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Cédric Lépine

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Billet de blog 12 février 2015

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Hansel et Gretel, des enfants rroms comme les autres

Sortie nationale (France) du 11 Février 2014 : Spartacus et Cassandra, de Ioanis Nuguet

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Illustration 1
© Nour Films

Sortie nationale (France) du 11 Février 2014 : Spartacus et Cassandra, de Ioanis Nuguet

Spartacus et Cassandra, deux enfants rroms de 13 et 11 ans, sont frère et sœur. Ils ont été accueillis par Camille, jeune trapéziste, sur son terrain alors que leurs parents ont quelque peu déclaré forfait. La question est posée de placer ou non Spartacus et Cassandra dans une famille d’accueil.

Documentaire-fiction : difficile de trancher tant l’un et l’autre habitent le film. Cette œuvre hybride marie à la perfection les deux approches du réel. L’enjeu est d’ailleurs dû à ces deux approches. Tout commence en 2010 avec l’effroyable discours de Grenoble d’un président des Français vouant aux gémonies une partie de la population du territoire qu’il doit représenter. Depuis le mot rrom est souvent vilipendé et surchargé d’a priori par les médias. La saine démarche de Ioanis Nuguet est d’aller rencontrer le quotidien des Rroms en vivant à leurs côtés. Il se trouve que le désir du film commence avec les protagonistes eux-mêmes et leur désir d’avoir une image personnelle. Le droit à une image dans une société surmédiatisée où l’on n’existe pas sans image, sans avatar est donc pertinente. Ce désir de film venant de Spartacus, le jeune garçon, le point de vue principal sera donc le sien. Chaque personne devant la caméra joue son propre rôle mais en évitant de regarder la caméra. Pour raconter son histoire, le réalisateur privilégie la forme du conte, ces histoires où des enfants sont abandonnés par leurs parents à cause de la misère économique de ceux-ci (cf. Le Petit Poucet, Hansel et Gretel) et doivent assumer les responsabilités des adultes pour qu’un horizon s’ouvre à eux. Pour préserver l’intimité des histoires de vie filmées et évacuer tout voyeurisme, le travail sur la forme fictionnelle était en effet indispensable. Elle apparaît également par la voix off des personnages éponymes, qui viennent partager leurs sentiments avec le spectateur alors qu’autrement ils ne viennent jamais dialoguer face caméra : ils déroulent leur vie comme si la caméra n’existait pas. Alors que la part documentaire pourrait supposer un aperçu sombre de la misère sociale, tel un univers à la Dickens avec des enfants contraints à mendier, le cinéaste privilégie avec un sens inné de la perspicacité l’aspect solaire à l’ensemble du film. Les couleurs dominantes sont chaudes, le ciel est lumineux et l’espoir semble permis à l’instar des yeux bleus rayonnant des protagonistes. C’est que l’enfance signifie l’espoir d’une vie meilleure, malgré les parents de sang dont la responsabilité fait défaut, tout comme les parents symboliques qu’est l’État français qui agit de manière irresponsable vis-à-vis de ses propres enfants en les divisant et créant des sources de tensions irréconciliables. La construction savamment élaborée laisse place à ce type de métaphore au profit d’un discours citoyen du côté de la salle de cinéma. Ce qui est encore louable dans la démarche et qui fait aussi toute la réussite du film, c’est que le cinéaste a laissé s’exprimer ses protagonistes, construisant davantage la forme de son film que l’image de ses personnages qui n’appartient qu’à eux. Dès ce premier long métrage, ce quasi autodidacte qu’est Ioanis Nuguet réussit à témoigner d’une éthique de l’image que l’on trouve rarement aussi bien exprimé auprès de réalisateurs aguerris ou ayant suivi un cursus cinématographique notoire. C’est là une gageure non négligeable de sa part. On garde en tête au final ce magnifique message qu’il est difficile pour un enfant de grandir lorsque ceux que le désir a poussé à devenir parents (ceux du sang comme ceux symboliques qui désirent le pouvoir, par exemple) poursuivent des objectifs tout à fait personnels où l’enfant n’est qu’un outil pour ses intérêts personnels. Heureusement le métissage existe : tant que les communautés restent ouvertes, chacun pourra accueillir l’autre et nourrir des relations dans un commun respect de l’intégrité de l’autre. La vraie famille se crée et se nourrit chaque jour : merci Spartacus et Cassandra, Cassandra et Spartacus à travers votre conte de partager ce lien revigorant de ce que peut être la vie !

Illustration 2

Spartacus et Cassandra

de Ioanis Nuguet

Documentaire-fiction

81 minutes. France, 2014.

Couleur

Langue des dialogues : français et rromani

Langue du sous-titrage : français (lorsque les dialogues ne sont pas en français)

Avec : Cassandra Dumitru, Spartacus Ursu, Camille Brisson

Scénario : Ioanis Nuguet et Samuel Luret

Images : Ioanis Nuguet

Montage image : Ioanis Nuguet, Anne Lorrière

Montage son : Marc Nouyrigat

Mixage : Frédéric Théry

Musique : Aurélie Ménétrieux

Son : Maissoun Zeineddine, Marie Clotilde Chery, Jean-François Briand, Alexandre Gallerand, Marc Nouyrigat

Production : Morgane Production

Producteurs: Samuel Luret, Gérard Lacroix, Gérard Pont

Productrice exécutive : Catherine Rouault

Direction de production : Albertine Fournier

Distributeur (France) : Nour Films

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