Il a fallu l'interview de Julia Kristeva ce matin, sur France Culture, pour entendre enfin une intellectuelle dire au passage, et presque de manière furtive, car aucun journaliste, pas même Brice Couturier, son interlocuteur, ne s'est évidemment empressé de lui demander quelque éclaircissement sur le sujet, que le débat contradictoire qui se tient en France autour du mariage-gay était justement le signe d'une bonne santé critique de la France. C'est en générale une antienne bien différente qu'il est convenu d'entendre sur les ondes et dans les grands médias: la France dans ce débat montrerait à quel point elle est honteusement à la traîne par rapport et par opposition aux autres pays européens qui ont entériné sans sourciller, sur le plan législatif en tout cas, cette décision. Je trouve pour ma part curieux, un peu consternant, de ne pas mettre au compte de la tradition du débat critique en France que des points de vue divers, souvent de part et d'autre nourris d'arguments raisonnables et raisonnés, aient enrichi le débat; quelle que soit l'issue de ce conflit d'idées, je me félicite que ces points de vue aient pu se faire entendre, loin des manifs où les slogans naïfs et niais, souvent de part et d'autre, contribuaient , eux, à caricaturer les positions en présence. Je sais bien que ce débat a été l'occasion de réveiller de vieux reflexes musclés et homophobes, mais pour autant, je mesure avec satisfaction qu'il y a loin du propos, jugé par moi à l'époque un peu sot et arrogant de Martine Aubry ( dans sa formulation, en tout cas: "Moi, je ferai le mariage homosexuel"...- , à sa mise en oeuvre. Exactement comme cela a été heureusement le cas à l'occasion du traité de Maestricht, s'est mis en place un vrai débat, soucieux d'approfondir les enjeux et de ne pas s'en tenir à la surface, forcément consensuelle, des "évidences".
Loin de regretter qu'elle ait "laissé s'enliser le conflit", je trouve au contraire que la gauche, à partir du moment où elle l'a voulu, devrait se féliciter d'avoir permis que se déroule en France un débat intellectuel souvent ambitieux, même si le surgissement de tel ou tel problème a été l'occasion pour beaucoup de "revisiter" leur position de départ. Rien n'aurait été plus dommageable pour la culture, les idées, que de s'en remettre paresseusement à "l'air du temps", ou à la lecture d'une doxa anthropologique réduite à quelques slogans hâtivement digérés. Merci aussi à Julia Kristéva d'avoir rappelé fermement et calmement que rien de sérieux ne pourra se faire dans une Europe en crise sans une prise de conscience des enjeux proprement culturels, et que la France- ce qui ne veut pas dire "un modèle français" - devrait à cette occasion se montrer plus soucieuse et plus fière de faire valoir sa longue habitude du questionnement.