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Cédric Lépine : Qu'est-ce que vous avez modifié dans votre scénario et mis en valeur par rapport au roman original ?
Malik Chibane : Dans un premier temps, j’étais assez fidèle au livre de Magyd, puis j’ai eu besoin d’élargir mon propos. Par exemple, Magyd est un bon élève, amoureux des mots, de la littérature, mon personnage de Mourad est un élève moyen, il est en C.A.P. Il est un élève moyen sur le plan de sa scolarité mais je voulais exprimer le grand potentiel de tous les élèves. Le père est aussi une pure création par rapport au livre mais la mère me semble extrêmement fidèle à l’esprit du livre et au-delà aux femmes maghrébines de la première génération.
C. L. : Quelle part de votre propre histoire peut-on reconnaître aussi dans cette histoire ?
M. C. : Si j’ai choisi depuis 30 ans d’être derrière la caméra, c’est que je parle très rarement, voire pas du tout, de moi. Je ne suis pas très intéressant, pas très cinématographique et très pudique sur ma famille. Ma jeunesse même dans Hexagone, mon premier film, je ne suis aucun des 5 portraits des jeunes. Maintenant j’ai connu cette époque, à 13 ans, l’institution scolaire m’a mis devant une tourneuse, seul élément autobiographique de mon film.
C. L. : Votre décision de vous consacrer pour le cinéma trouve-t-elle des similitudes dans l'histoire du protagoniste de votre film ?
M. C. : Oui, la musique, le cinéma, être un artiste, avoir une démarche singulière et surtout avoir l’immense privilège de s’exprimer revêt pour moi un caractère vital. Maintenant j’aimerai faire des comédies ou des films déconnectés du climat politique de notre Douce France, mais faut croire que cela reste difficile pour ne pas dire impossible. M’exprimer est vital et faire ce film c’est aussi un peu d’oxygène dans une France médiatique souvent irrespirable où on crache sur la tombe de nos parents, souille de contre-vérités nos albums de famille. L’immigration maghrébine, de la première à la quatrième génération, n’a pas la place qu’elle mérite dans le fameux roman national
C. L. : En quoi cette histoire parle aussi de la société actuelle ?
M. C. : Oh la question ! Comme vous le savez je ne suis pas sociologue, d’ailleurs je vous conseille la lecture de l’excellent travail de Stéphane Beaud, mais j’ai été troublé de voir la réaction des jeunes, garçons, filles voilées ou pas, leur sentiment que rien n’a changé depuis la marche des beurs de 1983, que les questions sont encore en « jachères », la France urbaine est récente. 50 ans c’est beaucoup à l’échelle d’une vie, à l’échelle d’une nation c’est à peine l’épaisseur d’un ancien ticket de métro.
C. L. :Voulez-vous faire un commentaire sur l'actualité de la loi immigration ?
M. C. : C’est du F.N des années1980. La préférence nationale est fondamentalement abjecte. On paye collectivement la présence à deux reprises de l’extrême droite au second tour de la présidentielle. Et aussi ces chaînes d’« opinions » qui sont du « miel » pour les fachos. Bref en 2027, que les authentiques progressistes s’unissent, que l’on parle enfin climat et inégalités !!! J’en ai marre de voter contre, j’ai envie de voter pour. Je croyais que le Bonapartisme c’était à droite. Un Homme, un peuple et toute cette littérature à l’eau de rose. La gauche c’est la démarche collective et collégiale, non ?

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C. L. : Comment avez-vous trouvé la tonalité de votre film entre mini drame et comédie ?
M. C. : Cette tonalité est arrivée progressivement. La lumière de l’Occitanie probablement mais surtout pour sortir des personnages assignés à résidence, condamnés au naturaliste, au misérabilisme. L’extrême droite n’a pas le monopole des préjugés racistes et coloniaux, sous un regard, une plume bienveillante, on peut dire une construction intellectuelle dangereuse. Le cinéma sur les immigrés, leurs enfants, fige une image approximative. Bref on n’avance pas. La preuve, on parle constamment de l’échec de l’intégration alors que cette dernière est une réussite qui prend le R.E.R tous les jours.
C. L. : Que signifie pour vous l'arrivée pour la première fois de la gauche en 1981 à la présidence et au gouvernement dans l'histoire de la Ve République ?
M. C. : Le 10 mai 1981, ma mère m’a dit que Mitterrand avait autorisé qu’on égorge des femmes enceintes ! J’ai vu des adultes paniqués, j’étais ados, mais j’ai eu un cours d’histoire accéléré et surtout je me suis politisé à la faveur de cet événement car très rapidement Mitterrand est devenu populaire auprès des immigrés dont mes propres parents, avec l’instauration d’une carte de séjour unique de 10 ans.
C. L. : Quelle a été la place de Magyd Cherfi dans la réalisation du film : est-il intervenu dans l'écriture du scénario et durant le tournage ?
M. C. : Non c’est une libre d’adaptation, nous l’avions prévu. Et je lui ai demandé la musique dont je suis extrêmement satisfait. Je sais qu’il apprécie beaucoup mon film, nous l’avons présenté ensemble à Toulouse devant le public et la presse.
C. L. : En quoi cette histoire serait différente si elle se situait à l'époque contemporaine ?
M. C. : Mon héros ne serait pas le premier bachelier de son quartier mais la plus grande différence est que la gauche avec François Mitterrand nous avait dégagés l’horizon, on avait une vie à vivre et l’espoir était de rigueur avec toutes les initiatives émancipatrices (mission locale, politique de la ville, les actions culturelles de Jack Lang). Seul ombre au tableau, le rendez-vous manqué du droit de vote des immigrés aux élections locales, aujourd’hui nos villes seraient si différentes et notre pays plus fort dans sa cohésion.

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Ma part de Gaulois
de Malik Chibane
Fiction
90 minutes. France, 2024.
Couleur
Langue originale : arabe, français
Avec : Adila Bendimerad (Nacera Chakraoui), Abdallah Charki (Mourad Chakraoui, lycéen), Lyes Salem (Aziz Chakraoui), Cif-Eddine Garda Mourad Chakraoui, collégien), Marwan Amesker (Nourdine, collégien), Adda Senani (Nourdine, lycéen), Rayan Feghoul (Farid Chakraoui), Emmanuelle Kalfon (Mme Vasseur)
Scénario : Malik Chibane, d'après le roman de Magyd Cherfi Ma part de Gaulois
Images : Lubomir Bakchev (AFC)
Montage : Cécile Perlès
Musique originale : Magyd Cherfi
Son : Franck Flies
1er assistant réalisateur : Olivier Berlaud (AFAR)
Réalisatrice seconde équipe : Myriam Chibane
Décors : Thierry Jaulin
Maquillage : Jade Izia
Costumes : Noémie Le Tily
Casting : Dez Epane, Valérie Pangrazzi
Produit par : Virgile Godillon
Production : Dellys Films
Directeur de production : Ludovic Leiba
Distributeur (France) : Alba Films
Sortie salles (France) : 31 janvier 2024