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Billet de blog 4 juillet 2023

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FEMA 2023 : "Anatomie d'une chute" de Justine Triet

Un homme est découvert mort au pied de la maison familiale par son jeune fils aveugle. Face aux circonstances non élucidées de cette mort, Sandra, l'épouse du défunt, est suspectée : commence pour elle une analyse de sa vie de couple dans le cadre d'un tribunal suivi par son propre fils.

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51e édition du Festival La Rochelle Cinéma du 30 juin au 9 juillet 2023 : Anatomie d'une chute de Justine Triet

L'art de la confrontation comme révélateur du chaos du monde incarné au plus profond des êtres humains se retrouve du premier long métrage de Justine Triet La Bataille de Solférino (2013) à sa quatrième réalisation Anatomie d'une chute. Le film de procès comme genre cinématographique est ici un prétexte pour faire surgir une introspection rendue obligatoire dans le cadre judiciaire afin de révéler la dynamique d'un couple.

Justine Triet enracine son récit dans une réalité française même si le genre du film de procès est davantage associé à un cinéma et conséquemment un imaginaire nord-américains auxquels fait d'ailleurs écho la langue anglaise que finit par choisir la protagoniste pour partager sa vérité sur son couple. Ainsi, la langue devient un territoire pour énoncer des perceptions du réel forcément subjectives et traversées par des tensions éprouvantes qui viennent sans cesse infléchir la perception du rapport à l'autre.

Illustration 1
Anatomie d'une chute de Justine Triet © Le Pacte

Le couple comme unité sociale d'épanouissement individuel est ici profondément discuté avec d'autant plus d'introspection que c'est aussi un couple de cinéastes, Justine Triet et Arthur Harari (Onoda, 2021), qui signe ensemble le scénario et que l'histoire raconte un couple d'écrivains en rivalité dans leurs vies intime et publique. Cette réflexion profonde nourrie dès l'étape du scénario fait ainsi resurgir le cinéma de John Cassavetes comme processus de mise en scène où la prétendue vérité des individus notamment dans le couple s'éprouve dans la confrontation et le saisissement des vulnérabilités.

Justine Triet développe sa mise en scène sur le principe de l'épure en confrontant deux lieux symptomatiques comme cadre de l'enfermement, de l'accusation et d'une potentielle ouverture vers la liberté une fois les paroles énoncées : la maison familiale sous la forme d'un chalet isolé dans les hauteurs des Alpes d'un côté et le lieu clos d'une salle de tribunal de l'autre. Entourés d'un mobilier en bois dans les deux cas, comme matériau de résistance au rigueurs hivernales dans un cas et pour fixer l'élaboration humaine d'une construction historique reposant sur le poids des lois dans l'autre, les personnages s'efforcent dans ces deux lieux de défendre leur intégrité face aux jugements de l'autre pour revendiquer leur droit à appartenir à une communauté humaine.

Dès lors, le bois du décor ouvre la voix de la mise en scène théâtrale où une réalité humaine est exposée sur lesdites planches comme une représentation sans cesse questionnée. L'anatomie d'une chute sous-entend ainsi l'anatomie d'un couple, où le couple devient ainsi synonyme de chute, potentiellement la chute de l'individu qui doit rester vigilant pour conserver son équilibre et cultiver son intégrité dans un projet familial d'ouverture à l'autre.

Le procès devient à la fois celui d'une femme libre, qui renverse les codes d'une prétendue normalité consentie librement par personne, qu'il s'agisse de son choix de langues, d'orientation sexuelle, de sa place de mère et sa manière de lutter pour survivre dans son couple. La réalisatrice se garde d'épouser totalement le point de vue de sa protagoniste et préfère suivre celui de l'enfant qui découvre des individualités vulnérables derrière un bloc qui se voudrait officiellement monolithique que constitue le couple parental.

Cette profonde introspection cinématographique évite les pièges du procès qui peut se perdre dans le cinéma américain dans une mise en scène de son propre spectacle, pour conserver en permanence ici la distance critique qui se défend de juger ses personnages afin de cultiver sans cesse la bienveillance du public du film sur chacun et chacune. Il en résulte une profonde et vertigineuse exploration du couple moderne confronté à ses propres exigences de réussite.

Illustration 2

Anatomie d'une chute
de Justine Triet
Fiction
150 minutes. France, 2023.
Couleur
Langue originale : français

Avec : Sandra Hüller (Sandra), Swann Arlaud (Vincent), Milo Machado Graner (Daniel), Antoine Reinartz (l'avocat général), Samuel Theis (Samuel), Jehnny Beth (Marge), Saadia Bentaïeb (Nour), Camille Rutherford (Zoé), Anne Rotger (la présidente), Sophie Fillières (Monica)

Scénario : Justine Triet et Arthur Harari
Images : Simon Beaufils
Montage : Laurent Sénéchal
Son : Julien Sicart, Fanny Martin, Jeanne Delplancq, Olivier Goinard
Assistant à la mise en scène : Benjamin Papin
Collaboration à la direction d'acteur.trice : Cynthia Arra
Décors : Emmanuelle Duplay
Costumes : Isabelle Pannetier
Régie : Benjamin Goumard
Scripte : Clémentine Schaeffer
Production : Les Films Pelléas et Les Films de Pierre
Coproduction : France 2 Cinéma, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
Produit par : Marie-Ange Luciani et David Thion
Producteur associé : Philippe Martin
Directeur de production : Julien Flick
Distributeur (France) : Le Pacte

Sortie salles (France) : 23 août 2023

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