Cédric Lépine : Quelle a été votre démarche pour connaître le milieu du travail développé dans votre film On Falling : avez-vous rencontrer des personnes victimes de ce type de condition de travail?
Laura Carreira : Je n'ai pas fait appel à des journalistes mais j'ai effectivement privilégié la rencontre avec des personnes réalisant ce travail. Auparavant, j'avais déjà effectué une recherche sur les travailleurs et travailleuses en situation de précarité et je trouvais qu'il y avait là des histoires intéressantes à raconter à partir de leur point de vue. J'ai tout d'abord fait appel à mon cercle d'ami.es pour trouver des personnes travaillant dans ces conditions précaires avant d'utiliser les réseaux sociaux. C'est ainsi que j'ai rencontré des personnes qui ont généreusement voulu me partager leurs histoires. Dans le film, beaucoup de dialogues sont nourris directement de ces échanges.
Ma démarche avait commencé par l'envie de faire un documentaire sur ce sujet mais ce projet n'a pu aboutir. Il se trouve que la fiction me permettait paradoxalement de m'approcher davantage de la vérité. La fiction permet en outre de protéger l'identité des personnes qui peuvent ainsi me partager librement leur témoignage de leur travail sans peur de perdre leur emploi.
C. L. : Comment est venue l'idée de parler à la fois du mal être au travail et de la souffrance de minorités en difficulté d'intégration ?
L. C. : Au départ, j'ignorais quels allaient être précisément mes sujets. Je souhaitais interroger différents symptômes actuels de notre société, notamment autour de la santé mentale. Je voulais également traiter le parcours des individus subissant leurs difficultés de manière collective et montrant comment tout un groupe de personnes reste dans la même précarité. Ce sont des sujets difficiles à raconter car les personnes ont beaucoup de difficultés à demander de l'aide et se retrouvent seules et pauvres sans pouvoir bénéficier d'un collectif.
C. L. : Quelle a été votre manière de procéder pour relever le grand défi consistant à raconter une histoire avec très peu de dialogues et sans conflits ouverts entre les personnages?
L. C. : Il était important pour moi que le conflit ne vienne pas de l'environnement extérieur. C'est tout le problème du néolibéralisme que même avec un cercle de personnes bienveillantes, tout le mode de vie contribue au mal être en empêchant d'être dans le temps présent. En effet, d'après la manière dont le travail est organisé, on se rend compte que les pauses sont très courtes, que le hangar est très grand, ce qui a pour conséquence de rendre très difficile la possibilité de se rencontrer et d'échanger. Il est ainsi difficile de se faire des ami.es et de développer des liens de solidarité.
C. L. : Votre film est comme le miroir inversé des Temps modernes de Charles Chaplin : tous deux parlent de la déshumanisation dans le travail à la chaîne mais avec un choix de mise en scène différent, entre la comédie burlesque chez Chaplin et l'approche intimiste et la reconstitution quasi documentaire de votre côté. D'un siècle à l'autre, les deux films permettent de voir l'évolution du monde du travail.
L. C. : C'est l'industrie en elle-même qui vend la rapidité et lorsque les clients achètent le produit, ils imposent un rythme de cadence. Entre les deux époques, il n'y a pas d'évolution car la division du travail est toujours très forte. Comme chez Chaplin, la technologie était déjà là pour créer un cadre d'oppression. Il existe des algorithmes qui permettent de suivre le temps nécessaire pour un.e employé.e de s'occuper d'un produit. Les employé.es ne le savent pas et ainsi ils et elles sont soumis.es à des objectifs de travail qui changent en permanence. Ainsi, dans une même journée, un travailleur peut être félicité avec une barre de chocolat pour ses résultats et recevoir ensuite un avertissement parce que son rythme était moins important. Les personnes plus lentes vivent sous la menace constante d'être virées.
C. L. : On falling est produit par Ken Loach qui, dans ses films, donne une issue possible à ses personnages face à leurs difficultés rencontrées dans le travail en recourant au syndicat. Dans On falling, ce n'est plus possible.
L. C. : J'ai choisi une héroïne portugaise parce qu'elle représente la réalité des personnes en situation de migration. Les conditions de travail avec un changement d'équipe constant ne permettent pas à des employé.es de s'unir et de se sentir appartenir à un groupe. C'est là aussi une grande différence avec le monde du travail à l'époque de Charlie Chaplin.
Entretien réalisé avec Laura Carreira à Carcassonne en janvier 2025 dans le cadre de la programmation de la 7e édition du Festival International du Film Politique de Carcassonne.
Traduction de l'anglais au français par Louise Rabault
On Falling
de Laura Carreira
Fiction
104 minutes. Royaume-Uni, Portugal, 2024.
Couleur
Langues originales : anglais, portugais
Avec : Joana Santos (Aurora), Inês Vaz (Vera), Piotr Sikora (Kris), Neil Leiper (Ben), Jake McGarry (Alec), Itxaso Moreno (Teresa), Leah MacRae (Anne), Billy Mack (Jim), Deborah Arnott (Sarah), Paul Donnelly (Lewis), Ola Forman (Krysia), Ross Ian-Martin (Tom), Daniel McGuire (Sean), Liam Nelson (Ryan), Helen Robinson (Sam), Robert Rutonic (Viktor)
Scénario : Laura Carreira
Images : Karl Kürten
Montage : Helle le Fevre
Ingénieur du son : Olivier Blanc
Directeur artistique : David Jennings
Décors : Andy Drummond
1er assistant réalisateur : Matt Cooper
2e assistante réalisatrice : Kim Stewart
3e assistant réalisateur : Aaron Silmon De Monerri
Superviseur des effets visuels : Keith Devlin
Casting : Diogo Camões, Lara Manwaring
Costumes : Carole Millar
Scripte : Inês Teixeira
Production : Mário Patrocínio, Jack Thomas-O'Brien
Production exécutive : Luís Campos, Ana Paula Catarino, Noémie Devide, Sean Greenhorn, Clarice Lau, Ken Loac, Rebecca O'Brien, Bia Tafner
Production associée : Naomi Rachel Smith
Sociétés de production : BRO Cinema, Loudness Films, Sixteen Films
Distributeur (France) : Survivance
Sortie salles (France) : 1er octobre 2025