50e édition Festival La Rochelle Cinéma 2022 : Les Cinq diables de Léa Mysius
De quels diables est-il question dans cette histoire fantastique qui se déroule dans l'ambiance bleutée entre chien et loup des montagnes alpines ? Le feu d'une éventuelle force démoniaque révèle en fait une puissance féminine transmise de mère en fille depuis des temps multiséculaires alors que l'oppression patriarcale n'a cessé d'imposer son ordre du monde. De ces racines fantastiques, Léa Mysius après son entrée prodigieuse et inoubliable dans le monde de réalisatrice de longs métrages avec Ava (2017), développe un récit ancré dans le réel mais où l'image et la mise en scène qu'elle en propose ne cesse de convoquer l'invisible.

Ici encore comme dans son précédent film, l'appréhension du monde se fait à partir d'une jeune fille qui n'a pas encore été dépossédée de la singularité de son regard et de la pertinence de ses sens au détriment d'une vision adulte uniforme vaincue par l'absorption d'une intégration sociale forcée par l'étouffement.
Léa Mysius dont l'écriture scénaristique témoigne d'une force d'expansion dans l'investigation de l'âme humaine dans ses collaborations avec André Téchiné, Jacques Audiard, Arnaud Desplechin et Claire Denis, convoque le cinéma de genre avec quelques notables références que sont Shining (1978, Stanley Kubrick) et Le Labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno, 2006, Guillermo del Toro) à la fois la perception enfantine d'un monde adulte inquiétant, sans oublier David Lynch pour sa perception par multiples strates de la mise en scène du réel.
Dans un lien très fort et fusionnel entre une mère et sa fille, Les Cinq diables analyse les liens transgénérationnels pour libérer des destinées et notamment l'élan de vie amoureuse émancipatrice de la jeunesse étouffée. Les problématiques ici prolongent ceux d'Ava comme une mise en miroir où les opposés se complètent, des vacances solaires avec une mère extravertie sur la côte atlantique dans Ava au quotidien aux couleurs feutrées parmi les montagnes alpines auprès d'une mère introvertie dont le monde intérieur reste bouillonnant. Les deux films forment un dyptique qui dialogue intensément sur la construction d'une jeune fille quittant son enfance avec une expérience prématurée de l'appréhension du monde adulte.
Les Cinq diables réunit une conjonction très forte de talents en parfaite symbiose de l'interprétation où acteur.trice libère sa composition sans empiéter sur l'autre, à l'image (Paul Guilhaume), sans oublier l'inspiration d'un scénario qui enracine et libère la perception, la composition musicale (Florencia Di Concilio) qui élargit la perception et le montage (Marie Loustalot) qui rythme les voyages dans le temps.

Les Cinq diables
de Léa Mysius
Fiction
103 minutes. France, 2022.
Couleur
Langue originale : français
Avec : Adèle Exarchopoulos (Joanne), Sally Dramé (Vicky), Swala Emati (Julia), Moustapha Mbengue (Jimmy), Daphne Patakia (Nadine), Patrick Bouchitey (le père de Joanne), Noée Abita (la serveuse)
Scénario : Paul Guilhaume, Léa Mysius
Images : Paul Guilhaume
Montage : Marie Loustalot
Musique : Florencia Di Concilio
1re assistante réalisatrice : Élodie Roy
Maquillage : Alice Robert
Directeur artistique et cheffe décoratrice : Esther Mysius
Costumes : Rachel Raoult
Casting : Judith Chalier
Scripte : Morgane Aubert-Bourdon
Production : Jean-Louis Livi (F Comme Film) et Fanny Yvonnet (Trois Brigands Productions)
Distributeur (France) : Le Pacte
Sortie salles (France) : 31 août 2022