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Billet de blog 14 septembre 2017

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Quelle liberté pour les proches féminins des détenus?

À la prison de Fleury-Mérogis durant un mois d’août de canicule, des femmes rendent visitent à leur compagnon, frère ou père incarcérés. L’épreuve est toujours plus difficile à surmonter au fil des sas passés et la tension entre ces personnes venues de l’extérieur ne cesse de croître.

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Illustration 1
"De sas en sas" de Rachida Brakni © Capricci

Sortie DVD : De sas en sas de Rachida Brakni

Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, Rachida Brakni propose une expérience sensorielle forte, celle de l’enfermement progressif, de sas en sas, d’un groupe de femmes aux individualités distinctes. Le milieu carcéral étant majoritairement masculin au cinéma, il est intéressant de constater que des cinéastes engagées ouvre un nouvel espace d’appréhension du rapport entre les femmes dans la société et le milieu d’exclusion par excellence qu’est l’institution pénitentiaire. À l’instar d’Audrey Estrougo avec son film La Taularde, Rachida Brakni fait le constat social paradoxal que « la prison demeure un des derniers lieux emblématiques de la République : la mixité sociale et culturelle qu’on y trouve est sans équivalent avec ce que sont devenus l’école et l’hôpital. Des femmes issues de milieux que tout oppose et qui ne se seraient jamais côtoyées ailleurs finissent par se rapprocher et développer une solidarité. Parce qu’elles sont enfermées ensemble... » Si ce n’est plus que dans les marges de la société que la mixité sociale peut s’opérer, c’est que l’organisation sociale dans son ensemble aurait avorté ? Quel est alors le projet politique du vivre ensemble dans l’État français actuel ? Il semblerait que ce soit une donnée que les représentants politiques, obsédés par leurs intérêts personnels, ont oublié en cours de route, et le film de Rachida Brakni offre indirectement ce constat social du hors-champ de l’histoire de ses personnages. L’enjeu de ce huis clos est comme la version réaliste du thriller métaphysique Cube de Vincenzo Natali où le scénario présentait l’évolution des personnages enfermés ensemble et évoluant d’un sas en un autre pour trouver l’issue ultime de leur cheminement : leur libération. Le parti pris de Rachida Brakni est ici très audacieux tout en suivant une démarche minimaliste. Quelques personnages majoritairement féminins enfermés ensemble sur l’espace de quelques heures dans une atmosphère toujours plus plombante vont pénétrer toujours plus profondément dans une prison en renonçant incidemment au fur et à mesure à leurs propres libertés, épousant de fait l’incarcération au plus profond d’eux du prisonnier, objet de leur visite. L’expérience est collective, suivant le procédé du film choral doublé du huis clos, où personne n’est exclu de l’humanité décrite. En l’occurrence, les gardiens de la prison, figures potentiellement repoussantes dans la dramaturgie classique du film de prison, sont également les victimes détruites de l’intérieur du système dont ils possèdent pourtant les clés. Rachida Brakni partage ici encore avec Audrey Estrougo cette vision du drame partagé de l’incarcération, du côté du personnel comme des condamnés. Elle élargit toutefois le propos en parlant de ces femmes condamnées indirectement à cet autre masculin, qu’il soit père, époux, frère, etc. On retrouve également le constat que faisait Yasmine Kassari dans son film L’Enfant endormi où jouait Rachida Brakni, où l’absence des hommes continuait à maintenir dans un état de soumission et de privation de liberté les femmes qui leur étaient liées. De sas en sas montre que la solidarité potentielle entre femmes est minée de l’intérieur par leur non liberté à pouvoir s’organiser pour s’émanciper. À ce titre, Rachida Brakni a choisi la canicule pour mettre en scène cette atmosphère diffuse d’oppression et d’étouffement où les corps s’épuisent jusqu’à une ultime explosion. Les lieux de la prison où les personnages doivent attendre sont rarement obscurs, ce qui illustre l’effet trompeur d’une lumière qui n’ouvre sur aucun horizon. Bien au contraire, l’environnement sonore lui-même crée des frontières infranchissables gardées par des fantômes inquiétants, détenteurs d’une liberté à retrouver. Dès lors, le cheminement des personnages du film constitue une véritable descente aux Enfers où chacun cherche à renouer avec la vie laissée en suspens à l’extérieur, ce monde que d’aucuns qualifient de libre.
 

Illustration 2

De sas en sas
de Rachida Brakni
Avec : Samira Brahmia (Fatma), Zita Hanrot (Nora), Fabienne Babe (Marlène), Judith Caen (Judith), Lorette-Sixtine), Souad Flissi (Houria), Meriem Serbah (Sonia), Salma Lahmer (Nawell), Luc Antoni (Anthony), Sacha Bourdo (Jim), Simon Bourgade (le gardien), Katia Grimm (la femme enceinte)
France – 2016.
Durée : 82 min
Sortie en salles (France) : 22 février 2017
Sortie France du DVD : 5 septembre 2017
Format : 2,35 – Couleur
Langue : français - Sous-titres : anglais, français.
Éditeur : Capricci
Bonus :
Bande-annonce

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