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Cédric Lépine : En quoi Volta a terra que l’on peut traduire en français par « Retour à la terre » évoque ton propre retour à ce milieu rural du village d’Uz et à ton histoire familiale ?
João Pedro Plácido : J'aimerais bien que le film permette aux spectateurs de réfléchir au sens du « retour à la terre » et aux valeurs que sont le communautarisme, la solidarité, la nature, l'écologie, cette sorte de symbiose entre l'homme et la nature. « Volta a terra » signifie également beaucoup plus que cela. Ainsi le contact à la terre permet de vivre une autre réalité et cela quel que soit le pays où se situe l'histoire de chacun. L'expression « Volta a terra » évoque aussi la préparation que l'on fait de la terre avant de semer. Comme Daniel avec son histoire d'amour est toujours dans la lune, on peut lui dire « Volta a terra ! », « reviens sur terre ! » Ce sont toutes ces significations possibles qui sont contenues dans le titre original et que l'on perd en le traduisant.
C. L. : Après dix ans de travail dans le cinéma en tant que chef opérateur, tu réalises ton premier long métrage sur ton lieu d'origine. En ce sens, ce film est aussi ton propre « retour à la terre ».
J. P. P. : En effet, je pense que pour être réalisateur, il faut avoir en soi cette urgence d'avoir à raconter quelque chose, ce grand désir de partager des valeurs. Depuis mon adolescence où j'ai eu une caméra entre les mains, j'avais envie de faire ce film : pas nécessairement tel qu'il apparaît maintenant mais un film qui permette de montrer les valeurs de ces gens, leurs pensées, leur sagesse. Car choisir ce type de vie plutôt qu'émigrer, à travers une politique non consumériste et une agriculture de subsistance, ce sont là des valeurs que l'on perd aujourd'hui avec la généralisation de l'individualisme, la fascination pour les gadgets et une manière de vivre autocentrée sans penser à l'autre. Cela m'a toujours frappé de voir la générosité qu'ont les habitants d'Uz. Souvent, on dit que ceux qui ont le moins donne le plus et cela se vérifie avec eux. En effet, ils comprennent très bien le fait que l'on a besoin de l'autre pour survivre. Quand tu es là-bas, tu te sens faire partie de cette grande famille qui partage les mêmes valeurs.
C. L. : Tu as expliqué que pour filmer tu avais imposé comme règle que les habitants fassent abstraction de toi. Pourquoi cette règle selon toi ?
J. P. P. : J'aime le cinéma de fiction et je souhaitais dès le début réaliser un documentaire sans entretien, sans voix off, sans regard caméra. Je voulais donner le sentiment que l'on regarde un film sans savoir s'il s'agit d'une fiction ou d'un documentaire. Il fallait que l'on entre dans le film comme dans une fiction sans être gêné par les « bruits » que seraient les caractéristiques d'une certaine forme de documentaire que je viens d'évoquer.
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C. L. : Est-ce que la réalisation de ce film, que ce soit au tournage comme au montage, t'a permis de découvrir des aspects méconnus la vie de ce village ?
J. P. P. : L'un des plus beaux cadeaux que ma vie m'a donné, c'est d'avoir pu réaliser ce film. Enfant, je suis allé régulièrement dans ce village durant les vacances scolaires, à Pâques et en été. Ainsi, le tournage m'a permis de connaître la vie de ce village également aux autres périodes de l'année. C'était ainsi l'opportunité de découvrir certaines couleurs qui arrivent dans les montagnes à un moment précis de l'année, ou encore la neige que je n'avais jamais vue enfant. Ma découverte s'est surtout faite du côté de mon rapport aux paysages. Comme je savais ce que je voulais raconter, au moment d'écrire mon scénario j'ai appelé à plusieurs reprises une personne qui habitait sur place pour savoir à quel moment de l'année avait lieu ses activités. J'avais ainsi une liste d'éléments parmi lesquels j'ai choisi ceux qui étaient le plus important pour moi.
C. L. : Chaque image du film dispose d'une grande puissance de récit et l'on imagine aisément que ton expérience en tant que chef opérateur fut déterminante.
J. P. P. : J'ai l'habitude de partir du général avant de me focaliser sur un plan particulier. Je souhaitais dès le départ montrer la différence des quatre saisons avec les couleurs des images et un traitement différent pour chaque partie. Ainsi, dans le prologue il n'y a presque pas de couleurs : c'est brut. L'objectif consistait à dire aux spectateurs : « ne vous laissez pas enchanter par la beauté des images car la vie est dure ! » J'ai ensuite travaillé avec les couleurs mais celles-ci étaient déjà là : je ne les ai pas inventées ! La grande facilité que j'ai eu sur ce film par mon expérience en tant que chef opérateur, c'était que je n'avais pas à me demander quelle était l'intention du réalisateur lorsque je filmais. Je savais quelles émotions je devais fournir en filmant, comme lors de la scène au téléphone où je n'ai filmé pas la tête du protagoniste afin de dramatiser avec subtilité. La problématique pour moi était de savoir ce que j'avais devant mes yeux et de déterminer ce qui était le plus important : l'individu, le global, l'interaction entre l'individu et les objets, les relations des corps entre eux. C'est tout cela qui me conduit à suivre un objectif au détriment d'un autre.
C. L. : Au moment du montage est-ce que tu t'es retrouvé avec beaucoup d'heures de rushes ?
J. P. P. : La quantité est mesurée parce que je n'avais un choix de scènes délibérées à filmer. En revanche, je filmais plusieurs fois une même scène, comme par exemple lorsque les pommes de terre étaient plantées où je filmais à la fois Daniel et ses interlocuteurs : c'est ensuite au montage que je faisais mon choix entre les deux scènes en raison de ce que j'aimais, pour éviter les répétitions, etc. Cela me permettait de peaufiner le film au montage dans un souci perfectionniste (même si je me défends de l'être). Pour autant, je déteste la beauté gratuite des images de cinéma sur lesquelles on se laisse aller, en tant que spectateur, sans autre finalité.
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C. L. : Est-ce que tu as commencé à monter pendant le tournage ?
J. P. P. : Même si au final, cela n'a pas été un problème, nous n'avons malheureusement pas pu monter durant le tournage, car nous avons eu beaucoup de difficultés à financer le film. Je voulais faire un premier montage afin de ne pas avoir à trop filmer, ce qui entraîne de la perte d'énergie sur le film. Au montage, nous avions tellement de scènes filmées que nous pouvions aisément faire un film de 5h00. Mais il était en même temps très clair que telle scène devait être à tel endroit. Ensuite, mon monteur, Pedro Marques, a fait un travail incroyable puisqu'il a réussi à sentir émotionnellement l'association entre les scènes. Même si nous avions encore certaines scènes fortes, en fonction du dynamisme et du rythme du film, nous avons fait le choix de les abandonner.
C. L. : Quel est l'impact dans le village de la notion de crise socio-économique véhiculée par les médias, notamment la télévision suivie par les habitants ?
J. P. P. : Les habitants suivent les informations télévisées mais restent distants à l'égard de l'idée de crise, parce qu'ils ne la rencontrent pas dans leur quotidien. C'est pourquoi on peut considérer le « retour à la terre » comme une réponse possible à la crise. C'est ce qu'ont fait de nombreux Portugais qui ont quitté la ville où la vie est chère alors qu'à la campagne ils n'ont que l'électricité à payer.
Pour moi il n'y a pas de conflit de génération entre Daniel et sa famille parce que Daniel est à divers égards conservateur à l'instar même de ses grands-parents, alors que son père peut davantage apparaître comme moderne. Il ne faut pas prendre trop au sérieux les remarques des uns et des autres car l'humour est là en permanence pour réguler les liens sociaux. La stratégie de l'humour consiste ici à provoquer l'autre pour le pousser à faire quelque chose de précis. Il y a un grand respect d'une génération à l'autre où la transmission joue un rôle fondamental. On peut alors parler d'un véritable amour entre générations pour perpétuer cette façon de vivre.
C. L. : Entre les générations, il y a une différence entre celle qui a vécu sous la dictature de Salazar qui a duré plus d'un demi siècle et la nouvelle.
J. P. P. : En effet, c'est pourquoi entre les générations il y a une manière différente de voir le monde mais il n'y a que cela qui les distingue. Sous la dictature de Salazar, le village a connu une période de pauvreté profonde et ainsi les personnes les plus âgées ont appris à économiser encore plus que ce dont ils ont besoin aujourd'hui. Ils économisent beaucoup mais en même temps la société à changer : la nouvelle génération est composée de familles moins nombreuses, ce qui diminue les frais qu'elles doivent assumer.
Le tournage du film pour moi a été assez simple finalement parce que je me sens complètement intégrer à la société de ce village où se trouvent à la fois mes origines et mes valeurs. Depuis mon plus jeune âge j'ai été très actif pour aider au travail de la terre. Comme Daniel, mon plaisir s'est toujours fondé dans le contact avec la terre, les roches, etc. Rester en contact avec la nature est un geste primordial de l'individu humain qui malheureusement se perd de plus en plus aujourd'hui. Tel est pour moi le sens du « retour à la terre » plutôt que le slogan d'un mouvement politique.
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Volta a terra
de João Pedro Plácido
documentaire
Portugal - Suisse, 78 min
langue originale : portugais
scénario : João Pedro Plácido, Laurence Ferreira Barbosa
image : João Pedro Plácido
son direct : Cláudio Correia, Ricardo Leal, Filipe Tavares, Luís Estedánio, Raquel Jacinto, Dinis Henriques
montage : Pedro Marques
musique oiriginale : Nicolas Rabaeus
Production : O Som e a Fúria (Portugal) et Close up Films (Suisse)
Producteurs : Luís Urbano, Sandro Aguilar
Coproductrices : Joëlle Bertossa, Nora Philippe
Distribution : UFO Distribution
Vente internationale : O Som e a Fúria