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Cédric Lépine : Vous présentez le film comme un « western entre ethnies ». Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet ?
Daniel Wolfe : L'idée de départ était de faire un western moderne avec en toile de fond la Grande-Bretagne contemporaine. Il se trouve que le pays aujourd'hui est d'un point de vue démographique multiple et varié, ainsi cette réalité fait partie du décor que nous avions choisi. Un fait divers dans un journal avait particulièrement retenu notre attention : il y était question d'un père qui avait payé des hommes pour retrouver sa fille.
C. L. : Comment avez-vous utilisé la forme du conte horrifique dans ce film où le père devient le grand méchant loup lancé à la poursuite de deux jeunes fuyant dans l'obscurité ?
D. W. : Cela rejoint une idée que nous avions, mais au lieu d'un conte, je parlerais davantage d'une fable à la dimension mythologique. L'obscurité plane en permanence et nous ne voulions pas que le paysage soit réaliste mais plutôt onirique, voire cauchemardesque. Ce sont, il est vrai, des figures enfantines de jeunes adultes : leur relation est emprunte d'une certaine naïveté et candeur qui prête effectivement à cette interprétation proche du conte. Le père est une ombre menaçante qui n'apparaît que très tardivement dans l'histoire et il porte en lui une dimension inquiétante proche de la mythologie et que j'assume parfaitement.

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C. L. : L'histoire rappelle aussi celle de Roméo et Juliette avec deux amants déchirés entre leurs familles. Mais vous faites le choix à un moment donné de vous concentrer davantage sur le personnage féminin : pour quelles raisons ?
D. W. : Il se trouve que j'avais d'abord écrit des choses qui étaient un peu plus masculines avec l'histoire de deux garçons dans la veine des récits de Joseph Campbell où il est question de parcours de héros masculins. Avec mon frère, nous avions envie de prendre un peu le contre-pied de cette tradition-là et de nous intéresser au « devenir héros » d'un personnage masculin : c'est pourquoi nous avons donné plus de place au personnage féminin. Il nous fallait une figure féminine qui soit un personnage fort en évitant, puisque l'on parle d'un couple, que le personnage masculin l'emporte à un moment donné du récit sur le personnage féminin. Nous ne voulions pas que le personnage masculin soit celui que l'on suit, c'est pourquoi nous avons décidé de le laisser de côté.
C. L. : En plus de la dimension mythologique du film, l'histoire se situe dans un contexte socio-économique difficile dans le Yorkshire. Quel sens a pour vous dans le film cette réalité contemporaine ?
D. W. :Cette partie documentaire est à la fois présente et absente. Avec mon frère nous ne cherchions pas à donner un regard sociologique et politique au film mais plutôt une dimension humaine et individuelle à partir de développements psychologiques issus de notre propre regard. On voit le désœuvrement et la pauvreté dans lesquels se trouvent les personnages du film mais ces aspects sont quasi inévitables car cela fait partie de la réalité du paysage britannique actuel. Si certains y voient une dimension documentaire, telle n'était cependant pas notre intention.
C. L. : Le film est marqué globalement par l'absence d'amour : cet amour est questionné entre le père et sa fille, il n'y a pas d'étreintes entre le couple, les poursuivants ne sont pas liés entre eux par l'amitié...
D. W. : C'est une excellente remarque. On ne peut pas dire que ce soit complètement absent. Il y a malgré tout l'idée que l'espoir existe. Nous ne souhaitions pas présenter un couple idéalisé où tout va très bien pour eux car ils s'adorent. Ce sont aussi des jeunes paumés, dépendant à la drogue qui vivent dans des conditions difficiles : il est donc inutile d'édulcorer leurs relations. Avec le père et la fille, tout ce qu'il leur reste c'est la possibilité de revenir à de l'amour entre eux. Le rayon d'espoir se situe donc dans le fait que le père, malgré tout son conditionnement et son contrôle sur sa fille, peut voir ressurgir du plus profond de lui de la tendresse pour elle. Finalement, il n'est question que d'amour !
Un grand merci à Massoumeh Lahidji pour sa traduction.

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Catch me Daddy
de Daniel Wolfe
Royaume-Uni, 2014, 107 min
Avec : Conor McCarron, Sameena Ahmed, Gary Lewis, Wasim Zakir, Anwar Hussain, Barry Nunney
Scénario : Daniel Wolfe, Matthew Wolfe
Photographie : Robbie Ryan
Montage : Dominic Leung, Tom Lindsay
Distrubuteur : Bodega Films