Je suis depuis très longtemps les événements du Proche Orient, depuis cette époque où le journal Le Monde, s'agissant de ce qui s'y passait, évoquait, pudiquement déjà, "l'agitation dans les territoires occupés"... Une expression qui, déjà, suscitait en moi perplexité et inquiétude, car enfin, il s'agissait bien de "territoires occupés", et je fais partie de cette génération qui sait les ravages de la colonisation. Je fais aussi partie de cette génération qui n'a évidemment jamais contesté le droit d'Israël à vivre dans un pays sûr, qui a toujours réagi avec la plus grande sévérité devant toute dérive d'un antisionisme lequel peut dissimuler, de fait, un antisémitisme qui me fait d'autant plus horreur que je sais, via un grand-père maternel juif, les liens affectifs qui me rattachent à ce pays; un grand-père avocat qui avait mis son talent et son énergie, à l'époque en Tunisie, sous protectorat français, au service de ceux qu'on appelait commodément les "rebelles" pour faire oublier les injustices dont ils étaient la cible. C'est dire si je me sens particulièrement libre pour dire mon indignation, mais le mot est maintenant trop faible, mon écoeurement, devant l'inégalité obscène avec laquelle, sans vergogne, la très grande majorité des médias traite la tragédie de Gaza. Je ne veux pas revenir sur la chronologie politique des événements, d'autres, tant d'autres la connaissent et la maîtrisent infiniment mieux que moi. Mais je veux dire combien me deviennent insupportables, jour après jour, la cécité volontaire, l'imposture, l'hypocrisie dont font montre ces analyses qui ignorent délibérément toute généalogie exacte des étapes du conflit, la disproportion des forces, l'usure entretenue, avec une indécente provocation, année après année, jour après jour, de l'espoir dans la création d'un Etat palestinien! Non, il n'y a pas "symétrie"! Et aujourd'hui moins que jamais quand meurent tous les jours tant de civils. Alors, à quand, dans Le Monde, un reportage "Terreur sur Gaza"? Et en l'occurrence, point ne serait besoin, comme dans le récent reportage de Benoît Vitkine "Terreur sur Dombass", de l'assortir de ces étranges photos à la légende plus que douteuse: "La chaise qui semble- c'estmoi qui souligne- avoir servi pour interroger les otages", de témoignages "anonymes, bref, l'antienne que nous servent maintenant ces reportages quand il s'agit de l'Ukraine ou de la Syrie, mêlant sans vergogne fiction et réalité. Non, dans le conflit israélo-palestinien, les chiffres sont là, et les morts, les visages, les corps d'enfants déchiquétés; il ne serait pas nécessaire de "mettre en scène" cette terreur, seulement trouver les mots justes et forts pour la dénoncer, et quelles que soient les impasses, en appeler à la réaction des responsables politiques, à leur dire combien nous avons honte, pour eux, pour nous .Car ce ne sont évidemment pas les débordements de rue, les appels à la haine qui peuvent un tant soit peu mettre de la raison et de la justice dans cette situation. Victor Hugo dans le magnifique Discours prononcé à l'Assemblée législative " Sur la Déportation", où il dénonce l'horreur du châtiment infligé aux révolutionnaires de 48, en apppelait à la conscience des responsables religieux; "Mais levez-vous donc, catholiques, prêtres , évêques, hommes de la religion qui siégez dans cette assemblée et que je vois au milieu de nous; levez-vous, c'est votre rôle! Qu'est_ce que vous faites sur vos bancs?". Mutatis mutandis, c'est ce "bondissement de la conscience indignée" - Paul Ricoeur nous manque...- que l'on aimerait insuffler à nos politiques, aussi frileux que combinards; car cet appel est d'une urgente actualité: il faut que cesse l'habillage odieux qui voudrait nous faire croire, certes pénible, néanmoins incontournable, le martyr qu'endure en ce moment et depuis trop longtemps le peuple de Gaza; encore une fois, ce ne sont les manifestations de rue qui peuvent légitimement répondre à et de ce qui apparaîtra sûrement, quand on en écrira l'Histoire, une incroyable démission, morale et politique, de la communauté internationale et des démocraties européennes: elles ont, depuis le début, plus que leur part de responsabilité, dans cet engrenage infernal.
Billet de blog 14 juillet 2014
"Terreur sur Gaza ?."
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