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Sortie Blu-ray/DVD : Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman
La restauration du film monumental de Chantal Akerman et son édition vidéo en blu-ray accompagnée de nombreux bonus est l'opportunité d'une redécouverte féconde. Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles est un chef d'œuvre du cinéma au sens où il ouvre de nouvelles portes aux cinéastes qui ne s'étaient pas permis auparavant d'oser expérimenter une nouvelle forme de narration. Le film se situe à la confluence entre le cinéma du montage critique de Godard, le cinéma expérimental antinarratif de Michael Snow et l'antipsychologisme brechtien de Robert Bresson, le tout dans un film fleuve de 3h20 consacré aux activités quotidiennes le temps de trois jours d'une femme au foyer. Dans cette dynamique, Chantal Akerman filme au plus prêt le travail d'une femme dans un souci hyperréaliste pour montrer l'aliénation profonde d'un individu. On retrouve la critique de l'époque présente dans La Classe ouvrière va au paradis (La classe operaia va in paradiso, 1971, Elio Petri) du côté masculin, ce film étant aussi un prolongement de la critique du travail fordien par Chaplin dans Les Temps modernes (Modern Times, 1936). Chantal Akerman choisit un contrepoint de mise en scène par rapport au film d'Elio Petri, car à l'extravagance du jeu des acteurs et actrices elle répond par l'expression enfouie des émotions. Les deux films pourraient d'ailleurs se voir en diptyque de l'aliénation au travail, autour des points de vue successivement masculin et féminin.
La cinéaste procède avec une épure systématique d'un monde extrêmement complexe présent dans chacun des gestes que l'héroïne éponyme réalise devant la caméra dans une succession de plans-séquences. Là où le film aurait pu plus explicitement se confronter à l'oppression du patriarcat, Chantal Akerman choisit plus subtilement de rendre absent son époux puisqu'elle est veuve. Dès lors, l'incarnation du patriarcat se présente dans chacun des hommes qu'elle rencontre dans son quotidien, y compris son fils qui perpétue plus ou moins innocemment un modèle de comportement dont l'héroïne comme d'autres femmes partagent une complicité toxique. En effet, Jeanne Dielman devient en l'absence de son défunt époux sa propre geôlière et une rébellion commence à se faire jour dans ses gestes comme si son corps se rebellait contre un diktat toujours plus étouffant. La force de la mise en scène de Chantal Akerman est d'avoir su condenser dans chacun de ses plans-séquences élaborés avec un soin particulièrement rigoureux de nombreux récits de femmes qui se sont reconnues et se reconnaissent encore dans ce personnage.
Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles
de Chantal Akerman
Avec : Delphine Seyrig (Jeanne Dielman), Jan Decorte (Sylvain Dielman), Henri Storck (le premier client), Jacques Doniol-Valcroze (le deuxième client), Yves Bical (le troisième client)
Belgique, France, 1976.
Durée : 200 min
Sortie en salles (France) : 21 janvier 1976
Sortie France du Blu-ray/DVD : 7 novembre 2023
Format : 1,77 – Couleur
Langue : français.
Éditeur : Capricci
Bonus :
« Saute ma ville » de Chantal Akerman (1968, 13’)
Les Femmes et la féminité (1975, 17')
« Chantal Akerman s’invite au Masque et la plume » (1976, 15’)
« Entretien avec ma mère, Natalia Akerman » (2007, 28’)
Entretiens :
la cheffe opératrice Babette Mangolte (2006, 31’)
la monteuse Patricia Canino (2023, 20’)
Conversation avec B. Ruby Rich (1976, 50’)
Analyse du film par Virginie Apiou (2023, 10’)