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Billet de blog 23 juillet 2016

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Ëtre femme, un combat de tous les jours par Yannick Bellon

Au sujet du double DVD : "L’Amour nu" et "L’Affût" de Yannick Bellon

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Yannick Bellon fait partie de ces cinéastes négligées par l'histoire du cinéma qui gagnent à être redécouvertes quelques décennies plus tard. Et ce nouveau lien, à défaut d'une programmation en salles, d'une ressortie sur des copies restaurées, de diffusion télévisée, est rendu possible via l'édition DVD de Doriane. Sont présentés dans cette édition DVD deux longs métrages de Yannick Bellon dans une filmographie qui en compte huit et qui s'étend sur deux décennies (1972-1992). Son activité a débuté dans les années 1940 avec le court métrage documentaire Goémons (1947) pour se poursuivre jusqu'à Le Souvenir d’un avenir (2001, 42 min) coréalisé avec Chris Marker, sa dernière réalisation en date et que l'on trouve ici en bonus. Ce documentaire retrace le parcours de la photographe Denise Bellon, la mère de la cinéaste, dans une forme qui allie avec virtuosité les sens du montage propre à Chris Marker et Yannick Bellon.

Illustration 1
"L'Amour nu" de Yannick Bellon © Doriane


L'Amour nu (1981) raconte l'histoire de Claire, traductrice travaillant pour l'UNESCO, qui tombe amoureuse d'un océanographe, au moment où la médecine lui diagnostique un cancer du sein. Avec pudeur, Yannick Bellon ose affronter un sujet de société qui enferme les femmes dans l'isolement de la souffrance, de la maladie et de l'incompréhension. Le cancer du sein touche à l'intégrité même d'une femme et il faudra à Claire beaucoup de recul et mûres réflexions avant de trouver la force de lutter avec dignité contre la maladie. Certes, le film est peuplé de scènes convenues, d'un manque d'inventivité dans la manière de filmer ses personnages ensemble devant une caméra mais on ne peut manquer d'être touché par l'interprétation très juste de Marlène Jobert dans le rôle principal. Le développement du récit a également pour intérêt de reposer sur les doutes et incertitudes du personnage, livrant ainsi avec une subtile sensibilité une psychologie féminine. Car ce sont bien les questions liées à la féminité qui sont ici abordées, avec la volonté de briser le tabou autour du cancer du sein en le plaçant délibérément sur la place publique. Tous les acteurs sont convaincants, sans jamais entrer dans la volonté coûte que coûte de créer un personnage cinégénique à part entière. De chacun, Yannick Bellon capte une sensibilité qui lui est propre qui dépasse le seul enjeu de faire avancer le film. Autour de Marlène Jobert gravite ainsi la tendre masculinité de Jean-Michel Frolon qui n'est pas contraint à jouer les amants bêtement sûrs d'eux-mêmes.En cela aussi, le cinéma de Yannick Bellon offre une vraie saine alternative dans la représentation du couple !

Illustration 2
"L'Affût" de Yannick Bellon © Doriane


Ce trait on le retrouve également dans son dernier long métrage L'Affût, où il est question d'Isabelle, femme de retour dans son village natal. Isabelle retrouve un monde rude de chasseurs mâles qui veulent s'imposer comme les garants de l'ordre du monde et le combat solitaire d'un instituteur ornithologue pour préserver le milieu naturel. Sur un scénario bien calibré, faisant peu de part à l'improvisation, le récit se tient de bout en bout, construit sur diverses oppositions entre les personnages amenant conflits, condamnation et rapprochements. Au centre de son histoire, se trouve une femme qui doit s'imposer contre un univers excessivement masculin qui semble régir la bonne conformité d'un village aux idées exsangues où la remise en cause est honnie. Ainsi, les hommes sont contraints à s'enfoncer dans des postures machistes, alcooliques par soumission et violents par frustration d'un monde déséquilibré où leur part féminine ne peut s'affirmer. Dans ce cadre général, c'est l'exercice de la chasse à tout va de proies dont les chasseurs ne dépendent pas pour leur vie, qui est privilégiée. C'est précisément ce que revient remettre en cause cet ornithologue et qui plus est instituteur non natif du village, deux fonctions signifiant une alternative de regard sur le monde. Cet homme est interprété avec justesse par un Tchéky Karyo qui assume avec conviction ce rôle de porte étendard d'une sensibilité écologique qui ne trouve pas encore le terreau approprié dans cet univers rural dépassé par ses réflexes archaïques. Ainsi, dans L'Amour nu comme L'Affût, c'est l'amour qui est mis à mal par les maux de l'époque, qu'il s'agisse de lutter contre une maladie ou contre les idées arrêtées d'un groupe social enfermé sur lui-même. La construction de l'identité sexuée est interrogée : qu'est-ce qu'être femme ou homme dans un monde moribond qui crée la ségrégation entre les genres ? L'amour qui fait fi du modèle dominant est dès lors présenté dans les films de Yannick Bellon comme la source du dépassement de soi.

Illustration 3

L’Amour nu
de Yannick Bellon
Avec : Marlène Jobert (Claire), Jean-Michel Folon (Simon), Zorica Lozic (Olga), Georges Rouquier (Jean Lafaye), Michèle Simonnet (Judith), Jean-Claude Carrière (le professeur), Roland Monod (le spécialiste), Tatiana Moukhine (la dame au tricot), Jean-Pierre Savinaud (le chauffeur de taxi), Pierre Trente (le professeur de patinage), Adolphe Viezzi (Gérard), Rachid Ferrache (le fils de Gérard), Vernon Dobtcheff (John, le patron de Claire), Caroline Aguilar (le mannequin) (Sonia Vollereaux (Sonia), Béatrice Champanier (l'infirmière d'accueil)
France – 1981.
Durée : 100 min
Sortie en salles (France) : 1981

L’Affût
de Yannick Bellon
Avec : Dominique Blanc (Isabelle Morigny), Tchéky Karyo (Jean Vergier), Patrick Bouchitey (Guy), Jean-Pierre Sentier (Étienne, le maire), Michel Robin (Marcel, le garde-chasse), Carlo Brandt (Franck), Michel Fortin (Gilles), Pierre-Octave Arrighi (Pierre), Philippe Laudenbach (M. Tremblay), Évelyne Buyle (Samantha), Patrick Catalifo (le jeune marié), Jean-Pierre Savinaud, Gilles Najean
France – 1992.
Durée : 103 min
Sortie en salles (France) : 1992

Durée totale du DVD : Sortie France du DVD : 26 octobre 2005
Format : 1,85 – Couleur
Langue : français.
Éditeur : Doriane Films

Bonus :
Le Souvenir d’un avenir (2001, 42 min) de Yannick Bellon et Chris Marker
Zaa, petit chameau blanc (1960) - 28 min - N&B
Interviews de Jean-Michel Folon, Marlène Jobert, Dominique Blanc et Jean-Pierre Savinaud.

lien vers le site de l’éditeur

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