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Sortie DVD : La Nuit de carnaval d’Eldar Ryazanov
Excellente initiative que le tout jeune festival consacré à une histoire méconnue du cinéma russe fait en se lançant dans cette édition DVD. La Nuit de carnaval d’Eldar Ryazanov a remporté un réel succès public lors de sa diffusion au cours de la première édition du festival en mars 2015 Quand les Russes… rient. Un an plus tard et alors que vient de se terminer le deuxième volet du festival intitulé Quand les Russes… aiment, cette édition DVD vise à inscrire dans la durée la connaissance d’une histoire du cinéma russe par trop négligée, autant des festivals que de la critique. Comme Macha Méril, la marraine de cet événement, l’explique en guise de bonus de ce DVD, on a trop longtemps réduit le cinéma russe au drame, autant en littérature qu’au cinéma. Il est vrai que les génies de l’histoire du cinéma du côté russe, ont porté à leur point culminant le drame en explorant comme jamais la tradition iconique, qu’il s’agisse d’Eisenstein, de Tarkovski, de Sokourov, Guerman, etc. Mais il ne faut pas oublier les explorations de la comédie dans les cinémas d’Andreï Konchalovski ou encore de Pavel Lounguine, mâtinée il est vrai de drame réaliste ou métaphorique.
Place à la légèreté assumée sans complexe avec cette La Nuit de carnaval d’Eldar Ryazanov qui a autant de droit de cité dans les histoires du cinéma que les innombrables comédies musicales hollywoodiennes auxquelles le film russe se réfère ouvertement. Historiquement et politiquement, le film signe un nouvel horizon pour les Russes puisque trois ans après la mort de Staline, Khrouchtchev annonce le processus de déstalinisation et enclenche peu à peu la période dite de « dégel » après la rigoureuse et sanglante guerre froide, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Symboliquement, le film oppose un directeur seul, représentant de la vieille école stalinienne, opposé à l’enthousiasme général émanant de la jeunesse férue de jazz, de chant, de chorégraphie musicale, etc. Le ton se veut léger et à aucun moment il n’y aura de confrontation idéologique forte. Le directeur rigoriste est d’ailleurs très isolé puisque son supérieur direct ne cache pas sa sympathie pour les initiatives émanant de la jeunesse. Celle-ci n’a aucunement à être révolutionnaire, puisque la haute hiérarchie de l’U.R.S.S., incarnée implicitement par Khrouchtchev lui-même, les soutient indéfectiblement. En ce sens aussi, le film est un bon reflet de ce que les politiques officielles de l’époque tiennent à afficher, même si Khrouchtchev ne fait pas l’unanimité parmi ceux qui l’entourent.

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Le film lors de sa diffusion rencontra un véritable succès populaire comme si le public russe attendait depuis longtemps un nouvel espoir pour jouir d’un monde moins oppressant. Il n’y a pas de véritables méchants dans le film, le directeur rigoriste n’étant qu’un simple empêcheur de tourner en rond, qu’il est très aisé de manipuler et qui se révèle à l’occasion un parfait homme de spectacle, clown malgré lui dans cette inoubliable scène où il tente de faire un discours sur scène. Il reste ainsi auprès des spectateurs une figure paternelle un peu dépassée mais que l’on respecte malgré tout car à aucun moment son autorité n’est contestée.
Pour saupoudrer le tout de cette grande farce exclusivement tournée en studio aux couleurs criantes faisant retourner de leurs tombes les adeptes rigoristes du réalisme soviétique, figure une histoire d’amour entre les deux principaux protagonistes, porte-étendards de la jeunesse insouciante qui ne souhaite qu’un amour hétérosexuel (plusieurs blagues autour de l’homosexualité latente d’hommes en quête de femmes dans le film est à cet égard loin d’être anodine quant à la seule possibilité de former des couples à cette époque) sans entraves. Le récit est ainsi porté par cette histoire d’un jeune homme trop timide pour déclarer sa flamme, face à une jeune femme très entreprenante quant au déroulé de la soirée festive. L’enjeu du récit vise ainsi à ce que la jeunesse masculine reprenne confiance en elle dans sa vie privée comme dans sa vie publique.
Il en reste un film qu’il faut prendre avec son absence saine de prétention artistique, comme l’on pourrait en attendre des grands maîtres russes du cinéma. Sa légèreté, son propos est autant un document historique précis d’une période, qu’un témoignage essentiel permettant d’élargir l’horizon de l’idée que l’on peut se faire du cinéma russe. À cet égard, cette édition DVD participe à la diversité culturelle, que l’on aimerait voir davantage favoriser d’émules dans les autres terres de cinémas encore trop méconnues.

La Nuit de carnaval
Karnavalnaya noch
d'Eldar Ryazanov
Avec : Igor Ilyinsky (Serafim Ivanovich Ogurtsov), Lioudmila Gourtchenko (Lena Krylova), Yuri Belov (Grisha Koltsov), Andrei Tutyshkin (Fyodor Petrovich Mironov, le comptable), Olga Vlasova (Adelaida Kuzminichna Ramashkina), Tamara Nosova (Tosya Burigina), Georgi Kulikov (Seryozha Usikov), Gennadi Yudin (le leader du jazz band), Vladimir Zeldine (le clown), B. Nemker (Clown), Sergei Filippov (le camarade Nekadilov, le conférencier), Shmelev Sisters (la chanteuse principale), V. & Y. Gusakov (les danseurs), Tamara Kruchova (l'acrobate), Inna Oulianova
Russie – 1956.
Durée : 100 min
Sortie en salles (France) : inédit
Sortie France du DVD : 23 février 2016
Format : 1,33 – Couleur
Langue : russe - Sous-titres : français.
Éditeur : Rivages
Collection : Collection Macha Méril
Bonus :
La comédie russe par Macha Méril
Eldar Ryazanov par Jean Radvanyi, historien du cinéma
Filmographie