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Billet de blog 18 juillet 2020

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Chasseurs Cueilleurs (chroniques du bout du monde)

bout-des-mondes, nuit des temps et civilisation contemporaine

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Illustration 1

Le peuple du bout-des-mondes remonte bien au delà de la plus haute antiquité, autant dire à la nuit des temps d’avant l’histoire.

De mémoire d’homme, et aujourd’hui encore, le bout des mondes est peuplé de chasseurs-cueilleurs du néolithique, lesquels, comme leur nom l’indique, pratiquent la chasse et la cueillette mais aussi, comme leur nom ne l’indique pas, la pêche.

Évidemment, avec le temps les techniques de chasse ont un peu évolué. S’il y en a encore quelques uns capables de dresser une lecque ou de choper une truite à la main, on vous dira pas qui, vu que c’est interdit, mais on va pas non plus les dénoncer, vu que c’est pas trois malheureux détenteur de la mémoire des savoir-faire traditionnels qui mettent en péril la survie des petits oiseaux et des poissons… parfois on se dit qu’il faudrait pas les laisser mourir avec leur biais, qu’on aurait peut-être intérêt à apprendre, nous aussi, parce que qui sait où on va ? Qui sait si on serait pas bien contents, un jour, de savoir nous aussi attraper un peu de sauvagine pour survivre ? S’il en reste, de la sauvagine, ou du « nous aussi »…

Bon, en tout cas, il y a du chasseur spécialisé avec carte, fusil, carabine, cartouchière, chien, GPS, talkie-walkie, 4X4, gilet phosphorescent et casquette assortie, tout quoi. Qui chasse le sanglier, comme dans la nuit des temps du néolithique, et quelques autres gibiers, selon arrivage… y a eu du lapin, y en a plus, ça va ça vient selon des processus obscurs, mouflon, plus mouflon, re-cerf, ou pas…

Le chasseur aussi, selon les époques, c’est pas les mêmes variétés. Il y a des invasives, genre citadin-pognon-tout-pour-ma-pomme-je-débarque-je-tire-je-me-tire, des variétés locales solidement implantées, qui connaissent quasi chaque bête par son prénom et celui de son grand-père (non j’exagère bien sûr, mais ils savent à quelle heure il va boire le gros mâle et par où il passe, aussi sûr que si tu veux croiser le Nénesse par hasard l’air de rien il suffit de trainer aux abords du café à midi moins le quart), il a des chasseurs solitaires et des irréductibles grégaires, des hordes vieillissantes conservées dans l’alcool, des viandards, des écolos (si si), bref, la ressource cynégétique est constamment renouvelée.

Globalement on n’est pas mécontents, nouzôtres du néolithique, d’avoir inventé la division du travail, les chasseurs parce qu’ils tiennent pas à être emmerdés par des ignorants, les autres parce qu’ils se verraient pas tuer une bête et encore moins la ramasser, encore chaude… mais on n’est pas contre, enfin pas tous contre un civet de lièvre, un gigot de chevreuil aux sanguins, ou un pâté de sanglier.

Mais pour les cueillettes, là, personne chez nous, sauf quelques irréductibles citadins (je sais ça fait bizarre mais il existe des ruraux citadins) imperméables à l’assomption jubilatoire de la trouvaille et du panier qui se remplit, sauf les vraiment trop vieux pour crapahuter et se plier, et sauf les aveugles, bien entendu (et encore, s’ils ont pas perdu l’odorat, tout reste possible), personne ne résiste à l’appel du petit gris ou du sanguin, de la cornouille, des lauriges, pissenlits, soutournes, de l’ortie et de l’oseille sauvage, ou du tilleul, ou de la lavande, ou de l’escargot lorsqu’il grouille après l’orage sorti d’on ne sait où subito presto, du thym et de l’hysope, ou du saule et toutes sortes de trucs à tresser pour les paniers, ou de la glane des fruits délaissés dans les vergers abandonnés ou les haies embroussaillées, prunelles, coings, poires de curé, prunes pardigonnes et merises noires pour la pétafoire, ou des bois flottés et des galets, des fossiles, ou des pommes de pins pour faire partir le feu — bien sûr le feu, on est néolithiques ou pas, c’est en frottant le silex, si si, c’est même comme ça qu’un gars à mis feu à son champ et même un peu plus l’autre jour, un coup de tracteur sur un silex, une étincelle et zou… ah oui parce qu’on a quand même des tracteurs, l’agropastoralisme a connu quelques évolutions, même dans les bouts des mondes…

Il n’y a pas si longtemps, la cueillette, volontiers collective, fournissait un appoint non négligeable aux ressources de la ferme : tilleul, lavande, souches de buis pour les boules cloutées…

C’est qu’on vit pas exclusivement de chasse et de cueillette, loin de moi l’idée de vous la jouer peuple premier, nous autres du néolithique on a déjà inventé l’agropastoralisme, et même l’agrosylvopastoralisme, la pierre polie et la hache, la cuisine, la poterie, les paniers, le commerce, le tissage et la couture, le village, le commerce et, comme on l’a déjà évoqué, la division du travail. Et notre bout des mondes est depuis toujours un « chemin des peuples » où circulent force touristes et transhumants. Où l’on voit que rien de la civilisation contemporaine ne nous est étranger, même si nous n’allons pas jusqu’à remplir nos villages de boutiques de fringues, de fast-foods et d’agences de voyage.

N’empêche, on ne sait pas, nouzôtres, imaginer un monde où tout s’achète, où rien jamais ne vous est offert, que ce soit au prix de recherches parfois acrobatiques et pas toujours fructueuses, ou dans l’abondance d’un parterre fleuri à perte de vue, ou de ces soirs de printemps baignés de l’odeur des tilleuls.

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