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Cédric Lépine : Quel était votre désir initial lorsque vous vous êtes lancé dans la réalisation et la production de ce film indépendant ?
Renaud Parra : Le point de départ était très pragmatique : comme je n’avais jamais réalisé aucun film – pas le moindre petit court-métrage… – ni fait d’école de cinéma, j’ai dû me faire violence pour enfin oser franchir le pas. Il s’agissait donc d’abord de mettre au point une première réalisation, pour appréhender concrètement toutes les étapes de fabrication d’un film, en vue de porter des projets ultérieurs plus ambitieux. À ce titre, je crois pouvoir dire que cette expérience a été des plus formatrices : ces quelques pages inoffensives d’un scénario conçu dans le confort de ma chambre se sont transformées en une véritable aventure – technique, humaine, artistique… – dont je ne mesurais pas initialement toute l’ampleur.
Avec ce projet, j’étais en tout cas porté par l’idée d’un huis clos total, où l’histoire commencerait et se finirait dans un seul et même lieu : la chambre d’Eva, une hikikomori addict aux jeux vidéo, aux achats en ligne, et partageant sa vie avec une adorable gerbille dénommée Koki. Mais plutôt que d’en faire un drame social classique, j’ai choisi d’aborder l’histoire sous un angle décalé, avec un basculement très net vers le trash, le sanglant, le grotesque, l’absurde… – puisque l’héroïne va se blesser et être propulsée malgré elle au cœur d’un étrange survival dans l’intimité de sa chambre. J’aime quand les curseurs sont appuyés et sortent du cadre. L’un des enjeux principaux était donc de donner vie à toute cette radicalité-là, à travers les effets spéciaux, le maquillage, les fausses bosses, le faux sang, les fausses bourres et autres saletés… concoctés avec soin et talent par l’équipe maquillage et costume.
L’autre défi, et pas des moindres, était bien sûr de porter à l’écran un animal de compagnie largement bafoué, méprisé, sous-estimé dans nos sociétés et dans le cinéma : la gerbille. Pour des raisons pratiques, elles étaient au nombre de deux sur le tournage – un peu comme les jumelles qui se partagent le rôle de la petite Ingalls dans la série La Petite Maison dans la prairie. Assez curieusement, ces bestioles ne clignent jamais des yeux, aussi me suis-je permis, entre autres choses, de leur ajouter quelques battements de paupières numériques en post-production – dans le respect de leur dignité naturellement.
Ainsi, à bien des égards, le film est gaguesque – je me souviens d’ailleurs du retour de lecteurs qui, à en juger par le scénario, croyaient avoir affaire à un projet de film d’animation.
En définitive, et pour toutes ces raisons – contraintes du huis clos, effets spéciaux, tournage avec un animal inattendu… – ce projet était plein de défis ; c’est ça qui le rendait intéressant et, rétrospectivement, riche en enseignements.
C. L. : D'où viennent les différents membres de l'équipe du film ?
R. P. : Le premier à m’avoir accompagné était Yann, le chef opérateur ; nous avions été mis en relation par l’intermédiaire d’un producteur. J’ai ensuite rencontré ma première assistante, Belinda, suite à la diffusion d’une annonce via le fil Cineaste.org. Avec son arrivée, l’équipe s’est étoffée – comme elle sortait d’une école de cinéma, elle a notamment pu inviter différents contacts sur le projet. Inutile de dire que j’étais la personne la moins expérimentée de l’équipe ; j’ai eu beaucoup de chance d’avoir été accompagné par autant de talents différents sur ce projet.
C. L. : Comment le scénario a évolué entre sa première écriture et le montage final ?
R. P. : Avant même le tournage, les premières modifications ont eu lieu au moment du découpage technique (quand est défini l’ensemble des plans qui vont être tournés). J’avais conçu une animatique très détaillée de mon film idéal, qui représentait plus d’une centaine de plans différents – j’étais naïf et (beaucoup) trop généreux, je ne comptais pas mes plans. Or j’ai compris qu’il était matériellement impossible d’en tourner autant – sauf à disposer d’un mois entier de tournage… Ce qui pour un court-métrage est excessif. J’ai donc dû considérablement raboter mes propositions mais il s’agissait là surtout d’une question de forme dont les répercussions sur le scénario étaient plutôt marginales.
En revanche, les choses ont commencé à évoluer au moment du tournage, lorsque nous avons été confrontés à la nature volatile et fuyante des gerbilles. C’est bien simple : ces rongeurs ne tiennent pas en place ! Et ils ne peuvent être aisément apprivoisés. Ainsi, la séquence finale figurant au scénario qui nécessitait une gerbille “calme”, a été totalement revue et improvisée sur place. Par manque de temps, il a aussi fallu accepter l’idée de faire le deuil de nombreux plans qui ne rentraient plus dans le planning – certaines séquences et actions ont dû être supprimées ou réduites.
Finalement, le montage est aussi venu ajouter son grain de sel dans la redéfinition de l’histoire, en chamboulant la séquence d’exposition pour la rendre plus efficace, et en réduisant certains passages qui s’étiraient inutilement. Il me semble que cette dernière remarque doit valoir pour la plupart sinon la totalité des films, courts ou longs.
C. L. : Peut-on voir le film comme une déclaration d'amour aux films de genre, notamment ici le survival ?
R. P. : Tout à fait ! Cela dit, je ne pense pas que je voulais consciemment rendre hommage aux films de genre ou proposer une version décalée d’un survival. Ce qui m’animait d’abord et avant tout, c’était la volonté d’écrire et de porter une histoire haute en couleurs, avec une large amplitude. J’estime en effet que le court-métrage, par sa nature réduite et non commerciale, peut et doit être le lieu des expérimentations, de la radicalité. Tout est permis, il faut se faire plaisir ! Ici nous avons donc : des larmes, des gags, du grotesque, du sang et du trash…
C. L. : Comment avez-vous construit l'unique personnage en dialogue avec l'actrice ?
R. P. : La particularité du film est qu’il est presque muet, hormis le court échange dialogué au téléphone entre l’héroïne et sa mère. À ce titre, tout repose vraiment sur la performance de l’actrice principale, Morgane Frioux, qui a véritablement dû porter le film “seule” – pas d’acteurs sur place pour lui donner le change. Morgane est une jeune actrice très talentueuse, elle a facilement compris l’amplitude du rôle tragi-comique et a su insuffler une réelle force au personnage. Je n’y suis pas pour grand-chose – j’ai juste eu la chance qu’elle ait accepté d’incarner Geekette !
C. L. : Quelles ont été les difficultés d'un tournage en huis clos ?
R. P. : À plusieurs reprises, il a fallu démonter puis remonter certains coins du décor lors des changements d’angles de caméra, ce qui prenait toujours un certain temps. Pas toujours évident de créer du rythme ou de l’action dans un espace aussi fermé !
Et j’en reviens encore à nos bébêtes : la plus grande crainte était que les gerbilles s’échappent du décor, qui était donc entouré de petites barrières dressées à leur attention. En cela, les rongeurs étaient choyés : ils étaient l’objet d’une attention continue !
C. L. : Comment qualifieriez-vous la relation entre l'héroïne et sa mère ?
R. P. : Je dirais qu’il s’agit d’une relation de dépendance : Eva dépend évidemment – financièrement, matériellement – de sa mère pour mener sa vie d’adulescente recluse. Et la mère, bien qu’elle condamne le mode de vie de sa fille, ne peut s’empêcher de l’entretenir malgré elle – il s’agit pour moi d’une mère isolée qui est dépassée par la situation, mais elle aime Eva, son unique famille, et doit composer avec ses travers.
C. L. : Avez-vous déjà d'autres envies de films ?
R. P. : Plusieurs ! Je ne sais pas encore dans quel ordre, mais j’ai dans mes tiroirs des projets de différents registres, différents genres, qui, je l’espère, trouveront leur voie.

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Geekette en détresse
de Renaud Parra
Fiction
12 minutes. France, 2024.
Couleur
Langue originale : français
Avec : Morgane Frioux, Hélène Deregnier
Scénario : Renaud Parra
Images : Yann Gadaud
Montage : Renaud Parra
Musique : Mathias Bugaj
Son : Gauthier Hammer
Décors : Martin Barrero
Maquillage : Emma Jazédé
Coiffure : Marine Sergent de Joannis
Costumes : Iris Maghsoudian
Scripte : Louis Rondags
Directrice de production : Vanessa Cherruault