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Sortie DVD : Themroc de Claude Faraldo
Le plaisir de la cinéphilie est de pouvoir plonger dans l'histoire du cinéma et d'y découvrir encore des perles méconnues qui conservent toujours le même éclat jubilatoire et révolutionnaire quatre décennies plus tard. Si les curieux de l'effervescence contestataire qui allait offrir un nouveau terreau à une société qui sombrait dans la putréfaction de ses valeurs consuméristes sans complexe à la fin des années 1960 ne sont pas sans connaître la BD de Gébé L'An 01 et le film du même nom qui en fut l'adaptation réalisé par Jean Rouch, Jacques Doillon et Alain Resnais, Themroc est resté un peu plus dans l'ombre. La censure n'a pas aidé à élargir son public puisque le film fut interdit aux moins de 18 ans à l'époque. Le ton est délibérément féroce comme un animal trop longtemps enchaîné qui ose enfin se libérer de ses chaînes de toute une vie d'aliénation. L'extraordinaire et toujours très audacieux Michel Piccoli incarne le personnage principal avec une force d'autant plus incroyable qu'il doit l'incarner sans la moindre parole. En effet, l'univers de Themroc est réduit à une communication entre les êtres humains faite d'éructements et de grognements en tous genres.
Tout commence avec un ton réaliste autour d'un ouvrier aliéné par un travail dépourvu de sens, dont la hiérarchie directe le pousse à l'anonymat le plus total et à la déconstruction de tout lien social à l'intérieur de l'usine. On est ici proche de l'univers décrit à la même époque par Elio Petri dans La Classe ouvrière va au paradis (1971). Mais la révolte que suit Themroc est délibérément anarchique et régressive, remettant en cause les fondements même de la civilisation humaine selon Freud : l'interdiction de l'inceste et de l'anthropophagie. En se servant du contexte historique de la contestation, Claude Faraldo inscrit son récit totalement dans son époque mais en lui offrant une brèche explosive que n'aurait pas renié à la fois l'esprit d'Hara Kiri et de Marco Ferreri chez qui on retrouve l'énergie et la conviction du jeu de Michel Piccoli. La rage animale de Themroc trouve sa quiétude lorsqu'il transforme son minuscule appartement parisien en grotte ouverte aux yeux de tout le quartier, éventrant sans complaisance la bienséance sociale. Ce qui ne l'empêche pas la nuit de quitter son antre pour partir à la chasse d'un CRS qu'il embrochera et rôtira pour nourrir sa meute.
Dans cette farce joyeusement sans retenue mais antispectaculaire comme le définirait Guy Debord lui-même, qui ne manque pas de mettre mal à l'aise les habitudes de vie normées avec une virulence d'autant plus efficace qu'elle est intelligemment assumée, on retrouve l'équipe des comédiens du Café Théâtre toujours très inspirée, certains dans leurs premières apparitions à l'écran : Miou-Miou, Henri Guybet, Patrick Dewaere, Coluche, Romain Bouteille. Vient alors le regret nostalgique de ne plus voir à notre époque une telle flopée de brillants comédiens capables de s'investir corps et âme, osons le dire, dans un tel projet iconoclaste ! Le cinéma peut aussi se permettre d'ouvrir une violente brèche au cœur même du réalisme pour remettre en cause des conventions surannées : le cinéma français depuis quelques années déjà a tendance à se plonger dans l'amnésie de ce pan du cinéma qui reste toujours à expérimenter. Le retour via une édition DVD du film de Claude Farraldo était plus que nécessaire et contribuera assurément aussi bien à éclairer toute une époque passée, qu'à donner un nouvel air frais à une société plongée dans la canicule des pressions diverses imposées par les détenteurs du pouvoir armé, économique, financier et de l'inhumanité destructrice. Un seul cri vivifiant vient alors à l'esprit : Themroc !
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Themroc
de Claude Faraldo
Avec : Michel Piccoli (Themroc), Béatrice Romand (la sœur de Themroc), Jeanne Herviale (la mère de Themroc), Marilù Tolo (la secrétaire), Francesca Romana Coluzzi (la voisine), Romain Bouteille (un ouvrier / le patron hargneux / le voisin / un policier), Coluche (le jeune voisin / un ouvrier / un policier), Patrick Dewaere (le maçon / un policier), François Dyrek (un policier), Michel Fortin (un ouvrier / un CRS), Henri Guybet (un ouvrier), Miou-Miou (la jeune voisine), Jean Herbert alias Popeck (le tailleur de crayons), Roger Riffard (un gardien de l'usine)
France – 1973.
Durée : 109 min
Sortie en salles (France) : 1er mars 1973
Sortie France du DVD : 20 octobre 2015
Format : 1,66 – Couleur
Langue : sans - Sous-titres : sans.
Éditeur : Tamasa Diffusion
Bonus :
Clip : Quand les grands fauves (9’)