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Billet de blog 15 mai 2016

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Cannes 2016 : entretien avec Alain Guiraudie autour de « Rester vertical »

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Illustration 1
Alain Guiraudie © Fathi Dafdouf

Cédric Lépine : Le titre de votre film est par lui-même tout un programme : une véritable leçon de vie ! Pouvez-vous nous en parler ?

Alain Guiraudie : J'ai lu quelque part que l'homme est un animal vertical et que c'est cette verticalité qui forçait le respect du loup à son égard. Dès que l'on commence à courber l'échine c'est là que le loup nous attaque. Cela résonne aussi comme un programme de vie. Ensuite, il y a dans cette évocation une dimension sexuelle qui était la bienvenue.

C. L. : Le parcours du personnage principal emprunte des chemins tortueux, non linéaires, afin de se trouver.

A. G. : Après L'Inconnu du lac où je suivais une ligne droite et plutôt claire, je souhaitais suivre plusieurs histoires. De même dans la vie, on suit plusieurs histoires parallèles : il n'y a pas qu'une histoire affective. On se retrouve ici dans divers lieux, ce qui correspond à mon histoire actuelle où j'aime bien me balader et parcourir la France en voiture. Il y avait ainsi au départ cette idée de film à plusieurs entrées où l'on pose des jalons et comme je fais du cinéma et qu'il faut obéir à certaines lois, j'avais envie de réunir tous ces jalons. Après, c'est vrai que le film est plutôt horizontal que vertical, mais je ne pouvais pas appeler le film « Rester coucher » [rires].

C. L. : Même si l'on trouve beaucoup d'éléments de vos précédents films, c'est la première fois qu'apparaît une dimension explicitement autobiographique avec ce personnage principal qui est réalisateur.

A. G. : Je me suis beaucoup acharné à trouver à mes personnages une autre profession que la mienne mais ceux-ci sont toujours peu ou prou des alter ego. Les personnages ont également surgi des castings. Damien Bonnard a surgi à ce moment-là alors qu'il aurait très bien pu jouer dans Le Roi de l'évasion mais à l'époque j'avais rencontré Ludovic Berthillot. J'allais cherché dans mes précédents films d'autres professions que celle de réalisateur car je cherchais des gens normaux. Sauf que là je considérais que les cinéastes étaient aussi des gens normaux. En outre, cette profession permettait cette liberté d'errance ou de déambulation, avec également l'idée de la précarité. La précarité n'égale pas la liberté : c'est un leurre. Je me demande si je ne me sens pas comme la plupart des Français aujourd'hui, autrement dit sous la menace d'une déchéance sociale. Je vois peu de personnes issues des classes moyennes à l'abri de celle-ci. Ainsi, que ce soit un cinéaste qui se trouve en proie à cette déchéance sociale se justifiait totalement. Il fallait que j'assume l'alter ego dans mes films. Je ne suis pas non plus dans l'autofiction mais plutôt dans une vie fantasmée.

Illustration 2

C. L. : Dans le film tous les personnages se définissent dans le rapport à l'autre fantasmé, ce qui cause parfois des incompréhensions.

A. G. : Je ne l'avais pas pensé comme cela. Ce qui m'intéressait c'était la manière dont on rencontre l'autre. C'est rare dans les films où il y a réellement de la rencontre. Généralement les rapports sont déjà établis entre les personnages : cela fait gagner du temps dans le récit.

Dans Rester vertical il y a ces deux grands Autres que sont le bébé et le loup : le désir de rencontre est tel qu'il va jusqu'à eux. À un moment donné, je me suis demandé si j'allais jouer la carte du cinéaste qui devenait SDF pour interroger ce qu'est réellement la vie d'un SDF. Mais cette piste de scénario ne fonctionnait pas. Je préférais de toutes façons conserver l'idée du personnage « normal » qui cherche à établir un contact avec l'autre. Ce qui m'importait était de conserver le désir de rencontre avec l'autre à des fins non utilitaires.

C. L. : Ce qui fascine dans votre vision de la société exposée dans vos films, c'est ce désir que tout le monde se rencontre au-delà de ses préjugés à l'égard de l'autre, sans craindre de réinventer le sens du couple comme de la famille.

A. G. : J'aime bien réinventer le réel et rendre les choses possibles : même si cela apparaît assez compliqué et plutôt invraisemblable, je souhaite que cela soit possible. Je fais aussi du cinéma pour repousser les impasses auxquelles je me heurte dans la vie. Je ne préconise pas la méthode Coué selon laquelle il suffit de désirer que quelque chose soit possible pour qu'elle le devienne. Si au moins au cinéma je peux rendre les choses en essayant de ne pas trop évacuer la violence du réel... Au final, « réinventer le réel » est une idée qui me tient à cœur surtout que j'ai l'impression que je n'en suis pas loin non plus.

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