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Billet de blog 14 mai 2016

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Cannes 2016 : « L'Économie du couple » de Joachim Lafosse

Film présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes

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Illustration 1
L'Économie du couple © Les Films du Worso

Dans un appartement restauré avec soin, un couple se déchire devant ses jumelles : Marie ne désire plus Boris mais celui-ci ne veut/peut quitter le foyer commun.

La gestion du foyer : tel est le sens étymologique du mot « économie » en usage à l'époque de la Grèce ancienne. Le foyer peut devenir un État ou encore le monde entier comme le sous-entend le sens actuel donné au mot économie. De là à dire que s'intéresser aux conflits dans un couple luttant contre son désamour conduit à envisager l'état des relations internationales, il n'y a qu'un pas allègrement franchi. On parle bien de lien d'amitié, d'amour entre des pays, révélant ainsi par là l'enjeu de ce qui se trame dans cette histoire narrée aux journaux télévisés : l'économie. En cela le film de Joachim Lafosse est parmi de multiples et autres riches pistes de lecture éminemment politique. Il est question d'interroger une histoire d'amour passée à travers l'expérience d'un couple déchiré par l'amour qui s'est transformé en mépris, haine et tension permanente. La différence qui avait fait se rapprocher et tomber dans les bras l'un de l'autre cet homme et cette femme, les conduisant à construire un foyer autour d'eux, sert à présent pour alimenter le foyer incinérateur de leurs liens. Ce qui était exotisme séducteur devient à présent objet d'inadéquation et d'incompréhension permanente. Car Marie et Boris, les protagonistes de cette histoire, sont séparés par des origines sociales distinctes et ceci revient à plusieurs reprises dans le film entre eux comme un motif de liens irréconciliables.

Joachim Lafosse rappelle que dans la vie d'un couple, il y a certes la rencontre, l'amour tout aussi bien que la haine et la séparation. Dans toutes ces étapes, les protagonistes n'en restent pas moins un couple et le cinéaste a voulu explorer sa face sombre. On retrouve ici une poursuite des interrogations menées dans Àperdrelaraison (2012) où il était question de la destruction d'un couple entraînant sans concession les victimes collétarales que sont les enfants. Cette fois-ci, Joachim Lafosse concentre sa mise en scène avec une efficacité déconcertante dans un huis clos où le couple s'affronte. Leurs filles jumelles sont à la fois les spectatrices de ce drame, comme l'enjeu du déchirement et parfois leur arbitre. Ce qui rappelle que le couple peut aussi inclure des enfants dans sa définition même.

Le casting opposant Bérénice Bejo et Cédric Kahn dans des registres de jeu et d'incarnation presque opposée est l'une des brillantes idées du cinéaste, capable ainsi d'incorporer leur personnalité dans la construction de son récit. Le film ne pourrait être qu'une pièce de théâtre psychologique, s'il ne jouait pas avec une grande souplesse des mouvements de sa caméra au service des émotions de ses personnages. Chaque plan d'ailleurs vient mettre en avant les relations de pouvoir en jeu permanentes dans ledit couple. Face au déchirement permanent qui anime le film, Joachim Lafosse construit un regard au couple qui se veut le plus extérieur possible à la prise de partie potentielle à l'égard de l'un ou l'autre protagoniste. Le phénomène est éminemment cathartique et chaque couple, quel que soit son cheminement dans son histoire d'amour y trouvera une vérité autobiographique percutante. Telle est aussi la vertu du film de donner à voir et à émouvoir, ce qui ne peut complètement être appréhender par les outils de la rationalité : celle-ci n'ayant pas de rôle à jouer au commencement d'une histoire d'amour, comment pourrait-elle dès lors apparaître à son terme ? La rationalité ne peut donc être hypocrite en cette affaire et ainsi les justifications du conflit vis-à-vis de l'autre ne peuvent plus tenir. Comme tout bon film intelligent, L'Économie du couple préfère donner à réfléchir et interroger les sentiments conflictuels de tout à chacun plutôt que de prendre un indécrottable parti. C'est l'une des étonnantes aventures proposées par ce récit psychologico-politique.

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