convient de lui laisser l’initiative de la définition de la nature de ces opérations au motif qu’elle en assume le financement.
4/ Un glissement de la responsabilité de la programmation urbaine couplé à un éclatement de la vision métropolitaine
Au final, par ce type de contrat, la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage passe clairement de la puissance publique au candidat/groupement de l’appel à projet, le plus souvent des investisseurs devenus aménageurs par l’intermédiaire de filiales dédiées.
La « carte blanche » présentée comme le moteur de l’innovation des APUI ne risque-t-elle pas finalement, et en dépit de sa volonté de bousculer les chaînes d’aménagement, de conduire à un renforcement des logiques financières lié au poids des investisseurs dans les groupements candidats ?
Un spécialiste de la promotion immobilière relativisait en ces termes les capacités d’innovations des APUI : « Ici réside la principale innovation liée à l’apparition des API : on cherchait auparavant à masquer l’ordinaire du projet à travers la séduction des images ; on cherche désormais à dépasser la seule notion d’immobilier pour mettre en valeur les usagers et les modes de vie. Malgré cette évolution, un écueil demeure : celui de valoriser l’accessoire au lieu de l’essentiel, en masquant derrière un discours d’innovation la permanence des modèles immobiliers existants. »[6]
Les retours d’expérience montrent, en ce sens, qu’un certain nombre de projets (8 sur 51 dans le cadre de IMGP 1) ont été abandonnés ou que certains intervenants innovants souvent issus de modèles alternatifs ont décidé de jeter l’éponge , rattrapés dans l’opérationnalité par les logiques financières.
Par ailleurs, limiter l’intervention publique à des APUI sans autres modalités d’opérationnalité et sans que ceux-ci ne s’inscrivent dans une stratégie globale métropolitaine peut conduire à un effet de saupoudrage, mais également à une forme de renoncement pour les collectivités publiques à porter une vision de l’aménagement de la métropole répondant à des objectifs d’intérêt général.
L’impossibilité dans le cadre des APUI de produire des équipements publics traduit clairement ce renoncement de faire de l’aménagement le support de politiques publiques.
En pastillant l’espace métropolitain, ces procédures particulières d’aménagement ouvrent enfin le risque d’une perte de cohérence de l’ensemble, interrogeant sur l’existence même d’une stratégie métropolitaine globale des différents acteurs et notamment de la Métropole du Grand Paris.
Cette stratégie laisse finalement la possibilité dans certains territoires de privilégier des produits d’aménagement rentables sur la réponse aux besoins sociaux, dont la satisfaction devrait pourtant rester la mission première des institutions publiques.
Finalement, le dirigisme et la verticalité du projet initial du Grand Paris traduisant le concept de « l’État fait pour vous » a cédé la place à « l’État encourage les territoires qui ont des projets » voire même aujourd’hui à « l’État et les collectivités arbitrent entre les différents projets privés » … un dispositif aux résonnances et aux conséquences différentes selon la diversité des réalités territoriales sur le périmètre des gares du Grand Paris.
III / Un repli des stratégies publiques qui s’accompagne d’un changement de nature du projet métropolitain
1/ L’incapacité par ces outils de programmation urbaine à répondre aux besoins sociaux
Même si les procédures d’APUI restent minoritaires dans les procédures d’aménagement, elles témoignent d’un changement de paradigme faisant de l’investisseur le pivot des politiques d’aménagementdésengagement du public faute de financement à mobiliser.
C’est dans ce cadre d’un pilotage public laissé vacant que les acteurs privés et notamment les promoteurs ont continué d’avancer sur les opportunités de ces territoires, que ce soit par la promotion diffuse, par la réponse au sein de consortium dans le cadre des APUI, en lien avec la SGP pour les projets connexes, ou encore le plus couramment par les schémas classiques d’aménagement à travers les Zones d’Aménagement Concerté (ZAC).
Cet engouement est justifié. La plaquette institutionnelle de la Société du Grand Paris, intitulée « accélérateur de développement » à destination des investisseurs et des entreprises met ainsi en avant la dynamique engagée et des opérations avec un retour sur investissement estimé de 7 à 8 %. Elle indique très clairement que « la présence de nouvelles gares donne de la valeur à des terrains aujourd’hui sous-utilisés, car mal desservis et enclavés ».
Aujourd’hui, plusieurs projets dits connexes dont certains relèvent d’ailleurs des APUI sont en cours sur différents sites (Aulnay, Bagneux, Bry/Villiers/Champigny, Châtillon/Montrouge, Créteil, Issy, Kremlin Bicêtre, La Courneuve et les Ardouanes). On en dénombre 22 dans les 35 quartiers de gares mises en service d’ici 2025.
On peut observer que ceux-ci reposent essentiellement sur des offres reposant sur le triptyque bureaux/logements/commerces. On notera particulièrement que sur les 22 projets connexes aux gares devant être mises en service d’ici 2025, au moins 7 projets, soit un tiers, ne projettent aucune construction de logements sociaux.
De manière générale concernant la production sociale, en prenant l’exemple de la ligne 15 qui a fait l’objet d’une étude par l’APUR, on constate que sur les 16 gares concernées et pour les logements sociaux agréés entre 2015 et 2017, la proportion de Prêt Locatif Sociaux (PLS) (et donc l’offre de logement la moins accessible) reste prépondérante, représentant 38% de l’offre nouvelle alors qu’elle représente déjà plus de 90% du stock.
Sur l’ensemble des 35 gares devant être mises en service d’ici 2025, le ratio de construction est le suivant : 33% de PLAI, 32% de PLUS et 35% de PLS, alors que l’existant est déjà composé à 88% de PLUS. [7]
La conclusion est simple : les objectifs de production urbaine métropolitaine sont donc aujourd’hui directement soumis à la rentabilité de ces opérations, et ce même dans la production sociale. Ce qui s’explique également par la quasi-disparition des aides à la pierre et aux grandes difficultés des bailleurs sociaux avec les réformes en cours liées à la mise en œuvre de la réduction loyer solidarité (RLS).
On notera également, y compris dans la promotion sociale, que la taille des logements produits ne correspond pas à la demande. Ainsi, 64% de la production sociale concerne des 1-2 pièces. À l’inverse, la part de production de grands logements est ultra minoritaire, ce qui exclut les familles. Une telle structuration de production à l’heure où nos concitoyens ont particulièrement souffert de la proximité durant la crise du COVID doit nous interpeller.
C’est donc bien la nature même de la production métropolitaine qui par ces processus interroge sur la capacité du projet à contribuer à la réduction des déséquilibres sociaux et territoriaux, objectif prioritaire affirmé par la loi du 3 juin. Ainsi, la nature même du projet du Grand Paris se trouve infléchie par ces procédures d’aménagement et les structures qui les portent obéissant à des logiques propres.
2/ Une métropole qui continue de se fracturer et de se segmenter, renforçant le déséquilibre Est/Ouest
La courbe des prix de l’immobilier sur les territoires du Grand Paris éclaire la question de la maîtrise des objectifs urbains autour de ces gares.
Dans une étude publiée le 30 janvier dernier[8], les notaires ont en effet compilé les évolutions de prix des appartements anciens, dans un périmètre de 800 mètres à vol d’oiseau autour de chaque future station. Les hausses les plus sensibles sont surtout constatées autour des futures lignes 14 et 15, soulignant des augmentations de plus 60% sur les dix dernières années.
Plusieurs phénomènes peuvent être observés dans cette étude :
Premièrement, tous les territoires ne bénéficient pas d’un « effet métro ». Ainsi, les territoires situés en Seine-Saint-Denis, notamment pour les gares situées sur la ligne 16, les prix ont même baissé : -17 % pour les gares de Clichy-Montfermeil, -15% et -12% pour les gares de Sevran, -7% et -6% pour les gares de Bondy. Échappent à cette baisse, les gares de Saint-Denis Pleyel et Rosny Bois Perrier qui vont bénéficier du prolongement de la ligne 11 du métro, sortant donc du strict apport du métro en rocade.
À l’inverse, là où la spéculation était déjà présente, celle-ci se trouve renforcée : par exemple dans les territoires déjà en forte mutation au nord de Paris, comme autour de la gare de Saint-Ouen et de Saint-Denis, avec une augmentation allant jusqu’à 76%, mais également dans les territoires au Sud-Ouest de Paris.
Par ailleurs, si l’on croise les données des notaires sur l’évolution des prix de l’immobilier et la structuration sociale des territoires en question, on se rend compte que là où les ressources des habitants sont les plus faibles, les prix de l’immobilier ont continué à décroître.
À l’inverse, les territoires où les ressources par habitant sont les plus fortes sont ceux où l’effet métro sur le stock (immobilier ancien) est le plus marqué : il s’agit par exemple de Saint-Cloud (+27%) , Saint-Maur (+24%) , Nogent-le-Perreux (+28%), Versailles Chantiers (+30%) ,Bécon-les-Bruyeres (+45%), Issy RER (+ 48%), Bois-Colombes (+45%), ou Pont de Sèvres (+54%).
Ces données sont enfin à croiser avec les données de présence de logements sociaux sur ces territoires.[9]
On peut alors conclure que les territoires les plus pauvres, sur lesquels l’offre sociale est déjà présente, ont continué leur déprise. La gare, en elle-même n’est pas un équipement suffisant pour relancer la dynamique d’un territoire. L’étude de l’APUR de novembre 2019 confirme cette donnée en indiquant que « seule la dynamique collective qui associe les projets liés à l’arrivée de la gare et projets engagés dans les quartiers prioritaires est à même de garantir le développement urbain attendu ».[10]
À l’inverse, les territoires aux populations aux revenus moyens les plus élevés témoignent d’une forte pression immobilière et d’une envolée des prix. Ces territoires sont ceux-là même où il existe peu de logements sociaux, en deçà de 15%. Il s’agit par exemple des communes de Versailles, Becon-les-bruyères, Saint-Cloud, Bois colombes, Saint-Maur ou encore Nogent.
On notera d’ailleurs que c’est dans ces territoires que le volume de transactions immobilières sur l’ancien est le plus soutenu comme à Becon-les-bruyères ou à Bois Colombes. À l’inverse sur ces territoires, selon la même étude, « la production sociale récente n’est pas très soutenue alors que l’offre existante n’est pas particulièrement développée et que la loi SRU n’est pas atteinte ».
C’est pourtant précisément là qu’il existe un véritable besoin de renforcement d’une offre de logement adaptée aux ressources des Franciliens et pour lesquels donc, l’arrivée d’une gare aurait dû permettre de corriger ces déséquilibres.
Ces phénomènes conjugués ne peuvent que confirmer la sélectivité sociale et les disparités territoriales puisque là où l’entre soi des « beaux quartiers » existe, il n’est pas remis en cause par l’arrivée des gares.
Comment répondre dans ces conditions aux enjeux de rééquilibrage territorial dans le cadre d’une métropole qui compte encore aujourd'hui 718 000 demandeurs de logements sociaux ? Comment résoudre la crise du mal-logement sur le territoire métropolitain qui touche 10% de la population si l’on n’infléchit pas de manière significative la production sur ces territoires structurants que sont les gares du Grand Paris ? On peut donc légitimement craindre un renforcement des disparités sociales et territoriales sur les territoires de ces gares du Grand Paris Express.
IV / Quid de la promesse métropolitaine dans ces processus d’aménagement ?
Sous couvert de créer une métropole multi-polarisée (comme en témoigne le résultat des APUI qui s'attachent à créer des pôles aux vocations différentes : tourisme, formation professionnelle, sportif, culturel…), les territoires ne définissent pas ce qui les relie, mais au contraire ce qui les différencie, les spécifie dans la compétition territoriale.
Pourtant, égrener des polarités et/ou des équipements au fil d'un réseau de transport en commun ne suffit pas à faire projet d'ensemble. Une telle approche ne permet pas non plus de répondre aux besoins particuliers des territoires concernés à partir de leurs spécificités et de leurs réalités.
Nous pouvons alors nous interroger sur la finalité de ce changement de paradigme de la programmation urbaine. S'agit-il d'un "marketing urbain", encouragé par un système de "zones franches" aux abords des gares du futur réseau dopé par l'intervention dérogatoire de l'État ou d'un choix délibéré d'un pouvoir qui entend réduire le champ de l'action publique et les missions régaliennes de l’État et donc la maîtrise et de la cohérence de l’aménagement urbain des territoires ? Un aménagement sans aménageur…
En réalité, les deux logiques se croisent et se rejoignent laissant craindre le passage de l'État-stratège à l'État-commis des affaires.
Tout cela serait par ailleurs cohérent avec la multiplication des procédures dérogatoires au droit commun pour les projets d’aménagement, que ce soit dans le cadre de la loi sur le Grand Paris, celle sur les jeux olympiques ou encore de la loi dite « ELAN »[11], avec les grandes opérations d’urbanisme. L’argument est toujours le même : innover c’est repenser l’acte de construire, débarrassé de la norme jugée sclérosante et source d’immobilisme… une aubaine pour les majors du BTP !
Cela interroge sur la notion même de la ville et de la métropole, porteuse de promesses d’épanouissement et d’émancipation pour chacun telle que l'avait laissé espérer l’ambition des travaux de la consultation internationale d’architecture, et dans sa suite l’atelier international du Grand Paris.
La construction métropolitaine doit pourtant garantir non seulement des plus-values financières pour les investisseurs, mais surtout des plus-values de vie et de services pour les habitants. C’est-à-dire devenir un outil d’égalité.
Si la construction métropolitaine se voyait confisquée aux intérêts populaires alors le risque de fracture se trouverait renforcé accentuant le divorce aussi bien psychologique et subjectif que concret dans le vécu des habitants.
Ainsi, le désengagement public de la production métropolitaine laisse craindre la montée en puissance d’une conception de l’espace public non pas comme un bien commun, mais comme un simple espace commercial, comme un simple produit marchand.
Ce nouveau paradigme permettant un partage assumé de la programmation urbaine entre promoteurs et acteurs publics dans le passage d’une logique de programmation à la logique dite de "projet" marque un changement d’objectif passant d’un aménagement support de politiques publiques à un aménagement qui priorise les intérêts économiques sur les autres intérêts. Une telle situation remet gravement en cause les objectifs affichés de la construction métropolitaine tels que définis dans la loi relative au Grand Paris.
Conclusion : De la nécessité de retrouver des outils de pilotage public autour de ces territoires pour construire une métropole utile à ses habitants
Il est important de remettre de l’intérêt collectif dans la construction métropolitaine et une stratégie publique garante de l’utilité globale - économique, sociale, culturelle et environnementale - de ce projet dans ses finalités avec le respect des collectivités comme échelon démocratique.
Il s’agit bien non pas de remettre en cause « l’urbain », mais de remettre cette construction au bénéfice d’objectifs collectifs démocratiquement définis.
Quelque chose semble frappant dans tous les dispositifs de construction métropolitaine : le fort déficit démocratique dans la définition des projets. En effet, en dehors des enquêtes publiques qui sont de plus en plus limitées par le code de l’urbanisme, la participation des habitants aux projets urbains n’est pas la règle, mais l’exception.
Comme signe révélateur de cet état de fait, on notera l'absence des usagers dans les jurys des APUI « inventons la métropole du grand paris ».
L’innovation démocratique est dans cette procédure d’aménagement un simple élément du caractère novateur du projet, un atout pour justifier la sélection de projets. Il ne s’agit donc pas d’un prérequis à l’ensemble des projets présentés.
La seule consultation populaire d’envergure a été organisée par la Commission Nationale du Débat Public sur le projet de tracé du grand paris express, une consultation qui a attiré 55 000 personnes et suscité un intérêt traduit par la profusion de cahiers d’acteurs.
Cette forte participation comme le contenu des cahiers d’acteurs a témoigné de l’appétit des acteurs, institutionnels ou non, pour le devenir de leurs territoires, mais également l’existence d’une multitude de projets sur ces mêmes territoires.
Tout cela constitue une richesse voire un terreau d’innovation pour les politiques publiques à mettre en œuvre. L’innovation peut donc aussi être le fruit de l’imagination collective citoyenne et non simplement de la transformation des modalités de la commande publique.
Malheureusement la participation engagée lors du débat public n’a pas été poursuivie, notamment dans le cadre de la définition des contrats de développement territorial. Il ne s’agit pas d’un élément de surprise puisque la loi elle-même ne la prévoyait pas, au-delà de la procédure classique d’enquête publique.
Ainsi, si l’article premier de la loi relative au Grand Paris mentionne la participation des habitants au projet dans sa globalité, sa déclinaison territoriale l’exclut.
En comparaison, dans les "contrats de ville" issus de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, la participation des habitants est considérée comme nécessaire s’incarnant notamment dans la définition de « conseils citoyen ».
Plus largement, la politique de la ville a, au fil des décennies, évolué d’un strict cadre de rénovation urbaine à la volonté d’une co-élaboration de cette politique avec les habitants. L’expérience a ainsi prouvé qu’au-delà de l’urbain, l’humain est au moins aussi essentiel pour transformer les espaces et les vécus de ces espaces.
L’intérêt philosophique de cette participation est un élément essentiel des travaux d’Henri Lefebvre[12] qui prône l’avènement d’un véritable "droit à la ville" où les habitants, usagers de l’espace et destinataires des politiques publiques, doivent devenir de véritables producteurs de la ville participant pleinement à la richesse créée par leurs usages et non par leur consommation de l’espace.
La construction de la métropole et la construction d’une identité métropolitaine passent donc nécessairement par des procédures de participation et d'intervention des habitants afin qu’ils s’approprient les enjeux spécifiques à cet espace et participent à la définition même des objectifs de cette construction, ceci afin de provoquer leur adhésion à ce projet et la capacité même de celui-ci à répondre aux besoins exprimés.
En ce sens, il conviendrait de redéfinir les contours et les outils d’une programmation urbaine publique pour l’ouvrir à l’innovation sociale, architecturale et urbaine dont les habitants peuvent être eux-mêmes les artisans, les producteurs et les garants.
Le rôle du concepteur et notamment de l’architecte, s’il est protégé et reconnu, doit par ailleurs être repensé comme un puissant moteur d’innovation sociale et écologique, et donc mieux reconnu et protégé dans les procédures d’aménagement.
C’est ainsi en remettant du lien et de l’intérêt collectif qu’un projet métropolitain pourrait réellement s’incarner. Il s’agit au fond de repenser la métropole des usages que l’on est en train de construire par une métropole des communs.
Pour ce faire, il convient avant toute chose de refaire de la ville un enjeu de construction politique et démocratique prioritaire.
[1] Daniel Béhar & Aurélien Delpirou, « Des projets sans boussole ? Quelle place pour « Inventons la Métropole » dans le chantier du Grand Paris ? », Métropolitiques, 7 mai 2018.
[2]« Inventons la Métropole : quand les réinventer changent d’échelle » - Partie Prenante / Le Sens de la ville – 14 mars 2018 (https://medium.com/@nicolasrio2/inventons-la-m%C3%A9tropole-quand-les-r%C3%A9inventer-changent-d%C3%A9chelle-b5f1d7deaf0a)
[3] « Les mutations des quartiers de gare de la ligne 15 sud » mai 2019 - Observatoire des quartiers de gare - APUR
[4] « Les mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris Express – 35 gares mises en service d’ici 2025 » novembre 2019 page 88 – APUR
[5] « Les mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris Express – 35 gares mises en service d’ici 2025 » novembre 2019 – APUR
[6] Jean-Luc Lemarchand, « “Il faut que tout change pour que rien ne change”. Les appels à projets urbains innovants vus par un promoteur immobilier », Métropolitiques, 19 novembre 2018.
[7] « Les mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris Express – 35 gares mises en service d’ici 2025 »novembre 2019 – APUR
[8] Les prix au m² des appartements anciens dans la Métropole du Grand Paris et autour des gares du Grand Paris Express – communiqué de presse du 30 janvier 2020 par Les notaires du Grand Paris
[9] Étude de l’APUR 2017 – observatoire des quartiers de gare – le logement
[10] « Les mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris Express – 35 gares mises en service d’ici 2025 »novembre 2019 page 84 – APUR
[11] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018
[12] Henri Lefebvre, 1968, Le droit à la Ville, Anthropos