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Billet de blog 2 avril 2022

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J'ai 20 ans et je suis terrifiée par l'avenir

Je m'appelle Cécile, j'ai 20 ans. À peine au quart de mon existence, je suis déjà submergée d'idées noires parce que je ne trouve pas ma place dans un monde qui ne m'appartient pas, qui est devenu le jouet de quelques centaines de personnes assises sur des montagnes d'argent. À la découverte des Pandora Papers, j'ai ressenti l'impuissance de la jeunesse à agir face à une sphère dirigeante ultrariche. Ce texte, écrit le 9 octobre 2021, est le fruit d'une colère qui, en temps d'élections, doit être entendue.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

09/10/2021 – Je m’appelle Cécile, je suis étudiante et il y a quelques jours, j’ai failli sauter du sixième étage.

C’était une soirée comme une autre, j’étais seule dans le 9m2 où je vis depuis le début de mes études. Je regardais les réseaux sociaux, défilant inlassablement un fil d’actualité qui, comme d’habitude, était empli de mauvaises nouvelles. Et parmi celles-ci, j’ai découvert l’affaire des « Pandora Papers ». 11 300 milliards de dollars détournés. Ce chiffre m’a frappé. Ce chiffre a résonné dans mon esprit avec celui de 156, le nombre de pays moins riches que Jeff Bezos, ou encore 154, le nombre de pays moins riches qu’Elon Musk. J'ai eu en tête, à ce moment-là, le visage d’un homme à la rue que j’avais croisé un peu plus tôt dans la journée, qui m’avait demandé quelques pièces pour pouvoir manger. J’ai commencé par ressentir de la colère, une colère brute, violente, implacable. Ca aurait pu s'arrêter là, j'aurais pu me contenter de m'énerver une énième fois face à l'injustice du monde, face aux excès et abus d'un système dirigé par les riches, pour les riches. Mais une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, et je suis tombée très peu de temps après sur un second article, qui parlait du fait que l'Union Européenne ait retiré des territoires de la liste noire des paradis fiscaux, à peine quelques jours après la révélation choc des « Pandora Papers ». J'ai ressenti un abattement profond. Un abattement qui m'a pris aux tripes, qui m'a rejeté au visage l'impuissance dans laquelle l'immense majorité de la population est plongée face à ces riches qui se protègent les uns les autres, qui s'entraident, qui renforcent un peu plus chaque jour la forteresse depuis laquelle ils sont inatteignables.

J'ai commencé à pleurer parce que cette impuissance, on la subit chaque jour. Cette impuissance à faire bouger les choses, à obtenir justice, à faire quelque chose contre les inégalités, elle nous ronge chaque jour de l'intérieur. Pendant que des étudiants font la queue pour obtenir un panier de nourriture qu'ils ne peuvent s'offrir et qui leur est pourtant vital, certaines personnes détournent une somme qui constitue plus de 500 millions d'années de SMIC. Pendant que des gens meurent de la famine, certaines personnes détournent une somme dont seulement 2% pourraient éradiquer la faim dans le monde. Pendant que la planète meurt, exploitée à l'excès, certaines personnes détournent une somme dont 42,8% pourraient couvrir les besoins d'investissements qui permettraient de ne pas franchir la barre des 2 degrés de réchauffement entre 2015 et 2030. Le pouvoir se trouve entre les mains d'une classe sociale qui ne se préoccupe que d'elle-même, qui exploite, tue et détruit dans la plus grande indifférence, tandis que l'immense majorité de la population peine à subsister au quotidien. Je n'arrivais plus à m'arrêter de pleurer. J'ai visualisé tout ce qu'il me restait à vivre : des dizaines d'années à contempler la destruction de la planète au profit d'un capitalisme aux limites constamment repoussées, à travailler chaque jour sans pour autant réussir à vivre dignement, à attendre une retraite que je ne peux qu'envisager sur le plan hypothétique au vu de son recul progressif. Des dizaines et des dizaines d'années à subir la toute-puissance d'une classe sociale qui saccage tout en toute impunité. Pendant de longues minutes, je me suis penchée par la fenêtre et j'ai regardé le sol, 18 mètres plus bas, en songeant que la chute serait préférable à ces dizaines d'années qui m'attendent. La jeunesse a peur de l'avenir. La jeunesse est terrorisée à l'idée d'un futur incertain dans un monde où l'inégalité règne en vertu suprême.

Nous avons plus peur de vivre que de mourir parce que nous voyons la planète mourir à petit feu sans pouvoir rien faire. Nous avons plus peur de vivre que de mourir parce que l'impuissance nous étrangle, nous empêche de respirer. Nous avons plus peur de vivre que de mourir parce qu'on ne peut rien faire d'autre que de constater à quel point le monde est laid et à quel point les hommes peuvent être cruels et égoïstes. Je m'appelle Cécile, j'ai 20 ans et je n'ai plus envie de vivre. A peine au quart de mon existence, je suis déjà submergée d'idées noires parce que je ne trouve pas ma place dans un monde qui ne m'appartient pas, qui est devenu le jouet de quelques centaines de personnes assises sur des montagnes d'argent qui grossissent chaque jour. Je parle au nom de tous les jeunes qui ont cette peur de l'avenir et qui portent cette lourde impuissance sur leurs épaules. Il faut que les choses changent. Aujourd'hui, 85 personnes possèdent autant d'argent que la moitié la plus pauvre de l'humanité. Aujourd'hui, la moitié des richesses mondiales sont détenues par 1% de la population. Cela ne peut plus durer. Que quelqu'un nous entende, mais surtout, que quelqu'un nous écoute. Le monde tel qu'il existe aujourd'hui ne peut plus durer, les choses doivent changer. Nous sommes la jeunesse, nous sommes le futur et nous sommes terrifiés.

Je m'appelle Cécile, j'ai 20 ans et j'ai failli me donner la mort car je suis impuissante face à l'injustice du monde. La seule chose qui m'a retenue, c'est que je ne voulais pas faire de peine à maman.

Sources :

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