Sortie DVD : De l’autre côté de la porte, de Laurence Thrush
Dans une banlieue de Tokyo, un adolescent quitte son école et s’enferme dans sa chambre pour ne plus en ressortir, malgré les jours, les semaines et les mois qui passent. Personne ne peut rentrer dans sa chambre, pas même ses parents.
Ce film atypique à divers égards ne peut que retenir l’attention. Son réalisateur, Laurence Trush, est britannique et vit actuellement à Los Angeles. Après une décennie 2000 consacrée à des courts métrages documentaires et à des spots publicitaires dénonçant des injustices sociales (droit à l’IVG face à illégalité de l’avortement au Mexique, abolition de la peine de mort, sensibilisation aux violences domestiques, etc.), Laurence Trush signe avec De l’autre côté de la porte un premier long métrage de fiction extrêmement travaillé du point de vue cinématographique. Ces années de formation ont été à cet égard très formatrices ! Ainsi, le Noir & Blanc du film permet non seulement d’installer la fiction pour couper sans plus tarder avec l’illusion d’un documentaire qui aurait pu poser dès lors la question de la place de la caméra et la légitimité de celle-ci dans le drame familial qui peut être vécu par ce qu’évoque le film. En l’occurrence, Laurence Thrush choisit de s’intéresser au phénomène social de l’hikikomori qui est d’une grande ampleur aujourd’hui au Japon puisqu’il touche près d’un million d’adolescents. Sous d’autres formes et d’autres noms ce phénomène social se retrouve dans d’autres pays. Il y a ainsi à l’origine de ce film la volonté de traiter un fait social, excellemment mis en perspective par le choix de l’éditeur DVD, ED Distribution, de proposer en bonus l’entretien filmé avec deux universitaires françaises passionnantes décrivant durant près d’une heure la réalité sociale et anthropologique de ce phénomène. La décision de s’enfermer et de s’isoler complètement de la société témoigne des choix d’une société elle-même, puisque l’on peut clairement supposer que l’adolescent ne se retrouve plus dans celle-ci et ne peut plus désormais s’intégrer et mouvoir le « corps social ». Le cinéaste a eu l’humilité de ne pas prétendre comprendre la société nippone à travers son film, c’est pourquoi celui-ci n’avance aucune certitude quant à ce qui conduit l’adolescent à son propre enfermement. Néanmoins, il laisse poindre ici quelques hypothèses à lire dans le cadre familial. L’enjeu de ce récit se trouve dans le bouleversement que produit l’hikikomori dans le fragile équilibre familial. Ainsi, le père cadre dépassé par son travail, qui rentre tard et n’a guère de relations avec sa famille est une retranscription assez précise du symptôme d’un profond malaise d’une société qui voue un culte au travail et à l’excellence scolaire qui doit mener audit travail. Dès lors, la décision dramatique de l’hikikomori peut être entrevu comme un acte de révolte, aussi violent et dramatique qu’une grève de la faim, sans l’objet de la révolte mis en avant : c’est à la société tout entière de se remettre en cause et à chercher en elle-même ce qui fait souffrir une jeunesse qui ne peut se projeter dans l’avenir à travers les modèles qui lui sont imposés. À ce titre, le film touche profondément juste, sans long discours mais avec une maîtrise époustouflante de l’objet cinématographique. Si le cinéma est l’art de l’ellipse et du hors-champ, le sujet de l’hikikomori lui est intrinsèquement lié et le titre français De l’autre côté de la porte pourrait s’appliquer à tout film si l’on remplaçait seulement « porte » par « écran » ou « fenêtre » selon Jean Renoir pour qui le cinéma est une fenêtre sur le monde. Sachant en outre que les personnages sont incarnés dans leur large majorité (à l’exception d’une personne) par des non professionnels qui sont intimement concernés par le sujet du film, on voit dans le film également cette vertu cathartique qui consiste à proposer un dispositif artistique mettant à distance un drame social pour mieux s’y confronter et tenter de le résoudre. Dès lors, ce très bel objet visuel qu’est ce film est une suite logique de la part du cinéaste qui a commencé à faire des spots publicitaires en vue de sensibiliser le public à la souffrance tue au sein de son corps social. Une œuvre singulière qui ne peut que pousser d’autant plus la curiosité de découvrir le deuxième long métrage de Laurence Thrush intitulé Pursuit of Loneliness.
De l’autre côté de la porte
Tobira no muko
de Laurence Thrush
Avec : Kenta Negishi (Hiroshi Okada), Kento Oguri (Yuhei Okada), Masako Innami (Yoshiko Okada), Takeshi Furusawa, Sadatsugu Kudo
Japon – 2008.
Durée : 110 min
Sortie en salles (France) : 11 mars 2015
Sortie France du DVD : 1er septembre 2015
Format : 1,85 – Noir & Blanc
Langue : japonais - Sous-titres : français.
Éditeur : ED Distribution
Bonus :
Interview de Maïa Fansten (sociologue) et Cristina Figueiredo (anthopologue), maîtres de conférence à l’Université Paris Descartes (50’)
Bandes-annonces
lien vers le site de l’éditeur : http://www.eddistribution.com/