Cécilie Cordier (avatar)

Cécilie Cordier

Journaliste pigiste, blogueuse

Abonné·e de Mediapart

19 Billets

3 Éditions

Billet de blog 20 octobre 2015

Cécilie Cordier (avatar)

Cécilie Cordier

Journaliste pigiste, blogueuse

Abonné·e de Mediapart

Le cancer du sein en héritage

Certaines s’appellent « les mutantes ». Ces femmes porteuses d’une mutation génétique sur BRCA1 ou BRCA2 (*) ne sont pas concernées par la campagne Octobre rose qui inonde les rues et les médias, mais par une douloureuse réalité : un risque accru de cancer, un choix à faire entre un suivi angoissant et une chirurgie pas toujours facile à vivre.

Cécilie Cordier (avatar)

Cécilie Cordier

Journaliste pigiste, blogueuse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certaines s’appellent « les mutantes ». Ces femmes porteuses d’une mutation génétique sur BRCA1 ou BRCA2 (*) ne sont pas concernées par la campagne Octobre rose qui inonde les rues et les médias, mais par une douloureuse réalité : un risque accru de cancer, un choix à faire entre un suivi angoissant et une chirurgie pas toujours facile à vivre.


« J'ai eu la chance de me faire opérer par un chirurgien extraordinaire avec un résultat esthétique bluffant. » Delphine a 33 ans et a subi, il y a un an, une chirurgie mammaire : tout retirer pour tout refaire. Ce n’était pas une décision esthétique, mais une décision pour sauver sa vie. Son signe particulier est invisible : comme une femme sur cinq cents environ, elle est porteuse d’une mutation génétique multipliant considérablement son risque de développer un cancer du sein ou des ovaires.

Chez elle, le cancer du sein, c’était pour chaque génération. Pourtant, malgré une mutation génétique identifiée chez sa mère, Delphine est assez peu informée par les médecins. C’est suite à un reportage et poussée par son conjoint qu’elle ose se faire dépister. Six mois après la prise de sang et le prélèvement salivaire nécessaires au test, Delphine revoit sa généticienne pour connaître le verdict.

« Je me revois encore dans la salle d'attente me dire : "Dans dix minutes, tu sauras si tu vivras avec ou sans ta poitrine." Pour moi, mutation génétique égalait opération, confie-t-elle. Ma décision de chirurgie était prise avant de faire le test. » Une démarche active partagée par de très nombreuses femmes demandeuses de ce dépistage.

La chirurgie prophylactique, en l'adaptant à chaque femme, est désormais officiellement conseillée en cas de mutation génétique identifiée. Reste à informer. Car en octobre, pendant que les débats font rage sur le dépistage systématique, les « mutantes sont ignorées. Laissées dans le silence. Pourtant, plein de femmes gagneraient à en savoir plus sur les cancers héréditaires », résume Laëtitia Mendes (**). Parce que, pour celles-là, une intervention active ne fait pas débat : elle sauve.

« Il pouvait se passer quelque chose entre deux rendez-vous »

Les « mutantes », comme se surnomme Laëtitia, connaissent les conséquences –médicales, psychologiques, économiques, sociales et familiales– d’un cancer. Car lorsque l’annonce de la mutation génétique s’abat comme une épée de Damoclès, elles ont déjà vu dans leur famille au moins une femme jeune souffrant d’un cancer du sein et/ou des ovaires, voire morte prématurément de la maladie.

Outre la chirurgie –et souvent plutôt en attendant, c’est une surveillance médicale rapprochée, personnalisée, qui est proposée. Ainsi, pendant environ quatre ans, Yvette a été cliniquement surveillée tous les six mois, en plus d’une surveillance annuelle par imagerie. « C’est stressant, témoigne-t-elle. Je gardais toujours à l’esprit qu’il pouvait se passer quelque chose entre deux rendez-vous. »

Aujourd’hui, à 39 ans, elle s’est libérée de ces craintes constantes. Opérée des seins en janvier dernier, elle panse actuellement les fraîches cicatrices de la deuxième chirurgie prophylactique : les ovaires. « J’avais prévu d’attendre un tout petit peu, mais la récidive du cancer ovarien de ma mère, pourtant opéré il y a neuf ans, m’a fait avancer cette opération », raconte-t-elle.

Sans tabou face à ses deux garçons de 17 et 9 ans, très soutenue par son mari dans toutes ses démarches, elle explique être « consciente qu’il n’y a pas de risque zéro. Mais au moins, je n’ai plus peur d’un cancer tous les jours en me regardant dans le miroir. »

A la place, elle voit des cicatrices. « Ce n’est pas si grave. Le plus important, c’est que je sois sereine. » Yvette a été entendue et comprise dans ses craintes par ses médecins, qui ont respecté ses choix et l’ont accompagnée au mieux, y compris en lui proposant un suivi psychologique très efficace.

« Eviter à ma fille de me voir malade »

Ce n’est pas toujours le cas. « Quand j’ai envisagé la chirurgie prophylactique, on a essayé de me dissuader en me disant : "Si c’est pris tôt, ça se soigne bien maintenant" », se souvient Laëtitia Mendes. Maigre consolation qui ne diminuait pas son risque d'être malade à un jeune âge. « Pour moi, porter la mutation génétique, c’était une condamnation. Sans chirurgie, je ne projetais plus rien dans ma vie. »

« Je voulais éviter à ma fille de me voir malade et souffrir comme j’ai vu ma mère souffrir, poursuit-elle. Et même, de vivre dans l’angoisse que j’ai connue. » La rencontre d’un chirurgien très à l’écoute conduit finalement Laëtitia à se faire opérer en 2008, soit près de quatre ans après le dépistage. « C’est une opération lourde, sur un chemin compliqué où il faut accepter un nouveau corps. Mais la sérénité n’a pas de prix. »

Pour le moment, Laëtitia a toujours ses ovaires. Elle souhaiterait agrandir sa famille. Ce qu’a rapidement fait Chantal, 36 ans aujourd’hui, lorsqu’elle a appris qu’elle était porteuse d’une mutation. En 2013, le verdict génétique tombe dans un bureau et, avec son mari, elle accuse le coup durant « deux-trois semaines. Je savais déjà qu'en cas de mutation, je voudrais me faire opérer, mais je voulais d’abord que ma fille aînée ait un frère ou une sœur. Je suis tombée enceinte le mois suivant. »

Trois mois après son accouchement, elle débute le parcours de chirurgie prophylactique. D’abord l’hystérectomie totale (utérus, ovaires et trompes) ; la double mastectomie est prévue dans deux mois.

Désormais mère de deux filles, Chantal a décidé qu’elles « sauront tout. Le test, ce sera leur choix, je ne les pousserai pas à une décision ou à une autre. Et je fais confiance à la science pour que mes filles n’aient pas à vivre tout ce que j’aurai vécu. »

(*) Pour BReast CAncer 1 et 2, deux gènes suppresseurs de tumeurs, sauf avec les mutations recherchées en dépistage.
(**) Auteure de Mon petit gène, ma seconde chance, ed. Anne Carrière, 2014.


Parfois, la maladie survient et c’est elle qui conduit au dépistage génétique. Ou bien elle précipite les décisions de chirurgie radicale. Rencontres.

Mélanie n’a plus ni « vrais » seins ni ovaires

« Je ne regrette rien, j’ai choisi la vie ! » Mélanie, 38 ans, vit au Québec. Lorsqu’elle apprend sa mutation génétique, elle opte de suite pour une chirurgie prophylactique, seins et ovaires. « J’avais 33 ans, pour moi tout était clair, les statistiques parlent d'elles-mêmes : 87 % de risques de cancer du sein, raconte-t-elle. C'était trop à gérer pour moi, j’associe le cancer à la mort à cause de mon histoire familiale. »

Cette graphiste entre alors dans le circuit qui la mènera à la double mastectomie puis à la salpingo-ovariectomie préventives. C’est alors que la situation change : la mammographie détecte une masse. La biopsie révèle, après « trois interminables semaines à vivre dans un stress immense » que c’est un cancer. « Je pleure : je vais mourir. »

A ce moment, sa sœur, 25 ans, combat elle aussi un cancer du sein. Mélanie crée alors un groupe Facebook pour se sentir moins seule. Sa chirurgie des seins est suivie d’une reconstruction -y compris tatouage des aréoles du mamelon, de six séances de chimiothérapie. Un an plus tard, ce sont les ovaires qu’on lui retire.

La voici enfin soulagée. Malgré un suivi rapproché, Mélanie profite désormais pleinement de la vie avec son fils de 9 ans et sa fille de 6 ans.

* * * * *

Florence a conservé ses seins

Une mutation génétique, c’est pas de chance. Mais deux ? Florence, bientôt 52 ans, est porteuse d’une mutation sur chacun des deux gènes testés pour les prédispositions aux cancers des seins et des ovaires. Cette double-particularité, elle l’a apprise par hasard.

En mai 2009, alors qu’elle allait seulement « faire un petit dépistage » conseillé suite au décès prématuré de sa sœur d’un cancer du sein, on lui découvre une « une tumeur ovarienne de 9 cm ». Coup de tonnerre dans le ciel de cette mère de trois enfants, alors âgée de 45 ans. Deux semaines plus tard, la chirurgie la prive de ses ovaires, de ses trompes et de son utérus. S’ensuivent douze séances de chimiothérapie éprouvantes.

Le résultat du dépistage génétique arrive en double-peine : les deux gènes sont mutés. L’inquiétude gagne les deux filles de Florence, qui se font alors tester. « Soulagement, elles ne sont pas porteuses. » Après réflexion avec ses soignants et malgré sa double-mutation génétique repérée, Florence a choisi de conserver ses seins.

Loin de le voir comme une lourde épée de Damoclès sur sa tête, elle reste sereine et se soumet à un suivi régulier : « Une IRM mammaire chaque année, ça me stresse un peu quand j’y vais mais tout va bien. »

* * * * *

Brigitte a commencé le combat enceinte

« J’ai parlé à ma famille pour leur suggérer de faire le test génétique. La peur se lisait sur leur visage. Certains refusent. » Lorsqu’elle apprend qu’elle est porteuse d’une mutation génétique la prédisposant aux cancers du sein et des ovaires, Brigitte a 34 ans. Elle sort du traitement d’un cancer du sein mené durant sa grossesse gémellaire.

Diagnostiquée à seize semaines de grossesse et traitée avec la peur de perdre ses enfants à chaque dose de « poison », elle termine la chimiothérapie après une césarienne précoce. Puis elle fait face à un deuxième coup de massue en apprenant sa mutation. « On m’a conseillé de retirer l’autre sein, mais ça pouvait attendre un petit peu. »

L’urgence apparaît ailleurs, peu après : Brigitte doit subir une ovariectomie car on lui a découvert une tumeur maligne lors d’un contrôle de routine -en place depuis son diagnostic. Quelques mois plus tard, en prévention, son second sein est retiré.

Un parcours chirurgical un peu chaotique oblige Brigitte à subir « seize opérations en huit ans, mais jamais je n’ai pensé que j’allais mourir ». Neuf ans plus tard, très positive, elle savoure de voir grandir ses enfants. Son frère, quant à lui, a enfin décidé de se faire dépister : il n’est pas porteur de la mutation.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.