Sortie DVD de Southcliffe, de Sean Durkin
À l’aube d’une matinée grise de la paisible ville anglaise de Southcliffe, un homme abat de sang froid toutes les personnes qu’il croise sur sa route. Pour couvrir ce massacre, la télévision envoie l’un de ses journalistes originaire de cette ville, à son corps défendant. Ce dernier en effet avait quitté cette localité enfant avec de bien piètres souvenirs.
Regarder une mini-série de 4 épisodes est confortable pour ceux qui ont peur de s’éterniser sur un long récit. Pour les auteurs, cela permet une condensation des thèmes et des idées, comme s’il s’agissait d’un long métrage en deux parties, à l’instar de Kill Bill de Tarantino ou Nymphomaniac de Lars von Trier. Car l’exigence du cinéma se retrouve pleinement dans cette mini-série réalisée par Sean Durkin, réalisateur de Martha Marcy Mar Marlene (2011), créée et écrite par Tony Grisoni, scénariste de nombreux films de Terry Gilliam et du très marquant The Red Riding Trilogy. Les ponts entre cinéma et télévision ne sont parfois pas longs à franchir et les voyages de l’un à l’autre se révèlent bénéfiques dans la diversité des expériences acquises. Car Southcliffe est une série brillante de bout en bout, beaucoup plus exigeante que certains films se réclamant du septième noble art. Tout le potentiel cinématographique se retrouve ici associé au format de la série télévisée de 52 min. Pour raconter leur histoire, Sean Durkin et Tony Grisoni vont jouer avec le temps : si le massacre est le point central de cette histoire, l’avant et l’après du côté des personnages sont aussi importants l’un que l’autre, l’équilibre étant brillamment trouvé entre les deux.
Southcliffe est un digne héritier de l’Elephant d’Alan Clarke (1989) pour sa mise en scène et dans son souci de témoigner de l’indicible au-delà du traumatisme causé par des meurtres appliqués de sang froid. Si l’on commence par le massacre pour revenir chronologiquement à l’avant massacre, on suppose que l’objectif de cette histoire consiste à montrer aux spectateurs les causes de cette soudaine débauche de violence. L’intérêt de cette série est d’éclater le récit aussi bien dans le temps qu’à travers les points de vue de différents personnages. Ce qui rend l’appréhension des faits plus complexes et peu à peu plus proche des enjeux d’une communauté. Tour à tour, le spectateur est invité à partager les émotions et sentiments de plusieurs personnages, le conduisant sur les fausses pistes d’un héros rédempteur. L’enjeu est très subtil et permet aux spectateurs de se rattacher au récit par divers facteurs selon sa propre sensibilité. Allant à l’encontre des discours politiques et médiatiques résultant quelques minutes à peine après un massacre, Southcliffe n’est jamais réducteur et laisse aux spectateurs leur libre appréciation. Néanmoins, sont montrés du doigt l’engagement militaire du Royaume-Uni en Afghanistan, la haine de l’étranger, quel qu’il soit dans une petite bourgade repliée sur elle-même et qui ne peut souffrir d’aucune critique, entre autres choses. Chacun des personnages est véritablement touchants : l’excellente interprétation des acteurs y doit beaucoup, associée au développement du scénario autour d’eux et des choix de mise en scène. Ces personnages sont les piliers de cette histoire et il est difficile de ne pas être touchés par eux, malgré leurs actes mêmes. Il ne s’agit pas ici de présenter des modèles irréels d’individus en société mais de montrer les travers d’une société incapable de développer du lien social, ce qui est pourtant sa raison d’être. Ce sont dans les drames que les communautés se soudent, comme la réappropriation cynique du « Je suis Charlie » par le gouvernement français au mois de janvier 2015 dernier. Lorsque la communauté se soude ainsi, elle clame être étrangère aux crimes commis : hors le criminel en question faisait partie de cette communauté. Comment dès lors n’a-t-elle pas pu voir la défaillance d’un de ses membres ? Comment les vertus de la cohésion n’ont-elles pas pu se mettre en place ? C’est ce que pointe du doigt avec amertume et rancœur le journaliste David Whitehead qui revient sur sa terre natale. Une communauté ne peut se constituer à partir d’un ennemi extérieur commun, qui est un pur fantasme destructeur de sociétés humaines : chacun sera toujours l’ennemi d’un autre au profit de nouvelles alliances et de stratégies politiques machiavéliques. À la suite d’un massacre aussi éprouvant, une communauté est sommée de se remettre en question pour s’interroger sur sa santé. Sans cette remise en question, ce travail sain de deuil qui peut ouvrir à de nouvelles perspectives de liens sociaux, nulle perspective à attendre. Southcliffe est a posteriori une excellente série pour appréhender un drame comme le fut celui qui a touché la France entière en ce début d’année 2015.
Southcliffe
Southcliffe
de Sean Durkin
Avec : Sean Harris (Stephen Morton), Rory Kinnear (David Whitehead), Shirley Henderson (Claire Salter), Joe Dempsie (Chris Cooper), Anatol Yussef (Paul Gould), Eddie Marsan (Andrew Salter)
Royaume-Uni – 2013.
Durée : 208 min
Diffusion originale (Royaume-Uni) : du 4 au 18 août 2013 sur Channel 4
Diffusion (France) sur Canal+ Séries à partir du 1er septembre 2014
Sortie France du DVD : 3 février 2015
Format : 1,77 – Couleur
Langue : anglais - Sous-titres : français.
Éditeur : Éditions Montparnasse
Épisodes :
- Un petit bourg sans histoire (The Hollow Shore)
- Le jour des larmes (Light Falls)
- L’enfant du malheur (Sorrow’s Child)
- Le jour des morts (All Souls)