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Billet de blog 24 juin 2014

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Casanova contre Dracula : les Lumières face au charbon

Sortie DVD de Histoire de ma mort, d’Albert Serra

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Sortie DVD de Histoire de ma mort, d’Albert Serra

Casanova est un homme vieillissant mais toujours aussi passionné. Il part en voyage avec son serviteur Pompeu dans les Carpates, sur les terres de Dracula.

Illustration 1

Après les aventures de Don Quichotte (Honor de cavallería, 2006) et des Rois Mages (Le Chant des oiseaux, 2008), Albert Serra s’intéresse à de nouvelles figures mythiques de la littérature, en faisant se confronter rien moins que Casanova et Dracula. La démarche est nouvelle dans sa filmographie, puisqu’à partir de la libre adaptation des mémoires de Casanova (Histoire de ma vie), il fait suivre à ses personnages un cheminement qui les mène jusqu’entre les mains du héros de Bram Stocker. On peut trouver ce choix peu surprenant à l’époque où dans les blockbusters américains sont invités à se partager la vedette des personnages mythiques qui ont auparavant pu bomber leur torse dans des films consacrés à leur seule effigie. Mais la démarche d’Albert Serra, pour ceux qui connaissent déjà son cinéma, sert un tout autre objectif que celui de capitaliser différents publics de fans. Le titre lui-même ne s’en cache pas, le personnage principal est Casanova et dès lors sa confrontation avec Dracula n’a de sens que de décrire sa chute, la fin de sa vie. Ces deux figurent s’opposent à tel point qu’ils incarnent deux mondes distincts qui les transcendent : l’un le siècle des Lumières, rationnel, jouissif, terrestre, libertin, solaire, l’autre le siècle du Romantisme, ses ténèbres, sa magie, son appétit insatiable de conquêtes. Albert Serra filme dès lors la transition entre deux mondes, alors que l’un ne peut s’affirmer que dans la mise à mort de l’autre. Le siècle des révolutions industrielles a étouffé les promesses d’une révolution française où l’on pouvait s’attendre à une organisation sociale plus équilibrée et saine pour tous. Or le Romantisme, qui est aussi l’expression d’artistes marqués par la nostalgie d’un monde à jamais disparu, est une sensibilité tournée vers le passé. Peut-être est-ce pour cela qu’il n’a pas pu être à sa mesure le nouveau siècle des Lumières ? Tout comme le charbon sortant des entrailles de la terre où il était enfoui durant des siècles et en sort pour modifier profondément et irrémédiablement le monde par l’énergie qu’il dégage, Dracula apparaît ici comme la figure la plus représentative du XIXe siècle. Et si ce vampire a continué à marquer l’imaginaire collectif du siècle suivant (au cinéma comme en littérature, on retrouve cette figure dans presque chaque décennie), c’est peut-être bien aussi par son aptitude à interroger la frénétique industrialisation, sombre berceau du monde moderne.

C’est à ce type de réflexions auxquelles conduit aisément le film d’Albert Serra sans discours direct, mais avec la foi à créer des moments de pur cinéma où l’image est là pour libérer chez le spectateur tout son imaginaire, révélant ainsi toute sa force évocatrice jamais anodine. Les personnages des films d’Albert Serra sont au plus près de la vérité d’eux-mêmes : ils épousent aussi bien l’idée qu’ils incarnent que les lieux dans lesquels ils se fondent. S’ils passent leur temps à traverser des lieux, c’est aussi d’un cheminement intérieur dont ils témoignent ainsi. Cela pourra paraître à certains lent, hyper contemplatif par se souci esthétique de la composition des plans, mais c’est bien là un style qui fait de ce cinéaste un auteur à part entière, capable d’embrasser les mystères insondables d’un inconscient collectif.

Illustration 2

Histoire de ma mort

Història de la meva mort

d’Albert Serra

Avec : Vicenç Altaió (Casanova), Clara Visa, Noelia Rodenas (Delfina), Montse Triola (Carmen), Eliseu Huertas (Dràcula), Lluís Serrat (Pompeu)

Espagne, France – 2013.

Durée : 151 min

Sortie en salles : 23 octobre 2013

Sortie France du DVD : 1er avril 2014

Format : 1,85 – Couleur

Langue : catalan - Sous-titres : français.

Boîtier : Keep Case

Prix public conseillé : 16,00 €

Éditeur : Capricci

Bonus :

- Cubalibre (2013, 18 min) : Film musical, hommage à Fassbinder et à son acteur Günter Kaufmann.
- Albert Serra par Albert Serra : Autour de la musique (2014, 22 min) : Entretien sur son travail avec le groupe Moltforts et sur le rôle de la musique dans son cinéma.

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