La compagnie La Caravane K était ce vendredi 11 juillet 2014 au Festival au Village de Brioux-sur-Boutonne pour leur spectacle Petits trakas avec la Lune, en musique, danse et Langue des Signes Française. Pour en parler, Karine Jamet, la directric artistique, chorégraphe, metteur en scène et fondatrice de la compagnie La Caravane K et Clément Maugé, responsable de la création lumière.

Comment se sont réunies les différentes compétences artistiques qui ont donné naissance au spectacle Petits trakas de Lune ?
Karine Jamet : Tout d’abord l’histoire est l’adaptation d’un ouvrage pour enfants : La Lune nue de Marie Sellier et Hélène Rajcak. J’ai tellement aimé ce texte que j’ai eu l’idée de l’utiliser comme une matière pour créer. J’ai réfléchi avec qui, comment et pourquoi je devais faire cette pièce. Ma démarche est comme à mon habitude pluridisciplinaire et en l’occurrence ici : danse, musique, conte et langue des signes française. La langue des signes française m’a toujours attirée parce que je la trouve très belle dans sa dimension poétique, gestuelle, suggestive. J’avais envie d’explorer les liens possibles entre la chorégraphie et la langue des signes. J’ai rencontré la communauté des sourds de Poitiers et j’ai appris la langue des signes. De fil en aiguille j’ai rencontré Damien Mignot qui commençait alors à passer du statut de comédien amateur à celui de professionnel. Je connaissais déjà Sylvie Dissa. La difficulté sur ce spectacle consistait à penser la mise en scène à destination des personnes sourdes. Ainsi il a fallu limiter le nombre d’actions sur scènes : on ne pouvait pas à la fois lire les signes d’un acteur et suivre la chorégraphie en parallèle. À cet égard, le travail de la lumière a été un appui très important. La lumière représente aussi certains personnages : les étoiles couturières, la voie lactée qui s’allume toujours au même endroit sont des repères qui reviennent régulièrement au cours du spectacle, tel le refrain d’une musique. Mon objectif est que la lumière crée aussi du mouvement, change l’espace, permette des focus, donne une atmosphère à l’émotion qui se traduise sur scène. C’est ainsi un spectacle visuel.
Le spectacle a-t-il été conçu en fonction du jeune public ?
K. J. : La philosophie de la compagnie est de faire un théâtre accessible à tous et non pas de faire du théâtre élitiste : l’objectif est de travailler pour tous à travers une accessibilité sensitive du spectacle. À partir de là, le spectacle s’adresse à tous pour que chacun puisse avoir quelque chose à prendre, à voir, à ressentir. Nous ne faisons pas de spectacles pour une catégorie de personnes. Au-delà de la volonté de toucher tous les publics, la compagnie a cherché à travailler avec des artistes différents. Nous avons travaillé avec une danseuse trisomique sur notre dernière création et je fais beaucoup de travail de pédagogie dans des établissements spécialisés. Damien Mignot amène sa différence dans le spectacle à travers le langage des signes.
Le jeune public est davantage dans la découverte et moins dans le jugement parce qu’il possède moins de codes que les adultes qui arrivent avec leur culture, leur expérience du théâtre. Pour autant, le jeune public n’est pas le public le plus facile, bien au contraire. Mais il a l’avantage d’être spontané.
Le jeune public peut avoir le rôle de passeur vis-à-vis des adultes pour faire évoluer la société, ne serait-ce que par le seul fait que les parents accompagnent leurs enfants, alors qu’ils n’auraient peut-être pas assisté seuls à ce spectacle.
K. J. : Tout à fait et d’ailleurs lorsque je crée un spectacle jeune public, ce n’est jamais seulement pour le jeune public, qui vient toujours accompagné. En conséquence, le public est nécessairement composé d’enfants et d’adultes. Il est essentiel pour moi que les adultes ne s’ennuient pas, que quelque chose passe au niveau émotionnel et également au niveau du sens. Par exemple, le spectacle Petits trakas de Lune évoque la relation mère-enfant et comment accompagner un enfant dans la vie. En l’occurrence, il s’agit d’une petite fille capricieuse qui en demande toujours plus : cela ne va jamais comme elle veut. Elle finit pas trouver la force et le courage de lui dire : « Tu es ainsi et tu n’as pas besoin de tout cela pour être toi-même. »

Le spectacle s’est terminé aujourd’hui avec des croix blanches sur les trois comédiens, évoquant la périlleuse situation des intermittents.
K. J. : En effet, Damien qui s’exprime avec ses mains a mis des croix sur ses mains, Sylvie qui chante une croix sur sa bouche et moi-même au centre de mon corps. Ce qui signifie que nous allons être privés de l’expressivité de notre métier.
Clément Maugé : Il ne s’agit pas que du statut des intermittents mais plus généralement de la perte des droits sociaux des personnes en situation précaire, des chômeurs et d’autres. Nous avons seulement l’avantage en travaillant dans le spectacle d’avoir des scènes pour témoigner au public de cette situation. Nous symbolisons ainsi le fait qu’en notre absence, le plaisir d’éprouver la culture pourrait disparaître.
K. J. : Du moins, la culture s’appauvrirait énormément.
C. M. : C’est une idéologie que le patronat français via le MEDEF veut imposer. En situation de confort économique et de pouvoir politique, il sait recevoir de l’argent mais n’aime pas le redistribuer. Leur objectif est que nous restions en situation de précarité critique afin de ne plus pouvoir être en situation de se rebeller.
K. J. : Ce qui m’attriste le plus c’est que l’on veuille ainsi creuser l’écart social entre chacun, empêchant l’accès de la culture pour tous. On verra alors disparaître les spectacles dans des petits lieux, les petites communes, les écoles, etc. La culture sert à s’émouvoir mais aussi à réfléchir. La culture produit des rencontres entre les gens, à la différence de la télévision qui isole chaque individu chez lui. Cela engendre des discussions et des liens qui se créent entre les uns et les autres.
C. M. : Ces mesures vont donc conduire à l’émergence d’une société plus individualiste, alors que seul on ne peut rien faire. On ne peut exister qu’au sein d’un groupe. Cela peut avoir du sens de témoigner mais pas toujours. Ce choix appartient à chacun dans chaque compagnie. Il a été décidé récemment qu’à partir du moment où une personnes représentant le gouvernement était présent dans la salle, le spectacle ne pourrait pas se produire.
Ce dont je suis le plus déçu, c’est du gouvernement actuel qui aurait dû, par une politique de gauche, être un rempart pour protéger les droits des citoyens face à la prédation du MEDEF. La gauche qui est officiellement du côté de la culture nous abandonne complètement : c’est une véritable trahison !

K. J. : Ce n’est pas non plus comme si des personnes intelligentes n’avaient pas réfléchi à une alternative pour modifier le statut des intermittents. Mais il n’y a aucune prise en compte de ces travaux. Les syndicats qui ont signé cet accord auprès du MEDEF ne sont pas représentatifs de nos métiers : ce sont des syndicats de cadres. Cette décision n’est donc pas issu d’un processus démocratique.
Il s’agit à présent d’éveiller les consciences. Ce que nous tenons à défendre c’est une caisse de solidarité, c’est-à-dire que tout le monde puisse participer en fonction du travail de chacun.
L’intermittence a été créé pour pallier à la précarité propre au métier qui est entrecoupé de périodes d’inactivité et donc de chômage : parfois il y a plusieurs contrats qui s’enchaînent et parfois il n’y a plus rien pendant des mois. On est tout le temps en train de travailler : soit à chercher du travail, soit à créer, soit à fédérer.
Propos recueillis en juillet 2014, à Brioux-sur Boutonne, à l’occasion du Festival au Village.
Direction artistique et chorégraphique : Karine Jamet.
Création musicale, conteuse : Sylvie Dissa.
Traduction en Langue des Signes Française : Damien Mignot et Sonia Knepper.
Création décor : Olivier Monteil
Création lumière : Rémy Beauchéne, Clément Maugé.
Interprétation : Karine Jamet, Sylvie Dissa, Damien Mignot.
Aide à l'écriture chorégraphique : Lucie Augeai.
Costume et accessoire : Élodie Gaillard