Je m'étonne que nos imitateurs, talentueux et vigilants à épingler les manies et les accents de notre personnel politique, n'ait pas encore-à ma connaissance- fait un sort à l'étrange et bouffonne diction qui sévit dans la bouche de nos jounalistes présentateurs et maintenant de leurs épigones médiatiques. C'est le fringant Laurent Delahousse qui le premier, je crois, a inauguré cette mode ahurissante. Elle consiste à atomiser, fragmenter la phrase, à rompre la liaison la plus élémentaire du syntagme syntaxique, voire l'intérieur même du mot, à faire attendre avec un suspens insoutenable ...le nom après le prénom, l'attribut après le verbe, et même le substantif après l'article -n'est pas Verlaine qui veut! Du style donc: "C'était-le-trem-blement-de-terre", "nous-allons-maintenant-"etc (les exemples sont légion). On se perd en conjectures sur la provenance de cette mise à la torture de la diction attendue: habitude de la pratique du prompteur, désir nostalgique d'imposer à la langue française- indocile, c'est bien connu!-, le rythme accentuel plus "class" de la langue anglaise, ou plus simplement l'espoir un peu pathétique d'imprimer une petite touche personnelle à ce qui n'est la plupart du temps que la récitation ressassée de l'air médiatique du jour? Dans tous les cas, on se met à regretter l'absence d'une haute Autorité de la langue qui ramènerait à l'ordre les coupables de ces coups de force piteusement arbitraires contre la langue française.
Et puisqu'il est question de la langue, mesurons le rétrécissement grandissant du champ sémantique de nos candidats à l'élection présidentielle: du "pauvre con" de Sarkosy, au "couillons " de Dominique Villepin, du train où vont les choses, on peut se poser la question, avec Marthe Robert: " Où sont partis le débonnaire, l'affable, le bonhomme, ou le bonasse, l'atrabilaire ou le chafouin. Où le chenapan, le papelard, le doucereux?(...) Nous n'avons déjà presque plus rien à mettre entre le type bien et le salaud...". Et ce n'est pas la" "fraise des bois" de Fabius qui compense cette indigence: la seule hargne n'est pas toujours bonne conseillère... Bref, nos candidats devraient méditer ce "deuil des mots perdus", et inciter leurs fabricants en communication à plus d'imagination linguistique. Au rebours, la presse, si prompte à s'acquitter du devoir de faire bouger la langue, devrait s'aviser qu'il il ne suffit pas de féminiser les noms pour mettre la langue au pas...Voir l'agacement amusé de Jacqueline de Romilly quant elle s'est dévouverte "professeure", et son commentaire malicieusement à rebrousse-poil : "On ne crée pas du féminin avec cette légereté!
Et puisque nous sommes en prériode électorale, que le furur président de la république est gardien de l'aura mémorielle des mots, qu'il ne doit pas lui échapper que le le français est du latin "continué", je m'amuserais, si j'étais journaliste, à vérifier si les candidats et leurs rivaux potentiels de demain sont toujours à même de faire le lien entre la candeur de la toge de ceux qui brigaient les honneurs de Rome, et cette exigence éthique toujours inscrite dans la langue; à la veille d'une élection présidentielle riche en petits coups bas, ce rappel du lien entre candidat et candeur ne manquerait pas de sel!