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Billet de blog 1 juin 2015

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Une association pour défendre le droit d'habiter un espace de vie

Dans le flou artistique et juridique dans lequel se trouvent les habitats légers en France, les excès de zèle vont bon train depuis plusieurs années de la part des préfectures et de certaines mairies pour déloger manu militari plusieurs familles. Dans cette ambiance délétère, l’association HALEM (Habitants de Logements Éphémères ou Mobiles) est de son côté très active pour défendre les habitants en s’appuyant précisément sur la législation.

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Dans le flou artistique et juridique dans lequel se trouvent les habitats légers en France, les excès de zèle vont bon train depuis plusieurs années de la part des préfectures et de certaines mairies pour déloger manu militari plusieurs familles. Dans cette ambiance délétère, l’association HALEM (Habitants de Logements Éphémères ou Mobiles) est de son côté très active pour défendre les habitants en s’appuyant précisément sur la législation. Paul Lacoste, membre du Conseil d’Administration d’HALEM, présente les enjeux de l’association en répondant aux questions suivantes. Cet entretien est complémentaire de celui réalisé le responsable de la DDT, représentant l'application des politiques de l'État via la préfecture, au sujet des yourtes.

Comment et pourquoi est apparu l’association HALEM ?

Paul Lacoste : Tout a commencé sur le camping municipal de la Sablière, à La Ferté-Alais dans l’Essonne, où se trouvaient une centaine de caravanes à l’année. La municipalité souhaitait liquider le camping et Joe Sacco a décidé avec un collectif d'habitants (campeurs à l'année) et de sympathisants de créer, pour défendre les droits des habitants du camping, l'association pour les Habitants de Logements Éphémères et Mobiles, HALEM. Dès la naissance de l'association, François Lacroix, directeur de l'ADGVE (Association Départementale Gens du Voyage de l’Essonne) et ami de Joe fait le lien avec les problématiques rencontrées par les gens du voyage avec leurs habitats mobiles. Il s’est alors rendu compte que la problématique que rencontrait les gens dans les campings trouvait un écho similaire avec ce que connaissait les gens du voyage, autrement dit une zone de non droit, condamnés à être invisibles ou rejetés partout où ils allaient. S’interrogeant sur cette absence de droits auprès de ces habitants, Joe Sacco a interrogé les élus et est ensuite parti sur les routes de France à la rencontre des différents collectifs d’habitats alternatifs. L’association a développé ses liens avec ceux qui vivaient sur place et en constituant un fonds de réflexion et de documentation juridiques. Joe Sacco a développé des contacts avec la DHUP (Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages) et la DGLN (Direction Générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature) dépendant des ministères du Logement et de l’Environnement.

Peut-on parler d’habitats choisis et subis ?

P. L. : C’est entre les deux. C’est à la fois du choix car il y a la nécessité de se loger, et c’est aussi du non-choix car il y a des contraintes économiques de non accès au foncier. Si le terme « habitat choisi » a depuis fait l'objet de remarques sur la relativité du choix en question à l'aune des paramètres économiques, sociologiques ou juridiques, on peut s'interroger longuement sur le vaste espace de liberté et de revendications diverses associés alors à ce mot. L'expérimentation à l'encontre du chaos, la sobriété volontaire plus que la précarité, les interstices des flous juridiques malgré la vulnérabilité résidentielle, une farouche volonté d'autonomie et de contestation des « paradogmes » imposées par la société néo libérales, caractérisent ce mouvement émergent et protéiforme.

Pourquoi cette préoccupation vis-à-vis de la législation ?

P. L. : Depuis le début de ce siècle il y a eu énormément de lois qui concernent les gens du voyage, comme les lois Besson en 2000. Lorsqu’une aire d’accueil aux Gens du Voyage est ouverte, elle se fait sur une liste comportant un nombre limité de places dans le cadre d’un schéma départemental pour satisfaire des besoins. Il y a au moins 60 000 emplacements et en sachant que chaque emplacement représente une famille, ce nombre est bien insuffisant. Il y a de la part d’HALEM la nécessité de connaître les textes de lois car nous vivons un sentiment d’injustice. Nous partons de l’idée que la loi protège et qu’à partir de la Déclaration des Droits de l’Homme où il est stipulé que chacun a le droit de vivre et d’habiter un espace, ce principe n’est dans la pratique pas appliqué. On ne trouve pas encore à l’heure actuelle en France dans l’application des lois un fort engouement pour l’habitat adapté des Gens du voyage. Cette situation n’évolue pas alors qu’il y a tant de personnes qui se trouvent dans des situations terribles. Depuis la Seconde Guerre mondiale et leur sortie des camps de rétention, ils subissent toujours la relégation de la part de l’État français. Les lois Besson avec la création des terres d’accueil étaient censées se soucier de les reloger correctement afin d’éviter qu’ils stationnent n’importe où. Je dois avouer qu’il y a eu des lois beaucoup plus dures que celles-ci. Ces lois sont toujours ambivalentes parce qu’elles répondent à une nécessité d’ordre public que ce soit sur le terrain ou dans les tribunaux pour éviter nombre de contentieux et elles ont aussi un volet humaniste mais qui n’est pas appliqué. Sous la présidence Sarkozy, on voit arriver des lois beaucoup plus agressives et coercitives. Ainsi dans la loi LOPPSI 2 de 2011, il y avait un article qui proposait de donner tout pouvoir au préfet afin d’expulser tout habitat hors normes en moins de 48 heures. Il y eut alors une forte mobilisation où nous ont rejoint les Travellers.

La difficulté ne serait-elle pas due à des lois davantage conçues au regard des intérêts des citoyens sédentaires, plutôt que ceux des citoyens nomades ? Comment ceux-ci peuvent avoir encore confiance dans ce système législatif ?

P. L. : Même si les exemples restent très rares, quelques gens du voyage sont allés malgré tout porter leur situation devant les tribunaux. Ainsi en novembre 2013 un forain est allé devant le Conseil constitutionnel et a fait abroger les mesures les plus discriminatoires de la loi de 1969 avec le carnet de circulation, où les personnes ne justifiant pas de revenus étaient obligés de pointer tous les trois mois en gendarmerie, devaient résider plus de trois ans dans une commune afin de bénéficier du droit de vote, etc. Malgré tout, certaines mesures discriminatoires ont été conservées, comme la possibilité pour un maire de refuser les gens du voyage lorsque ceux-ci dépassent en nombre les 3% de la population de sa commune.

Nous revendiquons malgré tout le droit de nous référer à la Constitution pour que chacun puisse trouver sa place dans ce pays. Ainsi dans la loi ALUR il est question de respecter « la diversité des modes d’habitat ». Alors que les lois LOPPSI et Léonard visaient directement les résidents en camping avec ce passage du Chapitre 5 présenté au Sénat en novembre 2011 : « En cas de location dans un terrain de camping et caravanage ou un autre terrain aménagé à cet effet d'un emplacement, équipé ou non d'un hébergement, pour une durée supérieure à trois mois, le locataire fournit au loueur un justificatif de domicile de sa résidence principale datant de moins de trois mois. » (sic, cf. http://www.senat.fr/leg/ppl11-114.html)

En 2005, il y avait entre 70 000 et 120 000 personnes habitant à l’année en camping, selon les chiffres d’une chercheuse au CNRS qui avait consacré son étude à l’Île-de-France. La réalité dépasse aujourd’hui en 2015 plus de 200 000 personnes.

As-tu une idée du nombre de personnes vivant en habitat démontable en France ?

P. L. : Nous avions fait en 2012 un dossier sur le thème des « oubliés de la présidentielle » où l’on parlait d’un million de personnes. L’ironie, c’est qu’à certaines époques de l’année il y a beaucoup de personnes concernés par l’habitat mobile parce qu’il s’agit des vacances où le plus grand nombre revendique la mobilité.

Suite à la crise financière et immobilière en 2008, la population en habitat mobile s’est-elle accrue ?

P. L. : On le voit surtout du côté des yourtes à l’initiative le plus souvent de jeunes. Mais la crise a conduit toute une population dans des caravanes qui ne sont même pas les leurs, des retraités qui se retrouvent sans moyens…

L’association HALEM est-elle apparue de l’absence de soutien aux résidents en habitats alternatifs ?

P. L. : Jusque-là en effet il y avait de nombreuses associations mais qui suivaient l’idée selon laquelle pour vivre heureux il faut rester cacher, développer localement des systèmes D. C’est que s’assumer comme déviant par rapport aux normes du reste de la société, dans des propos et des actions collectives ce n’était pas évident et cela ne l’est d’ailleurs toujours pas.

Quel est l’atout de se référer à la loi dans vos démarches ?

P. L. : Il existe actuellement encore un grand no man’s land entre le code du tourisme et le code de l’urbanisme autour de la yourte puisque celle-ci n’a jamais été définie comme un habitat permanent. Ainsi, on a obligé ceux qui projetaient une installation en yourte à demander un permis de construire pour leur indiquer ensuite que le terrain sur lequel ils voulaient s’installer n’était pas constructible. Nous avons toujours mis en valeur qu’une yourte ne se construit pas puisqu’elle se monte et se démonte. Jusqu’à une certaine époque, la yourte n’était pas considérée comme un habitat par les tribunaux si elle n’était pas raccordée. Une juge qui s’interrogeait sur le fait qu’il s’agisse soit d’un chalet ou d’une construction, est arrivée à la conclusion que la yourte est un « habitat léger mais pas de loisir ; c’est un habitat léger permanent (HLP) ».

Il est vrai que nous avons devant nous des techniciens du droit et de l’administration centrale. Nous avons la chance qu’ils ne peuvent y accorder tout leur temps, en revanche lorsque le sujet est brûlant, ils missionnent des techniciens en mesure de rédiger 50 pages de blablas pour arriver à leurs fins. Nous avons pu malgré tout faire des remarques sur ces pages au Conseil d’État puisqu’il y avait plusieurs éléments qui ne tenaient pas du tout la route. Nous devons faire face à une administration qui pense qu’elle peut tout cloisonner, tout quadriller. Si nous arrivons à une reconnaissance du mode d’habitat alternatif dans les textes législatifs, dans la pratique, comment cela sera pris en compte ? Dans les communes où les maires sont volontaires, l’autorisation d’installation pourrait pouvoir se faire assez rapidement à partir de l’établissement de pastilles qui transforment de fait des terrains en zone constructible. La réversibilité de la situation du terrain n’est en revanche pas entrée dans les textes de loi. Les yourtes comme les auvents de mobil home sont tenus à être en capacité d’être démontables.

Le droit du sol concerne la possibilité ou non de construire et d’habiter sur un lieu. Selon le code de l’urbanisme, toute construction en dessous de 2 mètres carrés est dispensée de déclaration préalable : c’est peu pour se loger !

En plus des appuis juridiques aux personnes qui vous sollicitent, quelles sont vos autres activités au sein de l’HALEM ?

P. L. : Nous sommes des lanceurs d’alerte, nous allons aux manifestations, nous créons des choses lorsque cela est nécessaire. Nous sommes très portés par l’idée d’animation : faire circuler de l’information, créer de l’intelligence collective. Et ce qui est essentiel : expérimenter ! Je crois que nous allons devoir entrer dans une phase d’expérimentation ardue et de confrontation. Si l’État jouait le jeu, il pourrait à moindre coût accompagner un minimum ces tentatives en fabriquant des outils collectifs. Ceci n’est malheureusement pas encore dans l’ère du temps.

Nous réalisons également des rencontres annuelles. En 2014, celle-ci s’est passée au Havre. Nous sentons autour de nous une très forte envie de créer du bien commun et des actions participatives. Nous sommes à présent loin de l’idée de l’ermitage. En 2008, 54% des Français avaient peur de se retrouver à la rue, en 2013 ce chiffre est passé à 68%.

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