Sortie Blu-ray de Tabou, de Miguel Gomes
Pilar regarde au cinéma un film qui se déroule dans une Afrique coloniale. Aurora, sa voisine, est une dame âgée qui suspecte sa femme capverdienne de pratiquer le vaudou à son égard. À la suite d’un événement inattendu, Pilar rencontre Gian Luca Ventura qui lui fait le récit de son passé commun avec Aurora dans le Mozambique sous domination coloniale quelques dizaines d’années plus tôt.
    Miguel Gomes est de ces cinéastes qui font encore espérer le meilleur au cinéma d’aujourd’hui comme celui de demain. Cinéphile averti, il réussit la brillante synthèse du cinéma d’hier et de celui d’aujourd’hui, sans que l’un prenne le pas sur l’autre. À une époque où l’on nous fait croire qu’il n’y a qu’une voix possible pour le cinéma, celui utilisant les technologies de pointe (numérique, 3D, etc.) avec en outre un récit bien calibré, Tabou montre avec modestie et pour le plus grand plaisir du spectateur le contraire. Le film a été réalisé en argentique (Super 8, 16 et 35 mm) parce que le sujet s’y prête : le cinéaste à travers l’esthétique émanant de l’argentique a voulu interroger ce que recèle le cinéma muet et l’époque où il était réalisé. Il se libère ainsi de la dictature actuelle du réalisme au cinéma pour interroger un pacte fondamental qui lie le septième art à son spectateur : la croyance. Car c’est bien de ce constat qu’il s’agit : inutile de se soumettre au réalisme pour espérer capter l’attention du spectateur. Le cinéma n’est pas la vie : le temps d’une projection, on croit à autre chose. Et s’il est question de réalisme dans le souci esthétique du cinéaste, cela ne traite pas de la conscience mais bien de la perception consciente du spectateur. Ainsi, lorsqu’un narrateur évoque son passé, le film est muet mais sonore : seules les voix des personnages sont absents, tous les autres bruits restant audibles. Miguel Gomes plonge dans la psyché du cinéma en s’immergeant dans ses origines à l’instar du film éponyme de Murnau qui tentait de retrouver la grâce d’une humanité éloignée du modèle occidental dominant. Il est rare qu’un hommage à un chef-d’œuvre du cinéma crée un nouveau chef-d’œuvre. Et pourtant c’est bien ce à quoi est confronté l’heureux spectateur de Tabou.
    Il faut ajouter à cela que ces partis pris esthétiques, la cinéphilie de cet ancien critique de cinéma qu’est Miguel Gomes s’associent également à un discours politique sous-jacent sur le Portugal moderne confronté à son histoire coloniale encore très récente (ce pays est l’un des derniers à avoir aboli le système colonial à la suite de la chute d’une dictature de près d’un demi-siècle) pour rester vive dans l’esprit de nombreux de ses concitoyens. Le catholicisme de Pilar, le racisme d’Aurora, etc., sont bien des facettes de la complexité du Portugal d’aujourd’hui indéniablement marqué par ce passé que l’on ne peut effacer simplement en adhérant à la religion du progrès.
La magnifique édition Blu-ray de Shellac offre l’opportunité de replacer Tabou dans le contexte de sa filmographie : à travers un livret où le cinéaste est interrogé sur son travail, un entretien enregistré ainsi que ses premiers courts métrages où l’on peut reconnaître plusieurs traits de son œuvre à venir.
    Tabou
Tabu
de Miguel Gomes
Avec : Teresa Madruga, Laura Soveral, Ana Moreira, Henrique Espírito Santo, Carloto Cotta, Isabel Muñoz Cardoso, Ivo Müller
Portugal, Allemagne, Brésil, France - 2012.
Durée : 118 min
Sortie en salles : 5 décembre 2012
Sortie France du DVD : 3 décembre 2013
Format : 1,37 – Noir & Blanc
Langue : portugais - Sous-titres : français.
Boîtier : Blu-ray Disc
Éditeur : Shellac Sud
Bonus :
- un livret de 12 pages (entretiens avec le réalisateur, biographies des comédiens)
- 3 courts-métrages de Miguel Gomes :
Rédemption (2013, 26’)
Inventaire de Noël (2000, 21’)
31 (2002, 28’)