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Billet de blog 20 juin 2025

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Entretien avec Bixente Volet, réalisateur du film "Un roman national"

Le premier long métrage réalisé, écrit, interprété et autoproduit par Bixente Volet "Un roman national" est actuellement en salles de cinéma, distribué de manière indépendante en France. Le film affronte le tabou de la prise de pouvoir des partis et organisations d'extrême droite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Bixente Volet © DR

Cédric Lépine : Dans quel contexte et en réaction à quelles situations sociales le film a commencé à être envisagé ?

Bixente Volet : J’ai commencé à travailler sur l’extrême droite en 2017, au moment de la percée lepéniste aux présidentielles. Socialisé dans un milieu pas nécessairement de gauche mais propice au développement d’idées « progressistes », j’ai été choqué par l’émergence et la diffusion de discours réactionnaires ultra-violents, notamment sur YouTube ou à travers le mouvement identitaire français. À partir de ce moment, j’ai mené tout un tas de recherches sur l’extrême droite et les fascismes. J'ai toujours pensé que ce sujet cristallise beaucoup d'enjeux de notre temps, notamment la lutte écologique, qui serait largement freinée par une accession au pouvoir du RN...

J’ai toujours orienté mon travail vers des sujets peu abordés au cinéma. En un sens, Un roman national est une opposition à la façon dont l’extrême droite est montrée à l’écran. Dans la majorité des films sur le sujet, les individus dépeints sont parfois fous, souvent ultra-violents, avec le crâne rasé, initiés à des groupes skinheads ou "hooligans"… Les parcours de radicalisation sont crédibles, mais rarement les films explorent les structures de l’extrême droite ou décrivent les politiques et les intellectuels qui construisent les idées d’extrême droite. Un des seuls à avoir proposé quelque chose de différent est Lucas Belvaux dans Chez nous, mais ce dernier tombait aussi dans des poncifs éculés... En tant que cinéaste, j’ai voulu décortiquer l’intérieur des groupes d’extrême droite, allant des plus « respectés » à ceux en quête de respectabilité, un peu comme Étienne Chaillou et Mathias Théry dans leur superbe documentaire La Cravate.

C. L. : L'écriture du scénario est-elle le résultat de recherches et d'investigations dans les milieux politisés d'extrême-droite ?

B. V. : Mon travail de recherche a démarré avec l’infiltration en ligne d’un groupe identitaire et de groupes Facebook d'extrême droite. J’y ai glané tout un tas d’informations, notamment la façon dont Internet permet la prolifération des idéologies racistes et xénophobes. Lorsque je suis arrivé à Paris pour mes études post-bac, j’ai côtoyé sous une fausse identité pendant six mois des identitaires afin de comprendre leurs motivations, leurs enjeux personnels, la façon dont ils pensaient le monde. Sans m’en rendre compte, je faisais un travail de sociologue… Tout cela m'a servi pour nourrir quelques années plus tard Un roman national.

C. L. : Quelles ont été les étapes pour réussir à produire le film ?

B. V. : Le film a été autofinancé grâce à de l’argent personnel accumulé grâce à mon emploi dans l’éducation nationale. Une partie, environ 2400 euros, provient d’une cagnotte participative en ligne. À ce jour, le film a coûté environ 8500 euros, ce qui est évidemment très peu pour un long métrage, même fait sous bénévolat.

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Un roman national de Bixente Volet © DR

C. L. : Comment s'est déroulée la direction d'acteurs et d'actrices ?

B. V. : En tant que spectateur de cinéma, je n'apprécie que très rarement les films trop écrits, trop appuyés au niveau de l'écriture, notamment des répliques… Je pense que les films sur le monde de la politique devraient à la fois respecter des codes détaillés (le respect de l'habitus des politiques) mais devraient aussi laisser les comédiens et comédiennes improviser, se laisser aller, fabriquer des personnages humains, justement parfois déshumanisés de par leur posture de personnage-politique, c'est-à-dire des personnages qui sont déjà dans une double représentation d'eux-mêmes. Paolo Sorrentino avait tout compris ce problème en faisant l'inverse de ma démarche, c'est-à-dire sur-théâtraliser ses personnages pour dénoncer leur grotesque (Silvio et les Autres, Il Divo). 

Par exemple, deux séquences d'Un roman national ont été tournées à plusieurs caméras durant 20 minutes. Il a évidemment fallu répéter de nombreuses fois pour préparer ces scènes, mais ce que je cherche, c’est l’imprécision, ce moment où les acteurs·rices se perdent dans leur texte et comblent les vides par des improvisations spontanées. En sont sortis à mon goût les meilleurs moments d’Un roman national. Dans le film, je pense que 80% des séquences sont réimprovisées, et 50% des répliques inventées par les comédiens·nes eux/elles-mêmes.

Je fabrique des scénarios avec des dialogues volontairement mal écrits. Ce côté "brouillon" permet de faire travailler les acteurs·rices entre elles et eux, et surtout, leur permet de se réapproprier le scénario à leur sauce pour proposer une performance adaptée, mélange à la fois des enjeux liés à leur personnage et de leur dimension physique innée. Au casting, je cherche souvent des acteurs·rices à l’aise dans la spontanéité et l’improvisation.

C. L. : Pourquoi avoir interprété l'un des rôles principaux ?

B. V. : J’avais écrit le personnage à mon image, en le calquant sur mon parcours de vie pour proposer un personnage crédible, si possible d’apparence « banale ». J’avais fait ce choix pour me faciliter l’écriture, dans le sens où j’arrivais beaucoup plus à fabriquer un personnage ambigu en m’inspirant de moi-même qu’en l’inventant de toute pièce. Je voulais perturber les publics, proposer quelqu’un de très profond et en même temps de très inaccessible.

Nous avons ensuite fait passer des castings à plusieurs comédiens, mais aucun n’arrivait à toucher l’essence du personnage. À ce moment-là, nous avions peu de temps : c’est à quelques semaines du tournage que nous avons finalement décidé que j’interpréterai le rôle. N’étant pas acteur, ce choix nous a posé des difficultés. Mais nous sommes finalement heureuses·eux du résultat.

C. L. : Comment l’équipe de tournage s’est constituée et durant quelle période avez-vous réalisé ?

B. V. : J’ai rencontré une partie de l’équipe du film sur le tournage de mon premier court-métrage Élio contre l’humanité. J’ai développé une collaboration artistique mutuelle et importante avec beaucoup d’entre elles·et eux. J’essaye de travailler avec les mêmes personnes, d’abord par confiance, mais ensuite parce que la création collective est plus simple avec un plateau qui m’est familier.

Du casting à l’équipe technico-artistique, j’ai travaillé avec des professionnel·les et des personnes qui débutaient dans le milieu. Toutes et tous ont accepté de travailler sous bénévolat, et pour la majorité avec un engagement politique et artistique certain.

Le tournage s’est déroulé entre mai et juin 2023 pour une durée totale de 5 jours. C’est une courte durée pour un long métrage, mais le dispositif du film étant particulier, tout cela a été rapide, et finalement pas si intense. Nous avons pris trois jours en plus avec le chef opérateur pour tourner des plans de coupe et une séquence dont nous avions besoin avec la monteuse Maude Girard pour compléter la narration du film. La phase de post-production a été la plus longue mais aussi la plus importante ; c’est là que le film s’est révélé, reconstruit, transformé. Il y avait mille possibilités de narration pour le film, et nous avons exploré beaucoup de formes avant d'arriver au résultat final, notamment grâce à des précieuses projections-tests. 

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Un roman national de Bixente Volet © DR

C. L. : Considérez-vous votre long métrage comme une forme de militantisme ?

B. V. : Étant moi-même issu du champ militant que j’appelle « oppositionnel », ma démarche n’est évidemment pas exempte de militantisme. Je ne peux séparer mes engagements personnels et mes choix artistiques. Maintenant, et sans fausse-réponse, je pense que tout geste cinématographique est militant. D’abord dans la vision que les cinéastes et les productions arborent : qu’il soit délétère ou en opposition à la doxa capitaliste, le mode de production d’un film est toujours un choix en faveur d’un système économique, social et écologique. 

Concernant le sujet et la mise en forme, je ne pense pas avoir réalisé un film militant ou film-tract. J’ai le sentiment qu’il y a une méfiance du public, des critiques et des médias concernant les films qui portent sur la chose politique. On entend souvent qu’ils ne seraient pas vraiment des films d’art justement parce qu’ils traiteraient l’art comme un outil politique. Il y aurait quelque chose de sale à filmer le côté cru de la politique. Or, je ne vois pas en quoi un·e cinéaste qui s’intéresse à la chose politique et à des enjeux politiques ne serait pas un·e artiste. Cette délégitimation est un puissant outil de dépolitisation. Je pense qu’il faut proposer autre chose que ces films aux enjeux politiques importants et assumés mais qui le font de manière énigmatique. Par exemple, Pacifiction d’Albert Serra n’a pas été taxé de militantisme. Je pense que c'est dû à l’énigmatisation liée à sa mise en forme, alors qu’à mon avis, c’est un puissant film aux enjeux politiques profonds. On dirait que parler de politique n’est possible qu’en décalant le sujet, en transformant le film en objet de cinéma sur-esthétisé et très énigmatique, décalé au maximum de la saleté du monde politique.

C. L. : Votre regard critique sur le groupe antifasciste que vous mettez en scène est-il là pour montrer à quel point il est encore difficile de lutter par la prise de parole contre l'exposition médiatique de l'extrême droite ?

B. V. : La séquence qui met en scène un groupe de gauche autoproclamé antifasciste est là pour offrir un contre-miroir de l’extrême droite. Là où les néo-fascistes savent s’organiser rapidement grâce à un total refus de questionnements éthiques et moraux et une verticalité évidemment efficace puisqu’elle n’est jamais remise en question, les militant·es de gauche passent parfois beaucoup de temps à réfléchir à leurs modalités d’action, avec des débats moraux et d’église qui affectent selon-moi, par moment, l’efficacité stratégique de certaines actions oppositionnelles. L’enjeu de la séquence est à la fois de questionner l’opposition que la gauche fait parfois entre théorie et action. 

Je pense aussi qu'une question fondamentale de la séquence est souvent mal débattue dans le débat public : celle qui se demande si oui ou non il faut parler à l'extrême droite. Je pense que oui, il le faut, sinon nous nourrissons entre autre leurs tendances paranoïaques et victimisatrices, mais il faut le faire dans un cadre où l'expression sera libre et où le rapport de force sera égal, et certainement pas dans des médias dominants. Sinon, c'est évidemment perdu d'avance et inutile. Et je crois profondément dans la possibilité des changements par le débat. 

Aussi, le film est concentré sur la ville de Paris, une ville ou les champs politiques, médiatiques, militants (etc.) sont très blancs, petit-bourgeois, dans un entre-soi mainte fois documenté. Le film se concentre justement sur ces sphères, toutes très décalées justement des pratiquants de la mosquée qui se font assassiner dans le film. L’enjeu est de peindre un monde autotélique plongé dans un flot ininterrompu de tweets, vidéos ping-pong de politiques, médias de la rive-gauche qui se mènent une guerre froide, etc.

Nous avons eu deux titres de travail « Le Péril Blanc » et « L’Ensauvagement ». Le premier décrivait bien la première volonté du film : montrer que la construction médiatico-politique est une affaire d’hommes blancs, et qu’il serait bien temps de démembrer ce système-là pour en proposer un plus juste, ancré dans la réalité et plus populaire. En tant que réalisateur, c’est pour cela que je parle des hommes, des petits-bourgeois, des Blancs ; je parle des univers que je connais pour mieux les décortiquer, les mettre à nu. Dans le film, les militant·es de gauche sont à mon goût intéressant·es, ont tous·tes quelque chose de pertinent à dire, mais ils (avant tout les hommes) sont malheureusement à l'origine d'une misogynie dissimulée, d'une violence interne niée. Tout cela est important à révéler dans des œuvres de fiction, surtout dans un film qui considère la politique comme un champ (au sens bourdieusien) qui, par définition, échange, communique, se répond, même dans des champs qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

C. L. : Quelle est votre stratégie pour faire connaître votre film et le diffuser de manière alternative dans les salles de cinéma ?

B. V. : Initialement autoproduit, le film a été récupéré à la fin de sa post-production par la société de production CHS Films, qui s’est notamment occupée de m’accompagner dans l’autodiffusion du film. Nous avons fait le choix de travailler sans distributeur pour garder notre indépendance et ne pas être soumis à un calendrier contraignant.

Cette liberté nous a permis de proposer une phase de communication inventive et pédagogique : nous avons par exemple interviewé plusieurs spécialistes de l’extrême droite et publié les entretiens sur YouTube. Notre film étant entre autre à visée informationnelle, il nous paraissait cohérent de creuser le sujet du film avec le regard d’expert·es, qualifié·es sur la question et qui peuvent apporter un éclairage nouveau sur les sujets déployés dans le film.

Mais cette liberté a un coût ; diffuser sans diffuseur, c’est s’exposer à un grand nombre de refus, et limiter les possibilités de projections.

Mais nous sommes heureux et heureuses de le proposer dès le 2 juillet en libre accès sur YouTube, dans une logique de diffusion du cinéma à bas prix, comme je le défends au sein de l'association Sabotage fabrication

C. L. : Quels sont les premiers retours salles que vous avez pu recevoir ?

B. V. : Le film a dépassé la vingtaine de projections dans plusieurs villes françaises. Les retours sont disparates, et portent sur des choses très différentes ; la richesse du film et la multitude d’enjeux soulevés dans celui-ci participe à cette multiplication des avis. Beaucoup soulignent la qualité du jeu des acteurs et des actrices, ce dont je suis particulièrement fier parce qu'iels sont effectivement excellent·es. D'autres se posent des questions sur la pertinence du film, son utilité, voire son potentiel danger dans sa façon de diffuser la parole de l'extrême droite. Maintenant, je pense que ce film sert à révéler des vérités occultées ou dissimulées. Beaucoup de personnes étaient outrées après la projection du film, en trouvant le film outrancier voire excessif. Pourtant, des spécialistes de l'extrême droite ont bien rappelés que le film est bien en-dessous de la réalité... J'espère qu'il lancera quelques débats sur la question du terrorisme d'extrême droite !

Illustration 4

Un roman national

de Bixente Violet
Fiction
72 minutes. France, 2023.
Couleur
Langue originale : français

Avec : Bixente Volet (Damien Cordonnier), Frédéric Tallot (le président de la cour d’assises), Nicolas Jean (PapaPierre), Alexis Vandendaelen (Cédric Auclair), Pierre Sorais (François Javelle), Corentin Delétoile (La grande Charette), Fabrice Cals (Jean-François, le présentateur de la météo), Iris Wien (Lilou, cheffe de plateau), Mathilde Wislez (Suzanne, journaliste), Quentin Lasnier (Erwan, antifasciste), Julien Lemoine (Nael, antifasciste), Justine Frerejouan (Julie, antifasciste), Darya Margolina (Emma, antifasciste), Iman Sabbar (Lise, antifasciste), Thomas Vernant (Dario, antifasciste), Marine Bakri (Charlie, antifasciste)


Scénario : Bixente Violet
Chef opérateur image & étalonneur : Valentin Juhel
Montage : Maude Girard
Compositeur musique originale : Maximilien Galatola
Chef opérateur son : Robin Huline
Mixeur son : Matthieu Hamel
Cheffe décoratrice : Camille Bonsergent
Directrice de casting : Alexandra Battereau
Régisseuse : Lola Vallas
Société de production : CHS Films
Directrice de production : Marine Bakri

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