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Billet de blog 6 juillet 2022

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Entretien avec Fabien Gorgeart, réalisateur de "La Vraie famille"

Pour annoncer l'édition vidéo de son second long métrage "La Vraie famille", le réalisateur et scénariste Fabien Gorgeart s'est rendu disponible pour un entretien. Inspiré d'une histoire autobiographique, le film parle de la mutation d'une famille d'accueil dont le couple doit accepter l'arrivée du père adoptif de leur fils Simon.

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Illustration 1
Portrait Fabien Gorgeart © Manuel Moutier

Cédric Lépine : Comment est né le désir d'écrire ce scénario ?

Fabien Gorgeart : L'idée d'en faire un scénario apparaît un peu avec la première tentative d'écriture de cinéma tout court. En effet, j'ai déjà essayé d'écrire cette histoire il y a plus de 20 ans et à plusieurs reprises ensuite j'y suis revenu, toujours en m'arrêtant, échouant et en me prenant les pieds dans le tapis. Dans mes courts métrages, j'ai plus ou moins touché du doigt ce sujet et dans mon premier long Diane a les épaules (2017) c'était déjà une forme très détournée de le traiter.
Ma productrice Marie Dubas avec qui je travaille depuis mes courts métrages, m'a encouragé à faire de mon sujet le centre d'une intrigue où le mélodrame serait pleinement assumé, ce qui a débloqué mon écriture.

J'ai aussi été aidé en allant à la rencontre des histoires d'autres personnes en plus de mon récit autobiographique. Ainsi, j'ai découvert un récit qui est devenu plus proche de celui de Simon que je raconte dans le film, que l'histoire de l'enfant que j'ai connu quand j'avais 10 ans. Enfant, j'ai appris des choses qui, lorsque je suis devenu adulte, se sont avérées fausses. Mon travail d'écriture a consisté à retrouver dans le réel des histoires que je me racontais lorsque j'étais enfant.

Je montre dans mon film une forme de famille idéale alors que je sais bien qu'il existe des parents toxiques. Cependant, on entend plus facilement parler de ces histoires alors que je souhaitais partir d'une belle histoire même si elle est déchirante : cela correspondait à ce que j'ai vécu enfant.

C. L. : La construction de la famille est portée par la mère, notamment lorsque celle-ci se démène pour construire une nouvelle chambre.

F. G. : C'est aussi l'idée que la mère a construit quelque chose et elle a fait de ce petit garçon son enfant. Autour de cette idée de construction apparaît le problème de l'excès de cloisonnement où dès lors la frontière devient fine entre construire une maison solide et une prison solide. Je souhaitais autour de cette histoire que les deux enjeux apparaissent. Cet épisode permettait de comprendre tout ce qui amène la mère à décider de cloisonner la chambre alors qu'Eddy découvre surtout que son fils dort dans un cagibi. De la même manière, lorsqu'Anna entre dans l'appartement d'Eddy, sa regard dévalorise alors qu'en faisant un pas de plus, elle découvre une attention touchante pour son fils avec un sapin décoré. Ainsi, l'appartement d'Eddy est beaucoup plus investi que ce qu'elle veut bien voir, elle.

Quand bien même nos émotions sont belles et nous aident à déplacer des montagnes, elles peuvent aussi pervertir notre rapport au réel.

C. L. : Pourquoi avoir choisi trois lieux de famille très distincts entre le quartier à l'apparence américaine où vit Anna, l'appartement d'Eddy en haut d'une tour et la ferme de la famille d'accueil à la campagne ?

F. G. : Cette référence aux lotissements à l'américaine est aussi une inspiration autobiographique. La plupart du temps en France, les lotissements sont séparés entre eux par des haies et sont infilmables. Il n'y a que deux modèles de lotissements ouverts à l'américaine où cela fait partie des règles de ne pas planter des haies et c'est là que j'ai choisi de filmer. Cette forme d'habitations donne l'impression que toutes les familles se ressemblent et puis, lorsqu'on se rapproche, on commence à voir les singularités de chacune. C'est ainsi une manière de rentrer dans le film. C'était mon univers d'enfance et je le retrouve dans les films américains, alors que j'ai l'impression que les films français manifestent une certaine condescendance à l'égard de la classe moyenne.

Anna élève cet enfant dans un lieu très confortable à la différence de ce qui se passe chez Eddy. C'est là encore un jeu sur les clichés et sur l'appréhension que l'on peut avoir de ce qui constitue un bon lieu d'accueil familial pour les enfants.

Quant à la ferme d'accueil, il s'agit d'une référence personnelle puisque c'est dans un lieu similaire que j'ai dit au revoir à un enfant. Il y avait beaucoup d'animaux et les enfants avaient appelé ce lieu l'Arche de Noé et j'en étais d'autant plus marqué que j'étais alors très croyant. Aussi, pour moi, la scène du juge représente le jugement du roi Salomon de l'Ancien Testament.

C. L. : Le surinvestissement de la parentalité d'Anna à la différence de celle de Driss, semble trouver une explication possible dans le fait que les parents de celle-ci sont inexistants à l'écran : peut-on voir dans l'absence de ses parents, l'origine du comportement d'Anna ?

F. G. : Je me suis longtemps posé la question sur le fait de donner ou non une famille à Anna. Dans l'ADN du personnage se trouve ce comportement. Je pense qu'Anna a construit sa propre famille comme si elle était le premier membre de la lignée, comme une origine du monde. Entre Driss et Anna, on trouve une dynamique particulière où il doit apprendre à être père tandis qu'elle doit désapprendre à être mère. C'est aussi parce qu'il y a une absence de femme qu'Anna peut devenir la mère de Simon.

Illustration 2
"La Vraie famille" de Fabien Gorgeart © Le Pacte

C. L. : Aviez-vous la volonté de défendre une famille œcuménique avec Simon qui vit seul sa foi religieuse dans une famille plutôt athée ?

F. G. : C'était une inspiration autobiographique puisque j'étais fasciné par la religion chrétienne quand j'étais enfant alors que mes parents n'y étaient pas particulièrement intéressés. Simon a aussi une dimension christique et après tout, Jésus est le premier enfant placé. Le fait qu'Anna soit investie auprès de Simon, la conduit à vivre des moments privilégiés avec lui en l'accompagnant à la messe. J'avais aussi envie de cette soirée de Noël à l'église et qu'ils y aillent tous car c'était leur dernier moment ensemble. Cela permettait de mélanger sacré et trivial au même moment.

C. L. : Comment avez-vous envisagé la place de la caméra dans votre film qui peut prendre parfois le rôle de l'âme de la maison plutôt que représenter le regard d'un personnage, inspiré du point de vue mystique dans les films de Terrence Malick, notamment de Tree of Life ?

F. G. : Il y avait cette envie de montrer que ce que les personnages voient, ils le voient pour la dernière fois, comme s'il s'agissait de présent-passé. Il y a en effet chez Malick cette forme de sacré dans l'image et j'y suis très sensible. En revanche, c'est le rapport au montage qui propose autre chose où les instantanés saisis donnent envie de les retenir. Cela fait des plans plus longs et des scènes qui s'étendent alors que l'enfant est un personnage qui ne cesse d'échapper tout au long du film et qu'Anna cherche à le retenir.

C. L. : On peut également lire dans cette histoire des enjeux similaires qui se déroulent pour des enfants dont la garde est partagée entre parents séparés.

F. G. : En effet et j'avais bon espoir que le propos du film puisse être encore plus large que le sujet des enfants placés et des familles d'accueil. C'est la mutation de la cellule familiale qui m'intéresse.

C. L. : Vous réalisez une remarquable mise en scène où les enfants ne sont pas là pour faire de la figuration mais leur point de vue existe véritablement aux côtés des autres personnages.

F. G. : Avec ma productrice nous étions en effet convaincus que l'enjeu du film consistait à faire vivre ce point de vue des enfants. Nous avons vraiment pensé le rapport au casting comme au tournage au cœur de cette question. Plus les enfants allaient être incarnés, plus l'intrigue aurait une force émotionnelle. Nous nous sommes à la fois posés les bonnes questions et nous avons eu une vraie chance de trouver les bonnes personnes aux différents postes de la réalisation du film. J'ai vécu des moments forts au tournage, notamment avec la scène du cauchemar de Gabriel qui est magnifique.

Illustration 3

La Vraie famille
de Fabien Gorgeart
Avec : Mélanie Thierry (Anna, la femme de Driss), Lyes Salem (Driss, le mari d'Anna), Félix Moati (Eddy, le père biologique de Simon), Gabriel Pavie (Simon, l'enfant placé), Basile Violette (Jules, le fils cadet d'Anna et Driss), Idriss Laurentin-Khelifi (Adrien, le fils aîné d'Anna et Driss), Jean Wilhelm (Aloïs), Florence Muller (Nabila), Dominique Blanc (la juge), Pascal Rénéric (Maxime)
France, 2021.
Durée : 98 min
Sortie en salles (France) : 16 février 2022
Sortie France du DVD : 22 juin 2022
Format : 1,85 – Couleur
Langue : français.
Éditeur : Le Pacte

Bonus :
Entretien avec Fabien Gorgeart, Mélanie Thierry et Félix Moati
2 courts métrages de Fabien Gorgeart : Le diable est dans les détails (2016, 20’) et Un chien de ma chienne (2012, 11’)

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