À propos de l’album : La Princesse et le caca, de Lara Fairy Love & Jenna Andreotti
S’il est un tabou bien dominant dans notre société, ce sont bien les éliminations naturelles du corps, qui se retrouve en un mot provocateur chez les enfants : « caca ». Le corps se charge si bien de cette fonction qu’il est inutile, dira-t-on, de le verbaliser. Pourtant, ce souci de la selle et des selles se retrouve chaque jour plus ou moins caché sous l’expression « comment ça va ? » Remontant aux siècles les plus anciens, celle-ci fait référence aux mouvements du contenu digestif jusqu’aux intestins : dans la sagesse populaire, si ce mouvement digestif va, tout va. Car le bien-être du corps est à la base essentielle de cette sensation gratifiante d’être au monde que la culture judéo-chrétienne, dénigrant la matérialité du corps au profit de l’édification de l’esprit incorruptible, a toujours refoulé au plus profond de l’individu et ce jusqu’à notre époque prétendument laïque. La femme par sa capacité à enfanter, a incarné la réalité charnelle de la naissance, ce qui était un défi intolérable à l’ordre masculin prédominant. Il valait mieux faire croire aux femmes qu’elles étaient des princesses, incarnation d’un théorique exercice de pouvoir sur un territoire extrêmement délimité. En l’occurrence, l’étendue de leur pouvoir ne s’applique en premier lieu aucunement sur leur propre corps mis à la disposition de sa prince pour perpétuer un pouvoir monarchique patriarcal. Pour toutes ces raisons et d’autres encore nullement énoncées, le titre de cet album est magnifiquement évocateur et riche de sens quand on considère le contexte sociohistorique des femmes à l’égard du droit qui leur est échu de disposer de leur propre corps.
Dans cet album est proposé un conte : l’histoire d’une princesse parfaite… tellement parfaite qu’elle n’avait pas à se soucier de faire caca ! Ceci n’est pas sans conséquence lorsque le ventre de ladite jeune fille est tourmenté. Heureusement intervient une vieille femme qui semble abandonné dans cet immense château : Sophie, la mère du prince. Elle lui apprendra dès lors un très grand secret qui en surprendra plus d’une et plus d’un en ces quelques mots : « si tu sais faire caca, tu sais faire des bébés. » C’est pourtant ce que les sages-femmes bien attentionnées révèlent aux femmes enceintes. Derrière cette phrase ou bien scatologique ou bien enfantine, se cache une grande leçon de sagesse (ce n’est pas pour rien que celle qui l’énonce se nomme Sophie !). En effet, il y a un premier tabou qui tombe puisqu’il est difficile dans les conceptions et récits post-nataux de parler d’une envie de déféquer associé à l’expulsion de ce si charmant nouveau-né ! Avec cette révélation, Sophie propose à sa bru de pouvoir disposer des ressources physiologiques de son corps, de ses aptitudes à gérer l’inattendu. La médecine masculine a complètement voulu effacer cette compétence féminine de faire voir le jour à un nouveau-né sans lourde intervention extérieure. Le quasi monopole de la gestion des naissances par les centres hospitaliers, qui ont pris en charge la gestion des corps pour laisser leurs patients seuls avec leur esprit, peut aussi s’expliquer dans ce tabou du rapport de l’individu à son corps dans notre société. Du côté des femmes, ce tabou est complètement liberticide avec toutes les dérives misogynes qui ont émaillé les siècles précédents jusqu’à nos jours encore. Le propos de cet ouvrage, édité avec soin par les Éditions du Hêtre, est donc loin d’être anodin.
La Princesse et le caca
The Princess and the Poo
de Lara Fairy Love & Jenna Andreotti
traduit de l’anglais par Violaine Bideaux
Nombre de pages : 44
Poids : 145 g
Date de sortie (France) : 2 mai 2012
Éditeur : Éditions du Hêtre
Collection : Tendres pousses
lien vers le site de l’éditeur : http://boutique.mjmcrafts.fr/collection-tendres-mousses/23-la-princesse-et-le-caca-9782961050085.html