Quinzaine des Réalisateurs 2014 à Cannes : P’tit Quinquin, de Bruno Dumont
Dans la campagne paisible du nord de la France près de Boulogne-sur-Mer, une série de meurtres épouvantables vient bouleverser la quiétude de la population. La gendarmerie nationale mène l’enquête. Pendant ce temps, P’tit Quinquin multiplie les farces avec sa bande de copain et son amie Ève.

Bruno Dumont signe une mini série policière pour la télévision : cela avait de quoi attiser la curiosité. Dès les premières images, la signature Dumont est manifeste : l’action se passe dans le Nord, avec des acteurs non professionnels inscrits dans de longs et beaux plans parfaitement étudiés. L’intrigue policière débute avec la découverte, dans un blockhaus, du cadavre d’une vache au sein de laquelle se trouve les parties d’un corps humain (la « bête humaine »). La gendarmerie est présente en grand renfort, hélicoptère à l’appui. Les enquêteurs ont des attitudes quelque peu surprenantes jusqu’à ce que survienne une chute : il n’y a pas de doute, c’est une comédie que signe là Bruno Dumont ! Et tout au long des 200 minutes de cette série télévisée, le rire aux lèvres ne cesse de marquer le visage du spectateur. Cet humour se traduit autant à travers des dialogues finement ciselés que des pantomimes rappelant les meilleurs moments du burlesque. Le cinéaste ne laisse rien à l’improviste : ce sont bien des situations improbables qu’il crée que naissent les situations comiques. Dans la grande tradition des comédies, le ressort comique provient en large partie de ce couple mal assorti d’enquêteurs, aux réparties et mimiques mémorables, version contemporaine de Laurel et Hardy.
Le cinéma de Bruno Dumont, reconnaissable entre tous, est bien là, il y a juste ajouté une pincée d’humour. Mais comme on pouvait le prévoir, cet humour est créé avec la même pointilleuse attention que ses plans et sa direction d’acteurs. Un véritable travail d’orfèvre dans la noble tradition de l’art ! C’est bien du réel du Nord que le cinéaste tire toute la matière de son récit et de son imaginaire. En cela, il est bien un frère de cinéma de Carlos Reygadas. Tous deux ont en effet le souci de rendre compte de la société contemporaine, à travers ses contradictions, son mutisme et ses flambées soudaines de violence. On trouve une dénonciation de cet état des choses qui conduit une population rurale à manifester des relents de racisme et de prosélytisme guerrier. Ainsi, dans Flandres, il était question de garçons perdus embrigadés dans une guerre à l’étranger et le thème de la guerre est repris en dérision au cours d’une cérémonie hommage aux anciens combattants. Bruno Dumont poursuit son travail cinématographique et maintenant télévisuel avec les thèmes qui lui sont chers, mais avec un humour d’une efficacité dévastatrice ! Il n’en reste pas moins sérieux sur des sujets graves, comme le racisme latent de ses personnages principaux qui aboutira sur une tragédie. Mais là encore, il dose le tout avec des scènes comiques au moment où l’on s’y attend le moins.

Par le choix d’inscrire son histoire dans des lieux et des personnages géographiquement bien situés, Bruno Dumont est proche d’Alain Guiraudie et de son chef-d’œuvre L’Inconnu du lac. Dans ce film aussi, il était question d’un tueur en série et d’un enquêteur à la singulière gestuelle. Présenté en séance spéciale au sein de la programmation de la Quinzaine des Réalisateurs, le P’tit Quinquin de Bruno Dumont est bien l’une des plus enthousiasmantes propositions de cinéma (paradoxalement issue d’une série télévisée) du festival de Cannes 2014, toutes sections confondues !
P’tit Quinquin
de Bruno Dumont
3h20, 2014
avec : Alane Delhaye, Lucy Caron, Bernard Pruvost, Philippe Jore, Philippe Peuvion, Cindy Louguet
scénario : Bruno Dumont
image : Guillaume Deffontaines
son : Emmanuel Croset, Philippe Lecœur
montage : Bruno Dumont, Basile Belkhiri
Production : 3B Productions
Coproduction : Arte (France), Pictanovo (France), Le Fresnoy (France)
Distribution : 3B Productions
Vente internationale : NDM