Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

3703 Billets

6 Éditions

Billet de blog 18 juin 2015

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Cannes, festival modèle

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le festival de Cannes est un rendez-vous annuel où une très large partie des professionnels de la profession de l’industrie cinématographique du monde entier se retrouvent. C’est un événement très médiatisé via les télévisions, Internet, journaux, etc. La volonté affichée des organisateurs de ce festival est d’en faire un lieu où l’on présente le meilleur du cinéma. Cette prétention est ambitieuse et difficilement réalisable. Pourtant, c’est bien l’objectif qui a été fixé. Les films sélectionnés sont devenus des labels de qualité et c’est ainsi que l’on retrouve le logo du festival sur l’affiche du film au moment de sa sortie salle comme de son édition DVD. La qualité cinématographique est ainsi associée à une sélection. La presse doit s’en faire l’écho tout comme le public. Or, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous surtout lorsqu’à la politique du cinéma d’auteur répond la dictature du star system. En effet cette année il y a eu une recrudescence de films dans la sélection officielle portés par des acteurs au rayonnement international. Plutôt que les films et leurs auteurs, ce sont bien les acteurs qui sont mis en avant dans la sélection officielle. Ce phénomène, on ne le retrouve pas du tout dans les autres sélections, à commencer par Un certain regard. Si « les grands cinéastes font les bons films » peut-on en dire autant des acteurs ? En partie oui, mais cela ne suffit pas. Ce qui est plus évident, c’est que les acteurs dénommés stars sont un grand appui de communication pour le festival, permettant au rituel de la montée des marches d’être certainement le moment du festival le plus partagé au monde. Les cinéphiles sans être unanimes peuvent s’en lamenter mais la réalité économique d’un festival qui tient à conserver son prestige passe par des partenariats avec des marques de luxe qui utilisent l’espace cannois comme une vitrine publicitaire qui leur est totalement dévolue. Le luxe s’affiche ainsi par capilarité dans les films mêmes de la sélection, puisque les films aux budgets les plus importants se retrouvent dans l’Officielle et non pas à Un certain regard. Il y a évidemment des exceptions, mais le coût de production moyen d’un film sélectionné en Officielle est sans commune mesure plus élevé que les films des autres sections. Le cinéma à faible budget est toléré mais il ne faut pas non plus qu’il prenne trop de place. Une hypothèse : le coût de production dépendant directement de la présence d’une ou plusieurs « stars » (les cachets sont plus élevés que tout autre personne citée au générique parmi les nombreux techniciens qui ne comptent pas leurs heures de créativité), la dictature du star system auquel est soumis le festival implique donc une forte présence de films à plus de 10 millions d’euros.

En définitive, le modèle de cinéma proposé par Cannes passe par une surreprésentation des stars et des puissantes sociétés de production et de distribution qui détiennent un pouvoir de décision fort dans l’industrie du cinéma actuel. Le cinéma à Cannes n’est pas un modèle démocratique, un bien commun de tous pour tous. Pourtant, il fut un temps où l’on parlait du festival de Cannes comme un lieu où l’on pouvait se rendre compte de l’état du monde, social et politique. Les intentions sont toujours présentes comme avec la présence en 2015 du film de Stéphane Brizé, mais aussi un peu plus de films en Un certain regard et surtout dans les sélections parallèles au premier rang desquelles il faut citer l’ACID dont l’engagement politique est à n’en pas douter le plus fort de toutes.

En se concentrant sur le fameux rituel de la montée des marches qui détrônent le centre d’intérêt des films pour certains festivaliers et de nombreux journalistes de par le monde, il n’est pas anodin de s’interroger sur le modèle social qui y est alors transmis. La tenue vestimentaire étant soumise à une « tenue correcte exigée » en journée, smoking pour les hommes et « tenue de soirée » pour les femmes pour les séances en présence de l’équipe du film, il se joue une mise en scène particulière, où chacun est amené à ne plus jouer son rôle quotidien. Pour avoir accès à la salle de projection, il faut traduire extérieurement les signes extérieurs d’une élite sociale, économique et politique. Pour l’équipe du film soumise à ce protocole, cette mise en costumes est censée représenter la consécration, la réussite de réalisateurs auxquels on accorde le titre de noblesse : celle d’appartenir à la famille des « cinéastes cannois ». En retour, ceux-ci sont présentés, via les moyens de communications internationaux, comme des modèles à tous les spectateurs. On retrouve alors à ce moment l’expression du pire conservatisme : hommes et femmes se retrouvent à travers leur image vestimentaire associés à des fonctions précises qu’ils sont censées accepter et même revendiquer comme telles. Ainsi, le cinéaste contestataire avec son smoking fait allégeance à l’ordre dominant et la cinéaste féministe en robe de soirée accepte de promouvoir une esthétique où la femme est réduite à un unique enjeu de séduction. Le personnel du festival participe aussi à cette mise en scène avec des fonctions dévolues en fonction du genre de la personne : grossièrement, les vigiles à l’accueil qui ne sont pas contraints au sourire et les hôtesses d’accueil à l’intérieur de la salle au sourire et au maquillage contraints. Le modèle social présenté par l’organisation du festival, plus ou moins consentante face à la pression exercée par leurs partenaires financiers, se révèle archaïque, assurément conservatrice niant totalement l’espace démocratique selon laquelle la société dans sa diversité pourrait être représentée. Le festival de Cannes est très soucieux de sa propre mise en scène qui se fait davantage dans le souci de préserver sa propre existence au fil des ans avec  des moyens économiques conséquents mais au détriment d’une manifestation culturelle destinée à soutenir les œuvres qui interrogent le monde pour mieux le faire vivre sainement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.