Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

2757 Billets

6 Éditions

Billet de blog 6 septembre 2019

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec María Cadenas à propos de son spectacle «Tout ira bien»

María Cadenas de la compagnie Cie Dé-Chaînée, était venue au début du mois d'août à Vaour présenter au sein de la programmation du festival L'été de Vaour son spectacle «Tout ira bien» pour évoquer sur le ton burlesque de l'émancipation d'une femme face à la kafkaïenne organisation du marché du travail.

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cédric Lépine : Après avoir travaillé avec différentes compagnies de théâtre durant plus de dix ans, comment en êtes-vous arrivée à vouloir vous retrouver seule sur scène dans ce spectacle « Tout ira bien » ?
María Cadenas :
Avant ce spectacle, à l'opposé de ce que je fais maintenant, j'ai fait partie durant sept ans d'un collectif. J'ai commencé à tester les spectacles de la rue et j'ai beaucoup apprécié le rapport direct qui se crée avec le public. Comme je n'ai trouvé personne avec qui travailler, j'ai décidé de me jeter à l'eau et de me lancer seule sur ce spectacle.
C. L. : Quelle a été la formation qui vous a conduit à faire ce spectacle ?
M. C. :
J'ai fait en Espagne le Conservatoire traditionnel et une fois diplômée je me suis spécialisée dans le mime à Paris : tout mon travail corporel me vient de là. Il ne s'agit pas de la pantomime de Marcel Marceau mais davantage du mime d'Étienne Decroux, tout en sachant que Marceau a été l'élève de Decroux. Nous partageons tous les mêmes techniques des appuis corporels pour transmettre des choses précises au public. Tout se passe sur le travail des jambes.
C. L. : Comment avez-vous rencontré le personnage et son registre d'humour ?
M. C. :
Tout a commencé avec un autre personnage que j'avais travaillé en cours de clown et que j'ai épuré au fur et à mesure. J'essaie toujours de trouver une corporalité à mon personnage et à partir de là le reste vient. Cette corporalité comprend la façon de marcher, le rythme, le regard, mon travail avec les objets. Progressivement j'ai pu écrire l'histoire à partir de ce personnage préalablement défini. J'aime beaucoup l'humour qu'on peut trouver à travers le travail corporel.

Illustration 1
María Cadenas dans le rôle de Dolores sur son spectacle "Tout ira bien" © DR


C. L. : Comment s'est écrite cette histoire ?
M. C. :
Il était essentiel pour moi pour faire ce spectacle d'avoir une histoire : il fallait que la pièce tienne aussi par son histoire et pas seulement par son personnage. Cette histoire est venue en m'interrogeant sur ce que je voulais raconter et pourquoi. Si je suis touchée par le travail burlesque de Charles Chaplin, Buster Keaton ou encore Fiona Gordon et Dominique Abel, je regrette qu'il n'y ait encore que très peu de femmes dans le burlesque.
C. L. : Dans votre spectacle Tout ira bien qui se situe dans un espace réaliste, vous vous permettez de petites touches surréalistes.
M. C. :
La cuisine pour moi permettait d'exprimer les émotions de Dolores. Le monde autour d'elle ne va pas bien et elle va lutter contre tout ce qui lui arrive. Et comme j'aime l'expression sans parole, il fallait pouvoir le traduire. Il se trouve que j'adore le surréalisme. Il y a plusieurs choses qui peuvent paraître absurdes mais par son aspect magique, cela permet de traduire son univers. C'est ainsi qu'apparaissent quelques moments surréalistes en cohérence avec son identité.
C. L. : Comment accouche-t-on d'un tel personnage ?
M. C. :
Il m'a fallu au moins cinq ans pour ce personnage. Dolores est passée par plusieurs étapes : sa grand-mère, sa mère avant d'être elle-même. Au début, elle était une grosse femme âgée cuisinière qui est encore présente dans le numéro de la pâte. Il s'agissait d'une femme puissante et convaincue de ce qu'elle faisait. Ensuite, elle est devenue cette femme sans lunettes positives et très sûres d'elle. À présent, ma nouvelle Dolores représente la troisième génération. Cela fait au final trois à quatre ans que je développe Dolores pour en arriver à sa version actuelle.
C. L. : Il était nécessaire que votre personnage soit comme vous d'origine espagnole se débattant en France pour affirmer son indépendance par le travail ?
M. C. :
Cela traduit aussi la réalité de la migration espagnole importante en France il y a 9-10 ans et dont on n'a peu parlé. En effet, à l'époque il n'y avait plus de travail en Espagne et beaucoup d'Espagnols sont partis en France et en Allemagne en croyant trouver un emploi et de meilleures conditions de vie. Je tenais dans mon spectacle à refléter cette réalité socio-historique où une jeune femme espagnole en France est obligée de cacher qu'elle ne trouve pas de travail. Cependant, ce thème n'est qu'un sujet contextuel plus que le sujet de la pièce.
C. L. : La cuisine devient pour elle un espace d'émancipation où sa révolte exulte, parfois avec maladresse sans que Dolores soit maladroite pour autant.
M. C. :
En effet, Dolores n'est pas maladroite mais ce sont les choses de l'extérieur qui ne fonctionnent pas comme elle le voudrait. C'est lorsqu'elle prend les rênes en main qu'elle s'affirme par exemple à travers le flamenco. Elle exprime ainsi toutes ses émotions à travers ses actions.
C. L. : Dolores lutte face à un monde qui a perdu son humanité notamment dans les services sociaux décevant représentés par Pôle Emploi.
M. C. :
La communication humaine devient en effet très difficile parce que toute empathie a disparu. La règle est appliquée sans discernement et l'humanité a désormais totalement disparu. Même si le sujet est contemporain, mon histoire se situe de manière atemporelle notamment à travers le décor et l'esthétique de la mise en scène. Quant au sujet, j'ai cherché à parler de la précarité plutôt que de Pôle Emploi qui fait partie seulement de la dramaturgie.
C. L. : Est-ce que ce même spectacle pourrait être joué ailleurs ?
M. C. :
Oui, je l'ai déjà joué en Espagne et cela a plutôt bien fonctionné. Je l'ai traité d'une manière différente parce que l'équivalent du Pôle Emploi en Espagne est différent dans son fonctionnement. Dolores est alors un personnage qui recherche un emploi en Espagne et qui décide de partir à la fin en France.

Illustration 2
María Cadenas dans le rôle de Dolores sur son spectacle "Tout ira bien" © Alexis Lang


C. L. : La construction de Dolores évolue-t-elle avec la réception du public ?
M. C. :
C'est grâce au public que je construis mon personnage. J'ai dû faire plusieurs sorties de résidences avec des publics différents pour savoir où pouvait s'installer le dialogue avec le public. Il faut vraiment être à l'écoute du public car c'est aussi lui qui dirige en fait le spectacle.
C. L. : Quelles sont les autres personnes qui vous ont permis de développer ce spectacle ?
M. C. :
J'ai commencé seule en mettant à l'écrit toutes mes envies et mes thèmes avant de faire appel à une amie, Arianna Fernández, comédienne avec qui j'ai travaillée pendant des années. Elle m'a beaucoup aidée dans la dramaturgie de la pièce. J'ai ensuite demandé à Antonio Ávila, qui a fait l'école du clown de Samovar, de venir m'aider à travailler mon personnage. Le décor a été réalisé par Romain Thomas qui a puisé ses éléments dans une recyclerie, La Pagaille. Carmen Cabello a réalisé les costumes et Liam Morrissey et Nelson Vergara ont composé la musique. Romain Thomas et Mathieu Brier, journaliste d'une émission de radio alternative (Megacombi sur Radio Canut), ont fait les voix.

C. L. : Dolores, dans sa lutte contre la précarité pour s'affirmer et s'émanciper dans son travail, est-il aussi un autoportrait en tant qu'artiste luttant pour trouver sa place dans le monde du spectacle ?
M. C. :
C'est très difficile, surtout en tant qu'espagnole et mon accent qui me ferme des portes de trouver ma place dans le monde du spectacle. Un peu comme Dolores, j'ai décidé de ne pas attendre les opportunités mais de faire ce que je veux faire et ainsi de créer, malgré toutes les difficultés. La production d'un spectacle c'est aussi beaucoup d'attente auprès d'un téléphone de réponses pour qu'il soit programmé. Je suis également là à Vaour parce que j'ai participé à l'opération « Paris soutient Vaour » avec ce spectacle. Les bénévoles de Vaour ont ainsi organisé en Île-de-France un mini festival pour soutenir financièrement L'été de Vaour. J'ai beaucoup apprécié l'ambiance et j'ai ensuite voulu jouer ici.
Je me retrouve totalement dans l'humour absurde que j'ai développé dans ce spectacle et je compte bien le prolonger à l'avenir.


Tout ira bien
Écriture et interprétation : María Cadenas
Regard extérieur : Antonio Ávila - Arianna F. Grossocordón
Construction décors : La Pagaille Recyclerie
Musique : Liam Morrissey - Nelson Vergara 
Voix Radio : Mathieu Brier - Romain Thomas  
Costume : Carmen Cabello
Affiche : Anne Loève

CONTACT :
Cie Dé-Chaînée
Site - Facebook
production, administration et diffusion des Organismes vivants
07 61 18 12 21

Prochaine représentation de la compagnie le 21 septembre au Festival des Clowns excentriques et burlesques

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.