28e édition des Œillades, Festival du Film Francophone d’Albi 2024 : Les Fantômes de Jonathan Millet
S'il s'agit d'un premier long métrage de fiction dont Jonathan Millet assume pour la première fois seul la direction, la maîtrise magistrale de la mise en scène de ce film provient également de réalisations de films aux quatre coin du monde souvent sous la forme de documentaires et de courts métrages. Avec Les Fantômes (2024), Jonathan Millet réussit le pari de réinventer de manière indépendante et sensorielle le film d'espionnage en contre proposition de la saga James Bond, figure de l'aventurier touriste épris d'exotisme et de consommation locale de femmes, réglant les conflits géopolitiques par l'expression de sa force virile. Les Fantômes est ainsi un contrepoint de cette figure officielle d'espion, avec un dialogue éminemment nourri avec Conversation secrète (The Conversation, 1974) de Francis Ford Coppola dans la figure fantomatique et obsessionnelle du protagoniste et encore dans l'ambition prodigieuse de la composition de la mise en scène sonore.
L'hyperacousie du protagoniste n'a ici rien de gratuit puisqu'elle est la conséquence réaliste des séquences traumatiques de la torture pratiquée par ses bourreaux. L'approche réaliste est ici une ligne éthique de l'ensemble d'un film au service des récits et témoignages originaux largement documentés. S'il s'agit d'un film de fiction construit à travers la palette très large de la grammaire du cinéma, l'intrigue est au service à la fois de la compréhension géopolitique méconnue des guerres en cours avec un génocide en Syrie qui n'a toujours pas été jugé et du récit du deuil quasi impossible du protagoniste. Celui-ci incarne en effet la vie de nombreuses victimes des conflits politico-idéologiques de ces dernières décennies poussant sur la route de l'exil des populations violemment déracinées souvent méprisées et discriminées par les politiques démagogiques à la xénophobie décomplexée des pays dits d'accueil en Europe contemporaine.
Dans le rôle principal, Adam Bessa tout en tension psychologique retenue, au regard profond plongé sur un avenir insondable, crée un personnage inédit qui subjugue l'ensemble du récit du début à la fin du film avec un charisme rentré qui n'est pas sans rappeler celle de Tahar Rahim dans Un prophète (2009) de Jacques Audiard.
Jonathan Millet soigne une mise en scène de tous les instants où la piste sonore joue un rôle majeur, accompagnée d'une composition musicale originale de Yuksek orchestrant encore la tension d'un quotidien qui innerve sous l'angle de la menace la moindre des scènes, autour d'un héros contraint à entrer au plus près de la vie de son propre bourreau et en sacrifiant sa propre histoire intime et familiale. La confrontation au centre du film avec la figure du mal, en interrogatoire inattendue dans un café est le point de bascule vertigineux du film qui contient encore avec vigueur la saisissante expérience cinématographique d'appréhension géopolitique et intime du monde contemporain.
Les Fantômes
de Jonathan Millet
Fiction
106 minutes. France, Allemagne, Belgique, 2024.
Couleur
Langue originale : français
Avec : Adam Bessa (Hamid), Tawfeek Barhom (Harfaz), Julia Franz Richter (Nina), Hala Rajab (Yara), Safiqa El Till (la mère d'Hamid), Sylvain Samson (le chef du chantier), Mohammad Saboor Rasooli (le vendeur afghan), Faisal Alia (le vieil homme au centre d'accueil), Pascal Cervo (le conseiller à la préfecture), Mudar Ramadan (le traducteur à la préfecture), Marie Rémond (la psychologue), Dorado Jadiba (Jalal), Fakher Aldeen Fayad (Herta), Janty Omat (le volontaire), Jacques Follorou (le journaliste)
Scénario : Jonathan Millet et Florence Rochat
Images : Olivier Boonjing
Montage : Laurent Sénéchal
Musique : Yuksek
Son : Nicolas Waschkowski
Décors : Esther Mysius
Maquillage : Géraldine Belbeoch
Costumes : Anne-Sophie Gledhill
Casting : Ulrike Müller
Scripte : Julie Dupeux-Harlé
Production : Pauline Seigland
Coproduction : Julie Esparbes et Nicole Gerhards
Production associée : Lionel Massol
Sociétés de production : Films Grand Huit, en coproduction avec Arte France Cinéma (France), Hélicotronc (Belgique) et Niko Films (Allemagne)
Distributeur (France) :
Agrandissement : Illustration 1
Sortie salles (France) : 3 juillet 2024