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Billet de blog 2 mai 2016

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Un regard tchèque sur le travail de destruction humaine à Mauthausen

Un forgeron tchèque durant la Seconde Guerre mondiale est envoyé dans le camp de concentration de Mauthausen après avoir mis à terre un homme de la Gestapo dans un combat de boxe.

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Illustration 1
© Mille et Une Productions

Sortie DVD : J’ai survécu à ma mort de Vojtech Jasný

Le même jour, deux films sur l’expérience « irreprésentable » des camps de concentrations nazis sortent en DVD : Le Fils de Saul de László Nemes et ce film méconnu de l’histoire du cinéma. Après avoir vu le film le plus récent, le film de Vojtech Jasný peut souffrir de la comparaison. Mais c’est évidemment faire fi de la recontextualisation historique où le cinéma était alors très frileux de s’emparer de ce sujet. Il y a bien eu Nuit et brouillard d’Alain Resnais (1956) travaillant sur les images d’archives pour questionner la mémoire des contemporains de l’époque ainsi que le très polémique Kapo de Gillo Pontecorvo (1959), ainsi que de nombreux autres productions qu’évoque le livret qui accompagne cette édition DVD. Ajoutons que cette édition est soutenue par l’Amicale des anciens déportés de Mauthausen et qu’à l’époque, il y a pu y avoir des projections en dehors du réseau de salles traditionnelles de J’ai survécu à ma mort grâce à leur mobilisation. Même s’il n’a pas nécessairement fait l’unanimité auprès des anciens déportés à l’époque, nombreux furent ceux à reconnaître le talent du réalisateur à retraduire en images ce que fut le quotidien du camp de Mauthausen. C’est en effet ce qui marque le plus en le revoyant de nos jours, alors que la construction esthétique est bien moins déterminante tout comme les partis pris personnels du cinéaste. Car le film est aussi produit à une époque où l’industrie du cinéma tchèque est sous le joug de la censure communiste et l’on ne s’étonnera pas à cet égard que soit mis en place une héroïsation de la figure communiste. En effet, le protagoniste est un innocent candide à la force herculéenne et à l’attitude individualiste quelque peu inconséquente qui va découvrir dans un monde de destruction un message fortement reconstructif pour lui porté par le cas exemplaire d’un communiste se sacrifiant pour sauver un autre : la scène du seau de soupe avalée à la cuillère n’a rien à envier par le traitement de la déshumanisation sadique en milieu carcéral du film Luke la main froide (Cool Hand Luke, 1967) de Stuart Rosenberg avec Paul Newman. Car au-delà du cahier des charges de la propagande communiste, se trouve une retranscription nécessaire, sans excès de démonstration et avec une humilité éthique, du camp nazi de Mauthausen.

L’autre moment clé est la scène de l’escalier de la carrière où les détenus contraints aux travaux forcés sont exécutés par un officier nazi au fur et à mesure qu’ils montrent le moindre signe de faiblesse. Cette scène tire aussi bien sa force de la référence à l’histoire du cinéma et à l’autre escalier du massacre que constitue l’escalier d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein (1925), que du souci de produire un document à charge contre l’autodestruction propre aux totalitarismes, comme en témoigna quelques années plus tard dans le camp soviétique Soljenistsyne avec son Archipel du goulag (1973). Ce serait surinterpréter que d’y voir une possible dénonciation du totalitarisme soviétique, du moins ce n’est pas non plus sans raison que Vojtech Jasný a été considéré par Milos Forman lui-même comme le « père spirituel » de la nouvelle vague du cinéma tchèque avec son vent frondeur. D’ailleurs, le retour à l’ordre moral et esthétique imposé par l’intervention soviétique suite au Printemps de Prague, a contraint Vojtech Jasný à l’exil. On lui doit également à cette époque Chronique morave (Všichni dobří rodáci, 1968) disponible en DVD en France auprès de l’éditeur Malavida.

Autrement dit, cette nouvelle édition DVD est à la fois une forte contribution à la préservation de l’histoire du cinéma d’une œuvre par trop méconnue et une expression incontournable au « travail » de mémoire quant aux derniers degrés d’inhumanité atteints. En outre, il éclaire avec sensibilité le poids de souffrance d’avoir survécu au détriment de tous les autres pour les respacés, comme le laisse suggérer le titre et comme le démontre la scène finale du film.

Illustration 2

J’ai survécu à ma mort

Prezil jsem svou smrt

de Vojtech Jasný

Avec : Frantisek Peterka (Tonda Majer), Václav Lohniský (Ruda), Rudolf Asmus, Václav Babka, Paul Berndt, Vlastimil Brodský

République Tchèque – 1960.

Durée : 93 min

Sortie en salles (France) : inédit

Sortie France du DVD : 5 avril 2016

Format : 1,85 – Noir & Blanc

Langue : tchèque - Sous-titres : français avec version pour sourds et malentendants.

Éditeur : Mille et Une Productions

Bonus :

un livret de 30 pages : « Une deuxième vie pour J’ai survécu à ma mort » écrit par le président de l’Amicale des anciens déportés de Mauthausen

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