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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Billet de blog 20 novembre 2017

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Le parc de la régression totale : une nouvelle humanité ?

Dans un avenir indéterminé, Westworld est un parc d’attraction qui propose à ses clients une immersion totale dans l’univers du western, où chacun peut se livrer à toutes les violences possibles sur les androïdes mis à leur disposition.

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Illustration 1
Westworld © Warner Bros.

Sortie 4K Ultra HD + Blu-ray : Westworld - Saison 1 : Le Labyrinthe

Dans la fougue effervescente des réalisations de séries télévisées, voici une nouvelle née : pas aussi jeune que cela puisqu’elle titre son origine dans l’adaptation du film Mondwest (Westworld, 1973) écrit et réalisé par Michael Crichton, à qui l’on doit également le scénario et l’histoire originale de Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993) une autre histoire de parc d’attraction à thème pour millionnaires en manque d’émotions fortes. Sur ce thème du parc d’attraction, sont questionnés les besoins de l’être humain à aller chercher dans le factice une vérité sur lui-même. On peut y voir une métaphore totalement assumée comme telle de la relation nouée entre le spectateur et le cinéma : à ce titre, le western comme figure archétypique du cinéma américain révèle aussi bien la quête d’une nation à se construire une identité comme de l’individu américain contemporain totalement perdu se raccrochant comme un forcené à une arme à feu comme s’il s’agissait de l’unique moyen d’expression dans son rapport à l’autre. Il en découle dans ce monde développé dans le parc Westworld l’expression régressive d’une humanité se vautrant allègrement dans la fange de sa propre violence où le plaisir passe par l’humiliation totale de l’autre. C’est là que commence la nouvelle proposition scénaristique de la série télévisée créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy : prendre en compte le point de vue de la personne opprimée, en l’occurrence ces robots dont l’existence est mise entre les mains des caprices des clients fortunés. Autour de la figure multiséculaire de la marionnette humanoïde, qu’elle se nomme Pinocchio, l’ordinateur de 2001, ou le robot enfant de A.I. de Spielberg, la question de la reconnaissance de l’humanité dans l’altérité est posée. Dans Westworld, la société présentée est avant toute chose celle des robots appelés « hôtes ». En effet, à défaut d’être présentés dans leurs relations dans leur vie réelle civile en dehors de leurs activités professionnelles, les êtres humains sont montrés au sein de l’édifice de l’entreprise où semble régner une nuit permanente où le personnel est continuellement en mouvement pour faire vivre Westworld. Dès lors, comme dans tout bon récit d’anticipation traditionnel qui se respecte, l’avenir de l’humanité est plus que sombre et la nécessité de plonger dans une vie artificielle parallèle d’autant plus impérieuse. C’est un peu comme si les clients de Westworld avaient fini par renoncer à leur propre monde moribond. Dès lors, il est logique que se développe progressivement une nouvelle humanité : celle des androïdes du parc. La série développe son récit sur une lente, patiente mais très efficace révolte, celle des hôtes face à leurs touristes sans scrupule. Car à cet égard, la métaphore du film est aussi celle d’un tourisme de masse transformant les rapports humains dans un néocolonialisme où le pouvoir économique aboutit à une idéologie implicitement raciste : la race des touristes et la race de ceux qui reçoivent, contraintes à se prostituer complètement selon les directives souvent établies par le FMI selon le prétexte fallacieux de sauver une économie nationale. La série devient ainsi peu à peu politique dans la lignée du premier chef d’œuvre du film d’anticipation Metropolis de Fritz Lang où un androïde, merveille de la technologie, commençait également à mener une lutte face à l’injustice entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. C’est tout cet univers que propose la série télévisée créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy, coproduite par J.J. Abrams, et où l’on retrouve parmi les réalisateurs Vincenzo Natali (Cube, 1997). L’histoire prend un certain temps à poser son univers, certains personnages apparaissant mièvres durant quelques épisodes (cf. le récit entre Dolorès, Teddy et William) mais tout cet ensemble trouve peu à peu son sens dans une accélération du récit à partir à mi-parcours de la saison. Les rebondissements et révélations se multiplient tout comme les personnages deviennent de plus en plus denses et charismatiques. Si quelques scènes d’action auraient pu être sacrifiées au profit d’une tension psychologique intimiste, le montage est assez bien équilibré entre le monde solaire du parc et celui obscur de l’entreprise capitaliste aux mains de ses actionnaires sans scrupules (c’est aussi l’un des autres sujets du film de montrer le système néolibéral d’entreprise comme l’archétype du fléau de l’humanité). Certains personnages sont un peu trop rapidement sacrifiés dans l’unique but de créer de nouvelles surprises alors qu’ils auraient pu apporter un grand bénéfice au développement du récit. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une série d’anticipation qui réussit le pari de marier spectacle et réflexion philosophique sur l’identité humaine fondée sur les rapports de classe.

Illustration 2

Westworld - Saison 1 : Le Labyrinthe
Westworld - Season One: The Maze

Intégrale saison 1 :
1 - L’Original (The Original)
2 - Marronnier (Chestnut)
3 - L’Égaré (The Stray)
4 - Théorie de la dissonance (Dissonance Theory)
5 - Contrapasso (Contrapasso)
6 - L’Adversaire (The Adversary)
7 - Trompte l’oeil (Trompe L’Œil)
8 - L’Origine du déclin (Trace Decay)
9 - Le Clavier bien tempéré (The Well-Tempered Clavier)
10 - L’Esprit bicaméral (The Bicameral Mind)
Avec : Evan Rachel Wood (Dolores Abernathy), Thandie Newton (Maeve Millay, mère maquerelle), Jeffrey Wright (Bernard Lowe, le directeur de la programmation du parc), James Marsden (Theodore « Teddy » Flood), Anthony Hopkins (Dr Robert Ford, fondateur et directeur du parc Westworld), Ben Barnes (Logan), Sidse Babett Knudsen (Theresa Cullen, la directrice des opérations du parc), Jimmi Simpson (William), Shannon Woodward (Elsie Hughes), Luke Hemsworth (Ashley Stubbs, directeur de la sécurité du parc), Ingrid Bolsø Berdal (Armistice), Simon Quarterman (Lee Sizemore, directeur de la narration du parc), Rodrigo Santoro (Hector Escaton, hors-la-loi le plus recherché du parc), Angela Sarafyan (Clémentine Pennyfeather), Clifton Collins Jr. (Lawrence), Tessa Thompson (Charlotte Hale, directrice exécutive du parc), Ed Harris (l'homme en noir), Talulah Riley (Angela (récurrente saison 1), Louis Herthum (Peter Abernathy)
USA – 2016.
Durée totale : 7h 30 min
Diffusion télévisée (France) : depuis le 3 octobre 2016
Couleur
Éditeur : HBO
Distributeur : Warner Bros.

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