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Cédric Lépine : Qu'as-tu fait avant la réalisation de ce film ?
Maïra Schmitt : Je ne pensais pas réaliser un jour. Quand j'étais petite, j'ai toujours aimé jouer, avant même de commencer à jouer vraiment. Et j'habitais dans une campagne, donc c'était pratique pour moi de trouver des terrains de jeu dans la nature.
Je jouais avec tout. Je suis fille unique donc j'étais souvent seule aussi. J'ai donc créé beaucoup de personnages pour alimenter un peu mes journées.
Par la suite, j'ai été dans une agence, parce que j'ai commencé à faire du théâtre. Je sentais que ça marchait bien, que j'avais enfin trouvé ma voie, ce que j'avais envie de faire en tout cas. Dans l'école de théâtre, ils ont dit à mes parents que ce serait bien que j'aille dans une agence.
Pour revenir à la comédie, je sonne chez cet agent et je lui dis que j'aimerais bien jouer. Je ne sais pas ce qu'il lui plaît, mais en tout cas, il me dit « OK, on essaye. » Et après, je passe mes premiers castings et j'ai fait mes premiers tournages.
Lorsque je commence à écrire mon premier brouillon, je joue dans mes premiers films. Je ne pensais pas du tout faire un film de ces premières lignes. Je voulais en faire une petite pièce de théâtre avec un copain : je n'avais pas prévu d'en faire quelque chose un jour. Au début, c'était une histoire d'amour que j'ai laissée très longtemps dans mon placard.
Quand j'étais en première au lycée, j'ai commencé mes premiers tournages et cela s'est poursuivi en terminale. J'ai eu de la chance que ça marche assez rapidement, je ne m'en rendais pas compte à l'époque. C'est vrai que j'arrivais à tourner 2-3 films par an, des téléfilms surtout, tout en restant sur Montpellier.
Je n'avais pas le choix, j'avais juste envie de tourner, de faire des films. J'habitais à Montpellier et je ne pouvais pas partir à Paris parce que j'étais trop jeune. Il faut donc se débrouiller pour faire comme les autres mais sans être comme les autres.
C. L. : Avais-tu des tournages près de Montpellier ?
M. S. : Jamais. Je n'ai jamais tourné dans ma région. Ce n'était pas très grave pour moi d'habiter à Montpellier, tant que je pouvais payer mes billets de train pour aller faire mes castings à Paris.
J'ai essayé au début de m'intégrer comme je pouvais. J'ai une tante qui habite à Paris, donc je restais chez elle de temps en temps quand il y avait des soirées un peu importantes où il fallait être. Après, j'ai fait quelques festivals avec de grosses soirées. J'étais encore jeune. Tout le monde venait me voir en me disant « Je vais te rappeler lundi prochain, j'ai un truc pour toi. » et l'on ne me rappelait jamais. Cela a commencé à me saouler : je me suis dit « à quoi ça sert… » Je ne dis pas qu'il y a des fois des choses qui se passent, mais en tout cas, la majorité du temps, il ne se passait rien à part des gens un peu éméchés qui viennent me voir en me disant « J'ai un truc super à te proposer » et ça ne se fait jamais.
C. L. : Qu'est-ce que tu aimes interpréter à ce moment-là ?
M. S. : Un peu tout. C'était une bonne période parce que je ne pensais à pas grand-chose mis à part le fait que j'étais sur un tournage et que c'était trop bien. Ce que je n'aimais pas, c'étaient les rôles trop ado-rebelle parce que je trouvais que c'était un peu caricatural. Et parce qu'en plus, je n'étais pas comme ça du tout quand j'étais une ado. Aussi, je me disais qu'on peut peut-être écrire aussi d'autres choses pour les jeunes.
Je me souviens que je ne comprenais pas ce que c'était que des lectures parce que moi, je ne changeais pas le cours de l'histoire. En revanche, je changeais mon texte à chaque fois pour que ce soit plus digeste. Pour les essayages des costumes, ça m'ennuyait au plus haut point. Je pensais : « mettez-moi ce que vous voulez : le personnage, il va naître de ce que vous me donnez. » Maintenant, en grandissant un peu, j'aime bien aussi participer à la création du personnage en entier et en discuter.

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C. L. : À quel moment tu sens que tu as envie d'être réalisatrice et que tu te dis que c'est possible ?
M. S. : En fait, c'est un peu comme le théâtre. C'est-à-dire que ça a été une révélation, mais quand j'étais petite, je n'étais pas forcément amenée à faire du théâtre. Je suis tombée un peu là-dedans comme ça par hasard. Mon père est directeur de production, donc j'étais déjà allée sur des tournages étant petite et ça me faisait rêver.
Devenir réalisatrice, c'est pareil, c'est juste le scénario que j'avais laissé de côté et que j'ai ressorti un jour. Je me suis rendue compte que frère et sœur, ça ne pouvait pas forcément être une histoire d'amour, même pas du tout. Et du coup, je me suis dit, il y a des choses à creuser dans cette relation. Après, j'ai envoyé un peu par hasard mon scénario à l'Adami, qui est une aide pour les comédiens afin de réaliser leur premier court. Et ça a marché.
On m'a dit, on te donne une bourse pour faire ton court métrage. Après, il a fallu trouver tout le reste, le producteur, etc. Je ne me suis jamais dit que j'avais envie de devenir réalisatrice. Je n'ai jamais été trop cinéphile, je n'ai donc jamais vu des films en me disant « j'adore le plan qu'il a fait ». Je voyais des films en me disant : « j'adore comment elle a joué, j'ai envie de ressentir ça ». C'est tout. Et après, finalement, quand l'Adami a dit oui, c'est peut-être mon esprit un peu de compétition, mais je me suis dit, maintenant j'y vais.
C. L. : Le thème de l'inceste est-il déjà présent dans ton scénario à cette étape de ton écriture ?
M. S. : Depuis pas longtemps, mais en tout cas, il est déjà là. C'est déjà une relation entre un frère et une sœur qui repose sur des non-dits. Il n'y a pas d'accouchement encore.
C. L. : As-tu pensé à cette étape jouer dans ton film ?
M. S. : Je pensais alors que la direction d'acteur et d'actrice serait trop difficile et que je devais jouer le personnage que je connais par cœur plutôt que de le confier à quelqu'un qui ne va pas m'entendre comme je voudrais qu'elle m'entende. C'était un manque de confiance aussi en moi. Et puis, au fur et à mesure, je me suis dit que je n'avais pas du tout envie de jouer : je n'avais pas du tout envie d'être sur le devant de la scène à ce moment-là. J'ai vraiment besoin d'être derrière, dans ma bulle, pour voir ce qui se passe.
C. L. : Est-ce que tes études de psychologie t'ont aiguillé pour aborder l'inceste dans l'écriture de ton scénario ?
M. S. : J'ai commencée directement après le lycée par correspondance ces études pour pouvoir continuer à tourner. Je voulais travailler au tout début sur la paranoïa parce que je trouvais que c'était un sujet passionnant. Et surtout dans les films parce que j'avais vu Le Locataire de Polanski qui m'a transcendée de vérité. Et puis en fait, dans l'approche de la paranoïa, il y avait une phrase qui m'avait marquée qui disait que c'est la « conséquence d'un amour inavoué et inavouable ». En conséquence, je me suis dit que l'inceste est peut être la conséquence d'un amour inavoué et inavouable. Ainsi, la psychologie est venue alimenter tout ce travail-là.
C. L. : Peux-tu parler de l'importance de la direction artistique sur ce film comme outil de mise en scène ?
M. S. : Je me suis rendue compte que la déco avait pris une place très importante pour moi. Parce que j'ai commencé à trouver des objets quand j'écrivais alors que je n'avais pas de producteur. Je trouvais des trucs dans des brocantes aux formes hyper phalliques que je me mettais à acheter de manière un peu anodine en me disant que peut-être qu'un jour ça me servira. J'avais tous ces objets de formes totalement aléatoires choisis vraiment avec précision mais de manière anodine. Ainsi, dans la direction artistique, cela a vraiment été ma partie de plaisir parce que je n'avais pas besoin de parler. Je me suis bien entendue avec le décorateur aussi donc ça a beaucoup aidé. En effet, il a compris mon délire. En fait, tout le monde a commencé à me suivre dans cette aventure en comprenant mon envie de transformer cette maison en espèce de personnalité vivante. Et il y a des choses que j'ai faites un peu contre l'avis de tous.
Par exemple, le papier peint est important dans le film. Je l'avais choisi depuis longtemps : je l'ai acheté alors qu'on n'avait pas encore les droits d'image pour le papier peint. Je trouvais cela ridicule.
J'adore les objets qui n'ont pas besoin de parler pour être expressifs. C'est eux qui parlent pour toi et racontent des choses dans les moindres détails. J'ai adoré ce moment-là, parce que c'est aussi très concret. Alors que les comédiens évoluent, les objets, si j'en vois un, restera tel quel du début à la fin.

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C. L. : Le montage insiste encore sur le signifié porté par le décor : comment as-tu imaginé cette étape du montage ?
M. S. : Justement, les objets avaient une grande place. Je ne voulais pas trop le dire parce que c'était un truc très personnel ou pas d'ailleurs. J'avais envie qu'on les voit parce que j'avais réussi à les dénicher.
C'est juste parce que j'avais envie qu'on les voit que j'ai filmé ces plans-là. Après, au montage, ils n'étaient pas du tout dans les lieux initiaux. C'est ma monteuse, Anne J. Rodriguez, qui a trouvé des moments propices en fonction des décors et qui m'a proposé des choses. Cela m'a permis aussi de rentrer dans la maison et de montrer comment les personnages y vivaient.
C. L. : Comme les objets, les dialogues sont eux aussi très significatifs : peux-tu parler de l'importance de cette étape d'écriture ?
M. S. : Les dialogues sont vraiment ciselés et cela vient vraiment de l'influence de la psychologie. En effet, j'adore écouter l'inconscient qui parle sans que l'on s'en rende compte. Quant à « l'histoire de la main mis sur sa chatte », ça s'est fait en impro. C'est la comédienne qui a proposé ça. Finalement, je l'ai gardé parce qu'elle avait un espèce de truc hyper naturel qui rajoutait de la vérité dans toute cette histoire. Muriel, qui joue la mère, a été aussi très impliquée dans son rôle. J'adore les dialogues.
C. L. : Ta protagoniste évolue d'une sororité impossible dans la première à une autre inespérée à la fin : était-ce aussi un sujet flagrant pour toi au départ ?
M. S. : Je l'ai remarqué après coup mais je l'ignorais au départ. Je voulais juste montrer le personnage dans la scène d'ouverture. Avoir une jeune femme avec autant de force qui ne parle pas, on se pose des questions sur les causes. Cela rendait le personnage encore plus puissant. Il me fallait une séquence où on la voit quand même un peu plus faible, qui en tout cas, peut se laisser marcher dessus, mais dans des trucs de la vie de tous les jours comme chez cette caviste. Cette scène était donc écrite pour montrer un personnage qui peut se laisser marcher un peu sur les pieds. Pour la fin, la sororité est née de mon incapacité à définir une fin claire et d'ailleurs, le personnage de la belle-sœur s'appelle Claire. Comme dans la vraie vie, je me suis arrêtée là où le personnage s'arrête.
C. L. : Tu sembles redéfinir les places de chacun dans les rôles des membres d'une famille figée à partir de l'arrivée imprévue de la belle sœur et du bébé qu'elle porte.
M. S. : C'est hyper intéressant ce que tu dis, vraiment, parce que oui, le personnage de Claire, pour moi, c'est parce qu'elle est là et parce qu'il y a le bébé qui arrive que tout bouge. Autrement, j'avais le schéma classique de la mère toxique, du père silencieux potentiellement en soutien, le frère qui ne parlera jamais et qui est un peu déviant, et le personnage de Suzanne qui arrive et qui balaie tout en disant voilà ce qui s'est passé et maintenant, vous devez accepter que je vous balance tout ça dans la tronche alors que ça fait des années et qu'on arrive quand même à se voir des fois à Noël pour manger ensemble…

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L’Embryon
de Maïra Schmitt
Fiction
11 minutes. France, 2025.
Couleur
Langue originale : français
Avec: Sarah Bramms (Susan), Muriel Combeau (Marie), Florent Hill (Louis), Diane Dassigny (Claire), Stéphane Metzger (Pierre)
Scénario : Maïra Schmitt
Images : Sylvain Rodriguez
Montage : Anne J. Rodriguez
1er assistant réalisateur : Mickaël Denoyer
Son : Rafaël Ridao
Décors : Emmanuel Borgetto
Scripte : Jules Weiss
Casting: Sofia Barandiaran
Production : Alban Nelva Pasqual