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Cédric Lépine : Qu’est-ce que chacun de vous a apporté dans l’élaboration de ce livre ?
Floriane Ricard : Je fais de l’illustration depuis un petit moment et j’avais très envie d’illustrer un livre destiné à être publié. Pour cela je souhaitais travailler à deux. C'est plus stimulant, plus enrichissant. J'ai demandé à FibreTigre une histoire traitant d'un renard qui fait du vélo, puisque c'est une de mes passions. Il a rapidement trouvé une trame qui m'a séduite… et c’était le début de cette aventure.
FibreTigre : Je travaille dans le monde du jeu vidéo. Dans ce secteur, il y a une typologie de jeu qui sont « les courses de voiture ». J'ai toujours trouvé le traitement de ce type de jeu affreusement sérieux. J'ai souvent proposé des jeux de course où les étapes seraient délirantes comme « aller sur la Lune » avec une route dans le ciel ou « aller au plus profond de votre cœur » ou même « aller rendre visite au joueur »... quand Floriane m'a proposé de faire quelque chose sur le vélo, je me suis dit que ce serait excitant de faire une histoire d'initiation et de compétition comme on en voyait dans les années 1980 (Karaté Kid). J'y ai ensuite appliqué mes idées de « courses non sérieuses ».
C. L. : Comment est venue l’idée de choisir uniquement deux couleurs, le bleu et le rouge, pour raconter l’histoire ?
Floriane Ricard : Je dois d’abord préciser que j'avais l'habitude de travailler au feutre, et avant cela, à la plume et à l'encre de Chine pour les traits, et à la tablette graphique pour la couleur.
La tablette graphique c'est pratique mais ça ne remplacera jamais le plaisir que l'on peut prendre en travaillant directement sur le papier… Travailler derrière un écran c'est bien moins satisfaisant.
Pour ce nouveau projet, j’avais besoin d'explorer de nouveaux territoires, de prendre un risque. Je suis donc passée aux encres colorées et aux pinceaux.
Le choix de la bichromie, c'était une règle que je me suis fixée. En ce qui me concerne trop de liberté, ce n’est pas idéal pour ma créativité. Je peux être très indécise quand je travaille, alors un champ des possibles réduit, moins vaste, m'est plus bénéfique.
Deux couleurs seulement, c'était mieux.
Et puis, le bleu et le rouge, l'un avec l'autre, me font un bien fou. Ce choix de couleurs spécifique, c'est une coquetterie.
C. L. : Quel témoignage du monde du vélo vouliez-vous partager avec ce livre ?
FibreTigre : Vous qui avez des passions, iriez-vous monter une cote à 20% par 30° de chaleur sur votre seul jour de semaine libre ? Ou faire 300 km et attendre une demie journée qu'un champion passe une seconde devant vous ? Voici le type de passion qu'ont les amoureux du vélo. On se sent tout petit à côté. Floriane m'a fait découvrir la communauté très solidaire du monde du vélo, qui n'est pas que de la comparaison de performances, mais aussi faire la fête, se souvenir des courses passées, cette relation d'amour-haine avec la route. On vient pour détester la route et pour la vaincre, comme un héros de légende - mais elle est paradoxalement nécessaire à l'écriture de votre épopée personnelle.
Floriane Ricard : Pour ma part, je dirais que quand on tombe vraiment amoureux du vélo, c'est pour toute la vie. Cela a du moins révolutionné la mienne. Ça aussi été le cas de Renard car c’est par ce biais qu’il peut faire toutes ces rencontres et s'engager dans cette épopée fantastique.
C. L. : La compétition conduit à une profonde solitude : pouvez-vous partager votre sentiment à cet égard alors qu’au début de l’histoire le vélo semblait source d’espoir ?
Floriane Ricard : Il y a ceux qui participent pour gagner et ceux qui participent pour le plaisir.
Je me reconnais en ceux qui ont le goût de l’effort et du dépassement de soi.
Ceux qui sont heureux de retrouver leurs amis et concurrents en fin de journée, épuisés, autour d’un verre, ensemble, après avoir été seuls face à leur douleur.
Ceux qui participent pour gagner, je me demande s'ils ne passent pas à côté de l'essentiel. J’ai l’impression que la notion de plaisir s’estompe au profit de quelque chose de beaucoup moins beau. Une soif intarissable, un besoin trop grand de nourrir son ego.
Je me sens moins proche de ces gens là. Je crois que ceux-ci doivent se retrouver bien seuls.
Et puis, lorsqu’on est devenu le champion de tous les champions, quel ennui terrible cela doit être ! Le grand but de sa vie, enfin atteint, mais quel immense vide pour la suite une fois la joie passée ! Il faut retomber sur ses pattes et se trouver rapidement de nouveaux objectifs.
FibreTigre : C’est une métaphore bien entendu de notre parcours social. Albert Jacquard disait : il est criminel de dire à son enfant « tu seras un gagnant ». Vous êtes encouragé tôt à vous engouffrer dans un parcours économique, académique, social, qui par essence profite à « la communauté » mais qui ne peut que vous détruire. Abandonner progressivement l'idée de gagner est paradoxalement le seul chemin de victoire.
C. L. : Est-ce un paradoxe qu’un renard qui fuit la solitude s’attache à un vélo ?
FibreTigre : Là encore on est dans la métaphore du parcours social. Sans expérience de vie, on demande aux jeunes de choisir une voie professionnelle où ils devront réussir après X années d'études. Ils le font par pression sociale, sur conseil de leur parent ou professeur. Certains pédalent jusqu'au bout de leur vie, et font même des choses extraordinaires. D'autres seront rapidement malheureux mais ne pourront pas identifier leur malaise. Ont-ils eu un véritable libre arbitre ?
Floriane Ricard : Quand j’ai demandé à FibreTigre une histoire sur le vélo, n’étant lui-même pas cycliste, il m'a questionné sur mon expérience et s'en est inspiré.
Je l'aime terriblement, mon vélo. C'est grâce à lui que je me sens si libre, et vivante, que j'incarne parfaitement mon corps, et que je suis plus que jamais ancrée dans le moment présent.
Et puis c'est un fantastique exutoire. Ça vous lave le cerveau!
Je suis très attachée à mon vélo, il m'accompagnait partout avant que je ne me blesse et que je sois interdite de sport pour une période indéterminée.
Pour en revenir à votre question, je ne crois pas me tromper en disant que nous sommes nombreux dans ce cas. À chérir notre monture, parce que c’est l’outil qui rend tout cela possible.
Et puis il s’attache autant à son vélo qu'à son ami voisin...
C. L. : Pourquoi avoir choisi le renard comme héros de votre histoire ?
Floriane Ricard : Avant de commencer renard, je tenais un petit carnet dans lequel je dessinais un animal par jour. Après les singes, les paresseux et autres animaux atypiques (j'aime la nature, surtout quand elle nous surprend… elle a vraiment du talent la nature !) j'ai dessiné un renard assez mignon, puis j'ai décidé de m’attarder sur cet animal, pour finalement en faire mon personnage principal.
Je lui ai fait faire du tennis et du ski, du saut en parachute, et du vélo, beaucoup de vélo. Il était prédestiné à être un casse-cou. Un peu tout ce que j’étais avant d’être en repos forcé.
J’ai beaucoup vécu par procuration, grâce à Renard.
C. L. : Au fur et à mesure, votre récit prend un tour inattendu : comment cette histoire a-t-elle évoluée jusqu’à la version finale proposée dans le livre ?
Floriane Ricard : FibreTigre m’a donc livré une première ébauche d'histoire, que j’ai aimé instantanément, puis il l'a étoffé au fur et à mesure et parallèlement j'illustrais son récit.
Nous avons beaucoup débattu au sujet de la fin, que je trouvais un peu triste.
Je voulais la changer, FibreTigre n’était pas du tout de cet avis. J’ai respecté cela, la fin est donc restée fidèle à son souhait.
Mais il a écouté mes envies et le tome 2 sera peut-être plus emprunt d’espoir... Et d'amour.
FibreTigre : À la lumière de ce que j'ai décrit plus haut, une fin heureuse aurait été paradoxalement monstrueuse.
C. L. : Quelles règles vous êtes-vous mises, ou non, pour ne pas que le texte ne paraphrase l’image et vice versa dans le livre ?
Floriane Ricard : Paradoxalement, avec Renard à vélo, c'est une des première fois où je colle le plus au texte, que je fais des illustrations cohérentes.
Auparavant, j'ai beaucoup travaillé autour de l'absurde. J'aime désarçonner, surprendre, apporter une dimension supplémentaire. L’idée que chacun puisse donner un sens différent à mes illustrations m'intéresse terriblement. D'ailleurs je vais y revenir dans mes futurs projets.
FibreTigre : En utilisant le décalage de la vision d'une personne candide (Renard). Il voit une émeute et dit « ben dites donc, ils s'amusent mais ils devraient faire attention. » On taille dans le matériau du commentaire un peu d'humour, un peu de texte pour adulte, un peu de commentaire social, et la personnalité des protagonistes.
C. L. : Pouvez-vous parler de la cohérence pour vous de concevoir un livre avec du papier issu de forêts gérées durablement ?
Floriane Ricard : Je respecte la nature plus que tout, et je ne conçois pas qu'on puisse en faire autrement. Thomas [Bout] , mon éditeur [directeur et fondateur de la maison d’édition Rue de l’Échiquier], par chance, a les mêmes convictions que moi. Je suis très contente que la vie nous ait mis sur le même chemin, parce que clairement, nous allons au même endroit. Et je crois que tout le monde devrait nous y rejoindre, parce qu’il y fera bon vivre.
FibreTigre : L'écologie, c'est choisir si on doit être mangé bouilli ou rôti. On pourrait objecter qu'aujourd'hui les arbres coupés sont systématiquement replantés tandis que le bilan carbone des consultations Internet (via les serveurs) est inquantifiable. La véritable écologie commence quand on se pose la question : il n'y a pas de chemin définitif identifié aujourd'hui vers un comportement écologique, mais se poser la question avec humilité et en gardant l'esprit ouvert reste le premier pas vers celui-ci.

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Renard à vélo
de FibreTigre et Floriane Ricard
Nombre de pages : 256
Format : 220x116 mm
Date de sortie (France) : 1er avril 2016
Éditeur : Rue de l’Échiquier
Collection : Hors Collection
ISBN : 978-2-37425-042-7