
Sortie DVD de Palerme, d’Emma Dante
Dans une petite voiture, la famille Calafiore rentre d’un dimanche d’été après une journée à la plage. Dans une rue à sens unique, à quelques mètres de chez eux, ils se trouvent face à un autre véhicule : l’un ne pourra avancer que si l’autre recule. Rosa et Clara viennent au mariage d’une amie avec une forte pression psychologique sur elles : lorsqu’une voiture leur barre le passage, il n’est dès hors de question de reculer. Samira, la vieille femme mutique de la famille Calafiore, est réputée pour n’avoir jamais céder le passage lorsqu’elle est au volant. Le duel a commencé.
Le cinéma italien avec Le Grand embouteillage de Luigi Comencini (1979) avait su en son temps signer la radiographie de toute une société, révéler les comportements les plus excessifs enfouis dans les psychés de chacun à partir de véhicules automobiles contraints à stationner. Dans Palerme, le sujet est quelque peu différent et le titre est par lui-même suffisamment explicite quant aux intentions de la cinéaste, actrice, coscénariste et auteur du roman adapté (publié en Italie en 2008 sous le titre Via castellana Bandiera). En effet, ce qui intéresse au premier abord l’auteur de cette histoire, c’est la description de la réalité sociologique toute contemporaine d’une rue à Palerme comme révélatrice de toute la ville, d’un pays voire même de la condition humaine en général. Les choix de mise en scène sont directement issus du théâtre, univers artistique dans lequel Emma Dante s’est révélée avant de s’approprier le langage cinématographique. Ainsi, on retrouve là les règles d’unités de temps, de lieu et d’action chères au théâtre classique. Il y a bien des développements de situations qui se passent en dehors de cette rue où les deux voitures au volant desquelles se trouvent leur conductrice respective afin d’offrir une certaine respiration propre à l’univers cinématographique. Mais le cœur de l’action est bel et bien unique. Emma Dante reprend le principe du duel psychologique du western, avec le hiératisme des regard léoniens, mais en l’étirant au maximum : rien moins que l’ensemble du scénario. Le projet est à cet égard très audacieux : s’il pouvait faire sens sous forme de roman et de pièce de théâtre, le transposer sous forme de long métrage de cinéma constituait un véritable défi qui plus est redoublé par le fait qu’Emma Dante s’initie ainsi à la mise en scène de cinéma tout en apparaissant devant la caméra. Alors que le film place la temporalité au cœur de son déroulement narratif, il n’est pas anodin que la réalisatrice incarne le rôle de l’une des conductrices qui figent le temps et l’action du quotidien. Il y a en cela comme un autoportrait de la metteur en scène : par son attitude, elle décide quand débute et quand se termine une histoire. Il y aurait métaphoriquement en cela comme une rébellion du personnage d’une histoire : d’acteur, il décide de devenir spectateur, refusant le rôle qui lui est échu dans une histoire qui ne lui sied plus : la matriarche dont usent et abusent tous les membres de la famille Calafiore comme la femme en apparence plus libre qui ne sait plus où elle en est dans sa vie personnelle. Deux mondes s’opposent, se confrontent et l’essentiel au fil du récit n’est plus de savoir qui cédera mais bien qui sont ces deux individualités au volant de leur voiture. L’intérêt de cette histoire est aussi et avant tout de symboliser l’étroitesse d’esprit, l’enfermement dans des habitudes d’intolérance ancestrales à l’instar de l’étroitesse des rues qui empêchent deux groupes de se rencontrer. Au fil du film la rue s’élargit, comme l’horizon du spectateur en même temps que celui des personnages. Sous la pression, la colère, le stress, la cohésion sociale ne peut avoir lieu. Le temps doit alors se figer pour que les émotions se radoucissent et deviennent plus humaines. Tout le fond de ce film est mûrement réfléchi tout comme la mise en scène et la direction des acteurs. Pour ce premier long métrage, Emma Dante ne laisse rien lui échapper et c’est ce qui fait la force du film. Mais aussi sa faiblesse : si de toute évidence la cinéaste est parvenue à réaliser le projet désiré et pensé, parfois le spectateur peut se retrouver à l’écart d’une mise en scène qui ne se fabrique plus avec lui. Les scènes en dehors de la confrontation des deux conductrices sont censées apporter une pause au spectateur mais le récit se poursuit sans discontinuer, tout mentalement pensé et pas nécessairement partagé par son auteur. Les personnages finissent davantage par être des symboles que des individualités psychologiques avec leur histoire spécifique. Leur faconde laissait supposer un réalisme social satisfaisant la curiosité du spectateur de découvrir un monde à part entière : mais la frustration naît de ce que cet environnement social n’est qu’un décor qui ne viendra guère au premier plan. Le symbole domine et c’est peut-être là un lourd héritage, une digestion difficile du théâtre au cinéma. C’est là une limite pour un film qui reste de bout en bout, rappelons-le, d’une belle maîtrise.

Palerme
Via Castellana Bandiera
d’Emma Dante
Avec : Emma Dante (Rosa), Alba Rohrwacher (Clara), Elena Cotta (Samira), Renato Malfatti (Saro Calafiore), Dario Casarolo (Nicolò), Carmine Maringola (Filippo Mangiapane)
Italie – Suisse - France - 2013.
Durée : 94 min
Sortie en salles (France) : 2 juillet 2014
Sortie France du DVD : 6 janvier 2015
Couleur
Langue : italien - Sous-titres : français.
Éditeur : Jour2Fête
Bonus :
Interview d’Emma Dante
Bande-annonce