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Cédric Lépine : Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être coprésidents de l’ACID ?
Idir Serghine : Cela signifie deux choses. Tout d’abord à assurer la représentation d’un collectif auprès des partenaires avec lesquels nous travaillons. Nous cherchons ainsi à assurer la bonne transmission des films partout sur le territoire. Il s’agit pour nous de s’assurer que nos idéaux se concrétisent sur le terrain.
Hélène Milano : Je suis assez sensible à ce que l’ACID soit un collectif de cinéastes qui existe depuis 1992 et qui soit comme un relais qui se passe des uns aux autres pour se battre sur le terrain. Être coprésidents cela signifie porter la parole d’un collectif et aussi être agissant de l’intérieur pour que le collectif reste vivant. Nous faisons également en sorte que l’équipe qui travaille chaque jour se sente soutenue par l’ensemble des cinéastes. Nous sommes aussi un peu des courroies de transmission.
C. L. : Cette année encore la programmation de l’ACID met en avant dans une répartition égale réalisateurs et réalisatrices d’un côté et fictions et documentaires de l’autre. Vous-mêmes en tant que coprésidents incarnez cela puisque vous êtes respectivement réalisatrice de documentaires et réalisateur de fictions. Est-ce là la volonté que les réalisatrices et les documentaires cessent d’être minoritaires dans la diffusion des films ?
I. S. : Depuis six années consécutives que je participe à la sélection des films à l’ACID, par expérience, la parité est évidemment quelque chose que l’on discute mais honnêtement, cela n’entre pas en ligne de compte de nos choix de sélection. Il s’agit là d’un heureux hasard puisque nous avons choisi les films qui nous touchaient le plus.
H. M. : Cela renvoie au fait que la parité est réelle dans l’association. La place des femmes reste à défendre mais elle est aussi portée et défendue par les réalisateurs autant que par les femmes. Tout en découle ! Si le comité de programmation était composé majoritairement d’hommes, la représentation masculine et féminine parmi les cinéastes serait sûrement vécue différemment.
I. S. : Concernant la place des documentaires, je trouve que l’ACID en reçoit beaucoup pour sa sélection cannoise. Nous avons ce souci du documentaire puisqu’on l’aime. Je trouve qu’en France le documentaire est un lieu d’expression et d’expérimentation extraordinaire et pourtant je suis un réalisateur de fictions.
C. L. : Défendre le documentaire c’est aussi défendre implicitement une économie du cinéma plus indépendante que la fiction en général puisque les budgets sont aussi moins importants : n’est-ce pas là également un sujet qui vous touche à l’ACID ?
H. M. : Je crois que cette question est là depuis longtemps dans le cinéma puisqu’effectivement dans les années 1950 et 1960, la place du documentaire est présente comme question très riche au cœur de la fiction et vice versa. Car cela interroge sur la représentation du réel dans le chemin construit par chaque cinéaste. Cette question est hyper foisonnante et c’est naturellement qu’elle se poursuit aujourd’hui. Il existe de nombreux allers et retours entre fiction et documentaire et je trouve cette problématique passionnante au sein de notre programmation. En effet, notre engagement en faveur de la diversité rend nécessaire cette place des documentaires. Je dois ajouter que le public a développé un vrai goût et un intérêt certain pour ces recherches-là. On voit bien sur le terrain qu’il y a une vraie appétence du public.
I. S. : J’ajouterais que dans tous les cas c’est difficile de faire un film. C’est vrai que le documentaire fait appel à une économie moins élevée et cela entraîne une plus grande liberté de création et de regard même si c’est contraignant financièrement. Cela entraîne différentes tentatives de faire des allers et retours entre fiction et documentaire, faisant naître des œuvres hybrides. Conserver cette liberté de création au sein de la fiction est plus compliqué car les dispositifs de financement de la fiction sont plus attentifs au contenu du scénario, venant souvent tordre l’énergie créatrice du ou de la cinéaste. Au sein du comité de programmation nous connaissons les ficelles des scénarios qui permettent le financement d’un film et nous préférons soutenir l’originalité pour ne pas que le public s’ennuie.
C. L. : Du côté des nationalités de production des films, avez-vous des règles pour équilibrer la sélection ?
I. S. : La première règle consiste à avoir au minimum six films français sur 9. Il existe une autre règle depuis deux ans maintenant qui consiste à avoir au minimum deux documentaires. Nous recevons certes majoritairement des films français mais depuis quelques années, la proportion des films étrangers ne cesse d’augmenter. Cela atteste d’une reconnaissance à l’étranger de notre programmation cannoise et de notre travail à l’année. Je me souviens que le film Thunder Road de Jim Cummings qui s’est retrouvé au festival de Deauville et qui a fait plus de 100 000 entrées, a eu pour conséquence l’année suivante d’entraîner une forte augmentation des films des USA dans les candidatures auprès de l’CAID.
C. L. : L’enjeu de la sélection cannoise de l’ACID consiste à ce que les films puissent trouver des distributeurs en France et à l’international. Dans le contexte où le festival international de Cannes n’a pas eu lieu, quelles sont les démarches pour faire découvrir ces films aux professionnels pour que ceux-ci puissent en acheter les droits de diffusion ?
H. M. : Tout d’abord les films ont été présentés au sein du Marché du Film du Festival de Cannes maintenu en virtuel. Les films seront aussi accessibles en prévisionnement et seront ainsi soutenus en plusieurs endroits. Le travail de recherche des distributeurs constitue un des gros enjeux de l’équipe permanente de l’ACID et il a d’ores et déjà commencé.
I. S. : La prospection commence déjà un peu en amont de l’annonce officielle de la programmation. Nous sommes mine de rien, malgré la situation de crise actuelle, très sollicités par les distributeurs. Notre grande surprise était de constater que les distributeurs avaient très envie de découvrir notre programmation pour enrichir leur line-up.
C. L. : Que pensez-vous de la stratégie de diffusion virtuelle durant la fermeture des salles lors du confinement ?
I. S. : Dans ce contexte de fermeture des salles, de nombreux distributeurs se sont retrouvés dans des situations d’extrême fragilité économique et financière. Nous avons donc regardé d’un œil très attentif cette histoire de plateforme numérique car, pour nous à l’ACID, les films sont destinés aux salles de cinéma. Nous sommes donc très attentifs à ce que l’exceptionnel ne devienne pas la norme. Nous ne souhaitons pas que nos films soient relégués dans des voies de garage. La diversité doit être protégée et défendue plus que jamais. Nous défendons l’existence de mécanismes incitatoires à l’endroit de l’exploitation. Il ne faut pas que les gros distributeurs nous écrasent.
H. M. : Je considère que la diversité est un enjeu démocratique très fort. Lorsque nous participons aux dispositifs d’éducation à l’image, nous cherchons à ce que l’esprit critique puisse se développer. Il n’y a pas de raison que sur notre territoire il y ait des endroits où la diversité du cinéma n’arrive pas jusqu’au public.
I. S. : Dans le contexte de crise actuelle et de montées du populisme à droite et à gauche, nous avons plus que jamais besoin de voir des films à la suite desquels un échange avec le public est possible, notamment à travers des initiatives comme l’ACID pop. Notre démarche est donc bien citoyenne avec 400 à 500 rencontres à l’année. Une séance d’ACID pop comporte une heure d’échange entre un cinéaste de l’ACID et le réalisateur du film présenté, suivi de la projection du film qui se poursuit avec un échange avec le public. Ces événements de 4 heures continues remportent un franc succès avec plus de 65 dates à l’année partout en France. En d’autres occasions, les cinéastes de l’ACID se chargent de présenter un film dont le réalisateur n’est pas disponible : cette chaîne de solidarité est fondamentale dans le collectif. L’ACID ne peut pas se contenter d’être pour les cinéastes une marche d’escalier pour débuter une carrière.
H. M. : Sentir que l’on s’inscrit dans un projet beaucoup plus vaste que soi est très important, plus important que les enjeux individuels des cinéastes, et la force du collectif permet la continuité du travail sur le long terme de l’ACID.
C. L. Quels sont les liens que l’ACID a actuellement avec le Festival de Cannes ? Pendant des années, l’ACID était par exemple la seule sélection parallèle à ne pas figurer dans le catalogue des sélections et à présent des films sélectionnés à l’ACID sont soutenus et présentés par l’Officielle.
I. S. : Il faut à cet égard saluer le travail remarquable réalisé durant plusieurs années par la déléguée générale Fabienne Hanclot qui a permis de remettre l’ACID au centre des enjeux du festival de Cannes. Elle a très vite compris que Cannes est un enjeu d’exposition absolument unique et qu’il fallait redéfinir la manière dont nous allions porter les films à Cannes. Ainsi, nous avons commencé à être très attentifs aux premiers films pour bénéficier d’une place singulière au sein des sélections. Je pense que la dureté du marché de l’industrie du cinéma a donné une place plus importante qu’auparavant au festival de Cannes et l’ACID, même petit, est devenu plus important aussi. Dans cette dynamique-là, je pense que l’Officielle s’est rendu compte que ce que nous faisions était aussi important. Cela a donc compté pour les gens de l’Officielle de nous faire venir dans leur giron mais cela ne s’est pas fait sur un claquement de doigt. Nous avons pu constater que d’années en années, l’ACID recevait toujours plus de presse, ce qui a renforcé encore davantage notre sentiment de légitimité pour pouvoir aller discuter avec l’Officielle. Nous avons donc sollicité directement Thierry Frémaux qui a reconnu notre travail.
L’an dernier, la présentation par Thierry Frémaux de L’Angle mort de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic au sein de l’ACID signifiait l’intérêt que celui-ci avait pour le travail des réalisateurs de ce film mais il s’agissait aussi d’acter officiellement l’entrée dans le giron de l’ACID dans l’Officielle. Cette année, nous avions encore un film en commun, ce qui explique encore la volonté de porter ce film de part et d’autre. En revanche, il ne s’agit pas d’une règle de présenter en commun chaque année un film.
C. L. : La prochaine étape de cette entrée dans le « giron » est-elle l’entrée dans la compétition de vos films éligibles à la Caméra d’Or du meilleur premier long métrage toutes sections confondues ?
H. M. : Ce n’est pas parce que nous sommes entrés dans ce giron que nous avons cessé de penser d’abord à la programmation au profit de la compétition. La question du prix est un piège pour nous et nous avons envie de conserver notre singularité.
I. S. : Il est vrai qu’en tant que cinéastes nous sommes toujours ravis de recevoir un prix mais cela ne fait pas sens à l’ACID. Pour la course aux financements et autres problématiques, les cinéastes sont poussés à la rivalité les uns contre les autres et nous ne voulions pas ajouter cet esprit compétitif dans l’ACID. Pour nous le véritable prix consiste à la reconnaissance des cinéastes de la programmation en choisissant les films. Finalement, les cinéastes eux-mêmes sont d’accord avec notre choix de refuser la compétition. Ce qui fait notre force, c’est notre solidarité entre cinéastes et la compétition créerait une rivalité que nous refusons.
H. M. : Nous sommes dans une société qui s’amuse trop à utiliser la rivalité tout le temps et partout et si l’ACID peut être un endroit préservé de cette logique, nous souhaitons en effet conserver cet état d’esprit. Avec l’équipe et les cinéastes, nous sommes tous vigilants à défendre nos valeurs que nous voulons continuer à porter.
PROGRAMMATION ACID 2020 :
Un film de Jessé Miceli
Un film de Ilan Klipper
Un film de Nathan Nicholovitch
Un film de Michele Pennetta
Sortie le : mercredi 04 novembre 2020
Un film de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe
Sortie le : mercredi 02 décembre 2020
Un film de Marie Dumora
Un film de Nora Martirosyan
La Última Primavera (Last Days of Spring)
Un film de Isabel Lamberti
Un film de Bojena Horackova