Cinémondes, 18e édition du Festival International du film Indépendant de Berck-sur-Mer 2022 : Route 132 de Louis Bélanger
Comme son titre l'indique et comme s'y prête bien les étendues québecoises le long du fleuve Saint-Laurent de la route 132 avec ses plus 1600 km, le film de Louis Bélanger est un road movie dont la finalité est la tentative de deuil d'un homme à l'égard de son fils. En grand amoureux de la forme narrative déconstruite, Louis Bélanger s'empare du buddy movie qui a fait fureur aux USA dans les années 1980 non pas pour démontrer la force de la testostérone mais au contraire afin de mettre en scène tout en la questionnant sans cesse la masculinité en crise.
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Alors que le premier réflexe de la souffrance masculine consiste dans une forme régressive à aller se biberonner aux pichets de bière dans un bar, cet espace devient l'opportunité d'un retour sur l'enfance et d'une résurgence d'une amitié ressurgie de cette époque qui traverse également toute la filmographie fascinante de Louis Bélanger. L'amitié masculine devient alors un dialogue constant où les personnages se renvoient l'un l'autre des énergies et des traits qui appartiennent à chacun pour mieux questionner cette part enfuie chez l'autre, dans une logique de complémentarité. Chacun représente ce que l'autre aurait pu être, de Bob recréant une famille au moment où Gilles est contraint à en faire le deuil tout en plongeant sur un retour aux origines où il aura accès à une famille plus ample incluant son frère, sa grand-mère maternelle, sa tante et les amies et amis de celle-ci. Pour cela, il faut un mouvement, qui part de la grande ville de Montréal pour aller dans ces espaces ruraux parsemés de quelques maisons isolées où la société semble avoir été oubliée du centre du pouvoir et de l'attention des jeunes générations parties en ville « gagner leur croûte ». Dès lors, la rencontre avec les personnes âgées dans des maisons de retraite dans un état de délabrement ignoble est l'opportunité de découvrir les différentes dynamiques sociales du pays dans ce retour aux sources où un homme redécouvre la force d'ancrage et de reconstruction d'une famille élargie incluant plusieurs générations, comme le Québec est appelé en dehors de la grande ville plutôt poussée vers une dynamique de consommation nord-américaine, à retrouver ses racines multiséculaires là où les traumatismes d'hier sont soignés dans un esprit de résilience, qu'il s'agisse de ces mères maintenant âgées qui ont dû affronter le deuil d'enfants en bas âges ou encore ces anciens casques bleus qui ont vécu le génocide en Bosnie en 1995.
Ainsi, encore une fois sous une fausse apparence de légèreté de récit au chemin tracé que pouvait supposer l'adéquation du film à un genre filmique, Louis Bélanger ne cesse de faire affluer dans l'afflux sanguin de son scénario la vitalité des problématiques sociales contemporaines au Québec, dénonçant le scandale de la privatisation des maisons de retraite comme le désengagement du service public pour toute une population loin des décisions des grandes villes.
Ainsi, la ballade désespérée de ces deux hommes qui pourrait prendre dans une expérience de la délinquance la route de Bonnie and Clyde, est avant tout une tentative semi-suicidaire d'un homme qui refuse un deuil et qui est sans cesse en train de solliciter l'intervention d'une autorité qui lui manque et qui révèlera à un moment du récit sa propre faille dans une blessure non soignée de son propre rapport à son père. Ainsi, dans cette scène semi-onirique où semble surgir l'inconscient sur une plage où Gilles fuyant la police comme une figure paternelle, apparaît en ombre un enfant, celle-ci est à la fois son propre enfant dont il n'a pas fait le deuil mais aussi son propre enfant intérieur à la suite duquel il court encore dans un monde adulte dont il ne cesse d'interroger la maturité pour construire une cohésion sociale.
Route 132
de Louis Bélanger
Fiction
113 minutes. Québec, Canada, 2010.
Couleur
Langue originale : français du Québec
Avec : François Papineau (Gilles Michaud), Alexis Martin (Bob), Sophie Bourgeois (Mélanie), Andrée Lachapelle (Alberta), Gilles Renaud (le curé de St-André), Janine Sutto (la grand-mère Carmelle), Gary Boudreault (le sergent Michaud), Clémence DesRochers (Mme Déziel), Benoît McGinnis (Damien), Alice Morel-Michaud (Maude), Roger La Rue (le préposé), Roger Léger (la militaire Armande), Pierre Collin (Guy Lévesque), Bobby Beshro (Jean-Pierre, le pompier), Sonia Vigneault (Monique Déziel), Paul Hébert (M. Crète), René Caron (Yvan Bourque)
Scénario : Louis Bélanger et Alexis Martin
Images : Pierre Mignot
Montage : Claude Palardy
Musique : Benoît Charest et Guy Bélanger
Costumes : Judy Jonker
Scripte : Johanne Boisvert
Sociétés de production : Cinémaginaire et Aetios Productions
Producteurs : Denise Robert, Daniel Louis, Fabienne Larouche et Michel Trudeau