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Billet de blog 20 juin 2014

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Un Jérôme Kerviel avant l’heure ? Jean-Louis Trintignant dans L’Argent des autres, de Christian de Chalonge

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Sortie DVD de L’Argent des autres, de Christian de Chalonge

 Plusieurs hommes en complet cravate attendent avec anxiété dans une vaste salle en quête d’un emploi. Henri Rainier se remémore : fondé de pouvoir à la banque séculaire Miremant-de Nully-Heldorff, il a été révoqué de son poste sans explication par le directoire. Dans un premier temps, il reste sans voix et ne dit mot de sa situation à sa femme.

Illustration 1

Cette adaptation en 1978 du livre de Nancy Markham faisait alors référence au scandale politico-financier de la Garantie Foncière de 1971. Plus de trente ans plus tard, le film de Christian de Chalonge continue à faire l’actualité avec les malversations que l’on peut supposer derrière les pertes phénoménales des banques en 2008 et en particulier l’affaire Jérôme Kerviel, potentiel bouc émissaire de pratiques peu recommandables. Petite anecdote qui rattache de manière accidentelle le film à l’actualité : il est question au détour d’un dialogue d’un certain Cahuzac absent parce qu’il serait parti en retraite… Par le choix de son sujet, Christian de Chalonge paraît visionnaire, mais il est surtout un bon témoin de son époque où une nouvelle économie se met en place en France sous la présidence Pompidou et où les banques gagnent en indépendance et marges de manœuvre, pas nécessairement dans l’intérêt du plus grand nombre, bien entendu. Le scandale financier de L’Argent des autres a beau évoqué l’étroitesse des liens entre la direction des banques et les hommes politiques du gouvernement français, le film de Christian de Chalonge n’est pas non plus un film dossier, capable à partir d’un fait divers de dénoncer une situation sociale, ou encore un thriller politique comme en réalisaient à la même époque par exemple Costa-Gavras et Yves Boisset.

Le choix de Christian de Chalonge se place ailleurs et en cela on y trouve bien sa touche toute personnelle. Dès la première scène du film, le spectateur est placé dans une scène surréaliste, à la limite du cauchemar pour des cadres, jusque-là assuré de leur statut et de leur confort social et qui doivent dorénavant se confronter à l’incertitude d’une recherche d’emploi. Par l’apparition inopinée d’animaux dans des endroits où l’on s’y attend le moins (le chat dans la salle des archives), une panne inexpliquée d’électricité dans une banque, une bande originale et des effets sonores inquiétants, le cinéaste partage avec ses spectateurs l’inconfort de son personnage principal, bouc émissaire d’opérations financières frauduleuses. La résolution de cette histoire, comme le réalisme des scènes et des interprétations n’importent peu ici. L’horreur de ce monde capitaliste est traduit par des effets qui font penser au cinéma d’horreur poétique qu’a pu concevoir Georges Franju. Si ce monde financier est pointé du doigt, le spectateur n’en apprendra nullement sur son fonctionnement, car le scénario ne s’est pas développé de ce côté.

En revanche, la psychologie du personnage interprété avec son habituelle subtilité par Jean-Louis Trintignant est l’un des aspects les plus intéressants du film. Ce bouc émissaire a été désigné par le directoire de la banque pour laver la réputation de cette dernière, parce que c’est un maillon anodin, obéissant de la mécanique financière. Il a toujours obéi jusque-là à ce qu’on lui disait sans se poser de question. Lorsqu’il se fait révoquer pour fautes graves, il est abasourdi, lui, le cadre responsable qui s’est toujours senti irresponsable, agissant selon les mots d’ordre de sa hiérarchie directe. Il avoue aimer fréquenter le pouvoir, jouir d’être dans cette proximité. Peu importe dès lors pour lui les malversations pratiquées, au détriment des petits épargnants : ce qui le révolte, c’est de ne plus pouvoir faire partie de cette proximité avec cette classe dirigeante. La révolte chez cet homme tardera donc à venir, c’est en cela qu’il ne s’agit pas d’un thriller politique mais plutôt d’un portrait psychologique d’un individu exemplaire qui permet le fonctionnement d’un système abhorré. La mise en scène, par son symbolisme pesant, donne des traits un peu datés au film. Celui-ci n’en reste pas moins d’actualité, proposant un regard peu commun mais complémentaire pour tenter de comprendre ce triste théâtre du microcosme social banquier.

Illustration 2

L’Argent des autres

de Christian de Chalonge

Avec : Jean-Louis Trintignant (Henri Rainier), Catherine Deneuve (Cécile Rainier), Claude Brasseur (Claude Chevalier d'Aven), Michel Serrault (Miremont), Gérard Séty (De Nully), Jean Leuvrais (Helldorf), François Perrot (Vincent), Umberto Orsini (Blue), Michel Berto (Duval), Francis Lemaire (Torrent), Juliet Berto (Arlette Rivière), Michel Delahaye (l'archiviste Bignon), Liza Braconnier (la secrétaire des archives)

France – 1978.

Durée : 105 min

Sortie en salles (France) : 27 septembre 1978

Sortie France du DVD : 5 mars 2013

Format : 1,66 – Couleur - Son : 2.0.

Langue : français.

Boîtier : Keep Case avec fourreau cartonné

Prix public conseillé : 14,95 €

Éditeur : Tamasa Distribution

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